Envoi du poème « Sur le progrès des arts dans la République » au Citoyen Merlin, ministre de la Justice

Année de composition

1796

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Texte

Vous êtes l'enchanteur dont les douces paroles
Embellissant mes vers un tant soit peu frivoles,
Sur leurs nombreux défautsMerlin a fait plus que de parler de mon poëme sur le Calendrier républicain ; il l'a lu, effort peu commun, surtout quand on est ministre, et en a fait au Directoire, de vive voix et par écrit, le rapport le plus favorable ont fasciné les yeux,
Grâce à vous, mon jargon est la langue des dieux,
Aussi gauche, entre nous, que le bon La Fontaine ;
Quoique républicain j'ai besoin d'un mécène,
Vous m'en avés servi : du progrès des Neuf Sœurs,
Instruisés chaque jour nos sages directeurs,
Que par vous étouffant l'ignorance et le vice,
Ils tendent au Parnasse une main protectrice,
Qu'ils redonnent aux arts une noble fierté :
Aux rives de la Seine avec la liberté ;
Les arts vont refleurir, mais tels que les abeilles
Il leur fait un asyle et l'ombrage des treilles ;
Par Auguste jadis Virgile fut renté,
Virgile à jeun, peut-être eût assés mal chanté.

Où sont-ils les auteurs, me dirés-vous peut-être,
Que le siècle d'Auguste autrefois a vus naître,
Et qui renouvelés au siècle de Louis
Ont tenu si long-temps les regards éblouis ?
Où sont-ils ?… Ah ! Bientôt l'ardeur républicaine
Enflammant les esprits, courant de veine en veine,
Va les ressusciter une seconde fois,
Les efforts glorieux, les sublimes exploits
Des poëtes surtout excitent les courages,
Des grandes actions naissent les grands ouvragesLes glorieuses campagnes de Jourdan, de Pichegru, de Buonaparte : quels admirables sujets pour les poëtes épiques ! Que dis-je ? La Révolution a créé un monde nouveau ; heureux qui saura le conquérir ! Heureux qui saura exploiter les nouvelles mines qu'il renferme, et fouiller à d'assés grandes profondeurs pour en arracher les précieux métaux qui n'attendent qu'une main habile. Prends ta plume, Roederer, et donne-nous des leçons d'économie politique, le temps du professorat est arrivé, mais du professorat sans charlatanisme, et tu es digne de l'exercer… Mercier, retrace-nous le tableau de Paris, mais du Paris moderne, du Paris tel qu'il est depuis sa régénération, je brûle de le comparer avec le tableau de Paris esclave ; j'aime les ombres aux tableaux… Que fais-tu, jeune Fontanes, avec ta Grèce sauvée, tu as de la chaleur, de l'imagination et de 1a verve ; tu as assés de génie sans doute pour te sauver de l'oubli ; mais c'est la France sauvée qu'il faut peindre, c'est la F rance sortant des mains de ses bourreaux excitant encore l'admiration et l'envie… La terreur, l'abominable terreur a régné quinze mois en France. Ô mon cher Ducis, et tu vas puiser des sujets dans l'Ennius de l' Angleterre, tu n'as donc pas vu 1uire le 10 Thermidor, tu n'as donc pas entendu éclaté le 10 août !… .Quels nouveaux parvenus frappent mes regards, quelle insolence dans leurs discours, et quel oubli de ce qu'ils furent ! Quel oubli surtout de leurs crimes qu'ils veulent en vain colorer avec l'or, qui, dans leurs mains, est encore souillé de sang ; ô, dilapidateurs, tremblés !… C'est à Colin, à Cailhava, à Picard que je vous recommande. Ô mes chers collègues en littérature ! Ô mes amis, mes frères en Apollon, ne laissés pas dormir vos talens, jamais le champ ne fut plus vaste pour les exercer ; ce ne sont pas les couronnes qui manquent aux vainqueurs, mais les, vainqueurs qui manquent aux couronnes,
Et le patriotisme est le dieu des talens.
Cinq lustres accomplis surchargés de deux ans,
À peine de Lucain ombragèrent la tête,
Que de l'âpre Hélicon il atteignit le faîte,
Et dévorés du feu des cœurs républicains ;
Nos poëtes nouveaux seront tous des Lucains
Qui mourront, s'il le faut, pour sauver la patrie,
Vous l'aimés, on le sait, avec idolâtrie.
Même avant que Juillet eut vu crouler ces tours
Où n'osait la colombe enfermer ses amours,
Où sous d'affreux verrous gémissait l'innocence,
Vous avés des tyrans menacé la puissance !
Et des lois noble organe aux lois toujours soumis ;
Pontife maintenant au temple de Thémis,
Aux divers tribunaux vous dictés ses oracles
Et rendés la justice en dépit des obstacles.
Marchés ferme toujours dans le même sentier ;
Vous serés un des saints de mon calendrier.

 
 

Sources

BNF, Ye 10270.