Épître au Citoyen Chénier

Année de composition

ap. 1795

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Texte

[1]Fidèle patriote, ô toi dont les talens
Égalent les vertus, reconnois les accens
De l'un de tes amis… Chénier[2], la Renommée
T'en donne des milliers, ton ardeur animée
Par le bien de l'État, a fait un orateur
Dont l'éloquence en tout peint les traits de son cœur.

Le peuple fit les rois, il peut donc les défaire[3],
Dans un homme public il faut du caractère.
Le Parisien volage, en ses lambris dorés,
Nous présente[4] toujours des vœux mal assurés ;
Il veut et ne veut plus ; là, des esprits commodes
Font du gouvernement, comme ils font de leurs modes.

Paris brisa le sceptre et détruisit ses loix,
Il a dit et chanté qu'il détestoit les rois :
À présent il les aime, aveugle en sa conduite.
Dans un gouffre de maux lui seul se précipite.
D'autres temps, d'autres mœurs, ce n'est plus le moment
De raisonner encor sur un gouvernement.
La victoire le veut… La fortune publique…
Non, non, plus de monarque, il faut la République.

Et quel est le mortel assez audacieux
Pour monter sur un Trône écrâsé sous ses yeux ?
Mais supposant enfin qu'un bon roi, qu'un bon père,
De nos républicains pût habiter la terre,
Cette noblesse hautaine et tous les émigrés,
Ah ! pour nous avilir, seroient bientôt rentrés.

Les talens, les vertus, c'est le seul privilège
Qui distingue un François, toute ardeur sacrilège
Qui veut à la naissance élever un autel
Prépare à la sottise un triomphe éternel :
Ce n'est pas qu'au mérite illustré par un père
Je veuille encor ici sembler faire la guerre ;
Dans les nobles peut-être on eut pu faire un choix
Pour honorer aussi les peuples et les rois.

Mais la loi le défend, respectons la patrie.
Que chacun suive en tout son état, sa partie ;
Pour bien nous gouverner, il faut de longs travaux,
De nos gens à la mode évitons les défauts.
Tel est bon financier, qui n'est pas bon légiste,
Tel est mauvais auteur, qui seroit bon artiste.

C'est ainsi que Laharpe[5] en ses méchants écrits,
À force de confondre abusa tout Paris ;
Il prit pour un Phœbus, le Démon qui l'inspire :
Il eut mieux fait, crois moi, de ne jamais rien dire.
Ton Apollon, Chénier, a bien un autre ton,
On l'admire toujours en voyant Fénelon[6].

Je veux te présenter ma nouvelle Héloïse,
Donne quelques instants, il faut que tu la lise ;
Qu'elle puisse te plaire ! Ah ! pour la protéger,
Que l'indulgence en tout, veuille encor me juger.
Mais de la Liberté j'ai chanté la victoire,
C'est un motif pour toi, de conduire à la gloire.
Tels Despreaux, Racine animants leurs transports,
De leur verve immortelle ont uni les accords.
Déjà comme tous deux au temple de Mémoire,
Tu t'élances à grands pas : quant à moi, pour me croire
Prêt à vous approcher, il faudroit tes talens :
Je suis loin d'y prétendre en mes foibles accens.
Le seul amour du vrai, celui de la patrie,
Respirent dans mes vers, toujours plus que la vie
Je chérirai mon frère, et j'abhorre le sang :
Ha ! Puissions-nous cesser de déchirer le flanc
De la France éplorée, et qu'une paix profonde
En éclairant l'Europe anime tout le monde.

Dans un François, Chénier, telle que soit l'erreur,
Je vois toujours un frère, il a grâce en mon cœur ;
S'il faut punir encor quelques-uns des coupables.
Songeons au repentir dont ils seroient capables,
S'ils pouvoient mieux connoître en leurs écarts honteux,
Ce que dans leurs malheurs le cœur nous dit pour eux.
De la clémence, hélas ! présenter les exemples,
Dans la postérité c'est mériter des temples.

Je ne m'en défends pas, à la ville, à la Cour,
J'aurois eu pour un roi le zèle et tout l'amour
Qu'on remarquoit en nous, je faisois cette école,
Les grands m'en imposoient, j'encensois leur idole.
Le peuple souverain a cassé mon serment,
J'observe avec ardeur d'un autre engagement
Et le pacte et les loix, enfin, j'étois esclave.
Loin de servir les grands, à présent je les brave[7].

De nos vaillants Guerriers imitons la candeur,
Fidèles aux combats, par-tout au champ d'honneur
Ils marchent triomphants : sans trahir leur patrie
On les voit risquer tout, la fortune et la vie,
Nous seuls dans les Cités, énervés, corrompus,
Nous laissons avilir le séjour des vertus,
Celui du patriote ; ici, la monarchie
Élève l'encensoir, et là, c'est la patrie
Qui du républicain nous démontre l'ardeur :
Loin de tergiverser sur la gloire et l'honneur,
Ayons du caractère ; ah ! du François volage
On n'a que trop parlé, puisque de l'esclavage
Il a rompu le joug, aux conseils, aux combats,
Soyons républicains, imitons nos soldats.

Mais toi, brave Chénier, dont la mâle énergie
Dans ce Sénat auguste, aux cris de la patrie,
Secondant les efforts de nos représentans,
Sait si bien rallier les partis chancelants ;
Donne-moi les accords de ton aimable lyre
Qui dit ce qu'elle sent, tout ce qu'elle veut dire.
J'indiquerois ici les moyens d'un bon cœur
Pour soulager le peuple en faisant son bonheur.
C'est la seule vertu qui dans une âme forte
Signale le François, comme le patriote.
Tu le sais bien, pour être un bon républicain,
Il faut savoir souffrir, agir en vrai Romain,
Sans cesse à la patrie offrir des sacrifices,
Être sage et frugal en détestant les vices.

Tel aussi ce grand homme[8] à qui des étrangers
Venaient offrir de l'or. « J'en connais les dangers,
Dit-il, et j'aime mieux, méprisant l'opulence,
Honorer la vertu d'une noble indigence. »
– Mais vos enfants, Seigneur. – Je leur laisse un trésor
Qui leur sera plus cher que votre encens, votre or,
Ce don précieux est l'amour de la patrie[9],
À Rome on le préfère à tout, même à la vie. »

  1. ^ Ce serait vouloir, arrêter le cours des fleuves, que d'empêcher des polissons de parler ; vous n'avez qu'à les écouter, les écrits de nos plus célèbres auteurs, les traits de nos héros, tout est sottise et pasquinade : mais rien n'est plus glorieux pour le vrai mérite que le mépris d'un faquin ou d'un mauvais sujet, dont la tête et le cœur sont corrompus.
    Mon grand cousin le Tabellion, aimable et jeune singe très connu dans le département de Seine-et-Marne, ne parle qu'avec dédain du style divin du roman de la nouvelle Héloïse. « C'est, dit-il, le vil opuscule d'un maître d'école de village. »
    Mon Parain Rustaut, cultivateur muscadin et qui pis est docteur dans le même département, traite bien de diatribes l'imprécation de Camille contre Rome, ainsi que les fureurs d'Oreste.
    Il est encore un canton de ce département, où rien n'est plus risible que la forfanterie de son président, ci-devant Clérico, vrai pantin et pédant anti-populaire, c'est une pitié que de lui voir capter le suffrage des sots en littérature et en affaire ; il fait une cour assidue aux riches et aux houbereaux, parce qu'ils sont des Amphitrions où l'on dîne ; le faux et le caustique ne lui coûtent rien. Combien de célibataires parasites qui, au lieu de prendre état et femme, traînent ainsi de logis en logis leur chétive et importune existence, et vous font perdre de bonnes causes ! Leurs langues sont autant de stylets contre les gens ou les gueux où ils ne trouvent point leur couvert mis ; et quand ils vous ont détroussés ou perdu de réputation, ils en sont quittes pour vous dire qu'on s'est mal défendu, c'est encore la rocambole éternelle de leur insigne mauvaise foi. Ô vices !… Ô vices de l'humanité !… Quand serons-nous justes et raisonnables ?…
  2. ^ Dans la Préface c'est un malhonnête, dans l'Épître il est vertueux… Que de plates contradictions !…
  3. ^ Oui, oui, défaire, c'est le mot…
  4. ^ Du moins quelques sections alors égarées : il faut en effet se reporter au temps où l'Épître a été faite, et envoyée à Chénier
  5. ^ Depuis quelque tems je suis pourtant assez content de cet homme, je lui en voulois, parce qu'il a toujours été un petit tyran en littérature
  6. ^ Ma tragédie de Jésus Christ a été faite avant celle de Fénélon ; celle-ci ne seroit pas le premier larcin entre gens de Lettres ; j'ai des raisons pour… Au surplus si bon que soit le valet, il ne vaut pas le maître
  7. ^ Les coquins ne manqueront pas de dire que c'est le coup de pied de l'âne, et le résultat d'acquisition de quelques biens nationaux ; mais si je leur montrais des traités, par écrit, d'offices les plus importans, antérieurs à la Révolution, et qui pourroient se ressusciter par la contre-Révolution ; les mauvais plaisants n'auroient pas beau jeu ; non, quand il s'agit d'un aussi grand intérêt, celui personnel n'est rien
  8. ^ Curius
  9. ^ Une Merveilleuse rioit comme une petite folle de l'amour de la patrie. On voyoit bien qu'elle ne reconnaissait que celui de son Amant. Que nos beautés sont encore loin de ces exemples fameux des dames romaines ! Cependant beaucoup en ont aussi approché : c'est toujours le mal à côté du bien ; il en est ainsi de Melpomène ; que n'ai-je comme Légouvé et autres quelques jolies actrices pour me prôner ; mais l'intrigue fait tout. Quand Crébillon a commencé, c'étoit un sot un vrai boucher ; les beaux esprits n'en ont voulu faire absolument un grand homme, que lors de l'apparition de Voltaire, et cela, comme de raison, pour tâcher d'étouffer le nouveau venu ; mais celui-là avoit aussi bec et ongle qui ont travaillé les oreilles trop longues. Au surplus nous avons pour nous consoler, des Morts d'Abel, des Néron, &c. &c… Que de platitudes !… Autant celles-là, que les vôtres, disent les incroyables, ne nous parlez pas de vos Jésus-Christ… Héloïse, etc, etc… À la bonne heure, il faut attendre…
    Toujours des Vadius et des Trissottins… Pauvres lettrés !… Quel mauvais ton ! diront les immortels jugeurs. Est-il donc besoin d'être si grave dans une préface ou dans les notes ? Et puis, Les Sots ici bas, pour nos menus plaisirs. Je veux m'en amuser un peu, la revanche peut valoir la partie. Les profanes ont donc beau crier contre mon Jésus-Christ, en faire une passion, crucifier l'auteur et la pièce, et dire que j'ai moi-même crucifié une seconde fois le Saint-Prophète, il faut bien que ces illustres jugeurs restent dans leur état naturel de Juifs et de Judas. La beauté du Cid n'en a pas garanti la critique. Les Rousseau, les Racine n'ont pas été des capucins pour chanter la religion. N'y a-t-il pas un Mahomet ? Et même une véritable boucherie dans ce Mahomet, et sur-tout des faits invraisemblables.
    Puisse ma pièce, jouée avec toute la pompe désignée, donner l'idée d'un culte universel qui n'ait pour principe que l'éternel auteur de la Nature ! En le dégageant de toute espèce de fable, même relativement à l'ancien culte.
    Mais c'étoit l'idée de Roberspierre. Quand cela seroit ? Parce qu'il a mangé du pain, faut-il s'en priver ? Nous sommes trop occupés, et certes, dans des temps plus calmes, on sentira beaucoup mieux la nécessité ( j'ose le dire), le devoir d'un culte uniforme, sur-tout pour la campagne. Mais c'est par la rasion et non par le fer et le feu qu'il faut l'établir
 
 

Sources

BNF, Ye 55728.