Épître au Peuple
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Du pouvoir légitime arbitre souverain,
Ô toi que de l'erreur le fanal incertain,
Égara si long-temps sur les bords de l'abyme,
Esclave infortuné du mensonge et du crime,
Peuple facile et bon, c'est à toi que j'écris.
Ils ne sont plus ces jours d'opprobre et de mépris,
Où l'homme ton égal outrageant la Nature,
Croyait à ton seul nom prononcer une injure ;
Méconnaissant encore et ta force et tes droits,
Ton front restait courbé sous la verge des rois :
Forcé dès ta naissance à plier sous ta chaîne,
Dans un fâcheux néant tu végétais à peine,
Encore trop heureux lorsque dans ton malheur,
On ne t'arrachait pas le pain de la douleur.
Bon peuple, de ces grands l'insolente arrogance
Ne reposa jamais que sur ton ignorance :
Tes droits étoient connus, mais on te les cachait ;
T'avilir à tes yeux, voilà tout le secret.
Enfin, tu te souvins au sein de l'esclavage,
Que les rois et les grands n'étoient que ton ouvrage :
De la Nature enfin le grand livre à tes yeux,
De tes droits présenta le dépôt précieux :
Tu n'y vis pas de rois, ils sont hors de nature.
Mais de la liberté, de l'égalité pure,
Tu découvris enfin les éternelles lois :
Tu vis en rougissant que les grands et les rois
N'avoient jamais été forts que de ta foiblesse,
Et que d'un faux éclat ils voiloient leur bassesse.
Tant de siècles coulés dans un honteux sommeil,
Ne pouvoient amener qu'un terrible réveil.
Qu'il fut grand en effet, ô peuple magnanime,
Cet effort vigoureux, cet élan unanime,
Qui te réunissant en bataillions épais,
Dirigea tes drapeaux vers ces vastes palais,
Qui depuis si long-temps servoient d'asyle au crime,
Au crime dont tu fus la souffrante victime !
Peuple, c'est à toi seul que sont dus tes succès,
D'être libre toi seul a formé les projets :
Pour remplir tes destins tu n'eus qu'à te connaître,
Tu seras libre enfin, si tu veux toujours l'être.
Si tu le veux encor, pour faire ton bonheur,
Connais-toi tout entier, connais bien ta valeur ;
C'est toi qui dédaignant les peines, la misère,
À force de travaux arrache de la terre,
Tous ces biens précieux dont la satiété,
Des riches satisfait la molle oisiveté ;
De tes artistes mains sort avec abondance,
Tout ce qui peut flatter la douce jouissance :
Tu fabriques les draps, tu cultives le lin,
Tu tires le salpêtre et façonnes l'airain
Dont se sert aujourd'hui ton étonnant courage,
Pour semer chez les rois la mort et le carnage.
Et lorsque tes exploits remplissent l'univers,
On tenterait encor de te donner des fers ?…
Peuple, tu l'as juré, tu n'auras plus de maître,
Tu seras libre enfin, parce que tu veux l'être ;
Mais pour te conserver le suprême pouvoir,
À côté de tes droits mets toujours ton devoir :
Que sans cesse chez toi mille vertus rivales,
Resserrent à l'envi les chaînes sociales :
L'honneur, la bonne foi, la solide amitié,
L'homme sans ces vertus n'a plus de liberté.
Rejette loin de toi les préjugés stupides ;
Que l'obscur fanatisme et ses pièges perfides,
De tes enfans jamais ne souillent le regard :
De vertus autour d'eux forme un triple rempart ;
Dis-leur que les vertus ennoblissent la vie,
Et que leur existence est toute à la patrie.
Contemple avec respect les miracles divers,
Qui t'annoncent un être auteur de l'univers :
C'est lui dont la vengeance épouvante le crime,
C'est lui qui t'a sauvé sur les bords de l'abyme :
Sa puissance soutient ces globes lumineux,
Suspendus sur ta tête à la voûte des cieux.
C'est lui qui t'a fait libre, et sa bonté suprême,
Contre tes ennemis te dirige elle-même.
Du pouvoir despotique affranchissant tes droits,
Pour toi seul il construit l'édifice des lois.
Lorsque tu fis serment au nom de la patrie,
D'exterminer partout l'injuste tyrannie,
D'être libre ou mourir, de haïr les tyrans,
Peuple, c'est encor lui qui reçut tes sermens.
Ainsi sur les débris de l'antique esclavage,
La fière liberté marchera d'âge en âge :
Ainsi dans tes foyers, sans maîtres et sans rois,
Peuple, tu fleuriras sous l'égide des lois.
Tes combats généreux survivront dans l'Histoire,
Et si tes ennemis demandent à la gloire
Ce que fut un Français ?… « Il fut comme aujourd'hui,
Bon père, bon époux, bon fils et bon ami ».