Épître au peuple français
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Paratexte
Imprimée par ordre de la Commission du Conseil des Anciens
Texte
Peuple, qui fis serment de n'avoir plus de maîtres ;
Peuple, que tant de fois ont abusé des traîtres ;
Peuple, qu'en vain encore on voudroit égarer
Sur tes destins futurs je viens te rassurer :
Aucun vil intérêt ne m'engage à t'écrire,
L'amour de ma patrie est le seul qui m'inspire ;
C'est lui qui va guider mes crayons, mes pinceaux,
Et te montrer la cause et la fin de tes maux.
Alors que la victoire, à tes drapeaux fidèle,
Dispersoit des tyrans la ligue criminelle ;
Que, vainqueur en tous lieux, ton héros indompté,
Conduisoit tes enfans à l'immortalité ;
Que, trempant de ses pleurs ses invincibles armes,
Il t'offroit ses lauriers pour essuyer tes larmes :
Alors, dis-je, admirant ce guerrier généreux,
Tu crus toucher au jour, à ces momens heureux,
Où, libre sous la loi, ta féconde industrie
Doit faire à l'univers envier ta patrie.
La paix, alors, la paix apparut à tes yeux ;
Mais hélas ! Ses douceurs sont bien loin de ces lieux !
Un faisceau d'assassins décorés du nom d'hommes
À l'égal des tyrans qu'on vit jadis dans Rome
Égorger sans pitié les meilleurs citoyens,
Vend à tes oppresseurs ta liberté, tes biens,
À l'espoir de la paix fait succéder la guerre,
Et donne le signal d'ensanglanter la terre.
Du suprême pouvoir ces tigres revêtus,
Se couvrent tour à tour du manteau des vertus :
Pour mieux cacher le fond de leur âme farouche,
Ils ont l'humanité, la justice à la bouche.
Si l'on croit leurs discours, le peuple est tout pour eux ;
Ils n'ont point d'autre but que de le rendre heureux ;
Et sous ces beaux dehors dérobant leur furie,
Ils se gorgent entre eux du sang de la patrie.
Peuple qu'ils ont vendu, mais qu'ils n'ont pu livrer,
Connois jusqu'à quel point ils ont su t'égarer !
Jaloux de ses succès, envieux de la gloire
Du modeste guerrier qui fixoit la victoire,
Et convaincus par lui qu'il désiroit la paix,
Ils osent enfanter le plus noir des forfaits.
Un projet gigantesque, utile en apparence,
Leur sert à déporter le héros de la France.
Environné d'un corps d'intrépides soldats,
Il reçoit l'ordre affreux d'attaquer les États
D'un allié fidèle. Il part, et la victoire
L'accompagne toujours dans les champs de la gloire.
Libres alors d'agir, nos nouveaux Marius
Font ouvrir à l'instant les antres de Cacus,
Appellent autour d'eux sa horde vagabonde,
Et signent, sans trembler, l'esclavage du monde.
Les vertus, les talens sont chassés des emplois ;
Pour mieux les accabler, on fabrique des lois.
Si l'homme courageux, si l'homme de génie
Ose élever la voix contre la tyrannie,
Il est soudain privé du droit de s'exprimer :
On va même plus loin, on le fait enfermer ;
Et comme les tyrans redoutent la satyre,
C'est à leurs valets seuls que l'on permet d'écrire.
Tout plie alors sous eux. L'honnête citoyen
S'efforce vainement d'ajouter à son bien ;
Du fruit de son travail une loi le délivre :
Il est assez heureux, s'il gagne de quoi vivre
Son superflu de droit appartient aux voleurs ;
Ils mettroient, pour l'avoir, un impôt sur ses pleurs.
S'il ose murmurer, l'antre de la chicane
Vomit à ses regards sa cohorte profane.
À l'aspect effrayant de ses noirs bataillons,
L'infortuné frémit, même pour ses haillons,
Et baisse en gémissant ses yeux baignés de larmes.
Mais quel nouveau malheur ! J'entends, crier aux armes
La guerre et ses horreurs vont se renouveler,
Et le sang des Français va donc encore couler !
Oui bon peuple ! La paix, si hautement offerte,
N'étoit qu'un piège adroit pour consommer ta perte.
Tu n'en saurois douter en voyant nos revers
D'intrépides guerriers, l'honneur de l'univers,
Accoutumés à vaincre, à fixer la victoire,
Sont chassés sans pudeur des sentiers de la gloire ;
On les punit d'avoir détrôné tant de rois
On charge des fripons de défendre tes droits !
L'intrigant pour de l'or remplace le grand'homme ;
Thersite est triomphant ; et le vainqueur de Rome,
L'effroi de l'Austrorusse et du lâche Ottoman,
Sous le fer des bourreaux languit impunément.
Du plus pur de tes biens tes oppresseurs avides,
D'avance ont tout prévu. Tes magasins sont vides,
Tes arsenaux ouverts et sans munitions,
Tes remparts dépourvus, sans boulets, sans canons,
Tes forces sont partout éparses, dispersées,
Celle de tes soutiens en tous lieux affaissées ;
Et pour comble d'horreur, tes plus vaillans guerriers
Sont conduits à la mort sans habits, sans souliers
Peuple ! De tes Merlins, tel est l'infâme ouvrage ;
Ils t'ont fait tous ces maux. Dans leur aveugle rage,
Ils n'ont négligé rien pour te remettre aux fers.
Leur génie infernal, et leur esprit pervers
A répandu partout sa funeste influence.
Ils ont tout corrompu, jusqu'à l'innocence.
Vois tes vastes cités ! De modernes Titus
Sans esprit, sans talens, sans âme, sans vertus,
Adorateurs blasés de froides Messalines,
Petits porcs engraissés du fruit de leurs rapines,
De l'immoralité sont les prédicateurs.
Devant eux, un ramas de lâches corrupteurs,
Que je nomme à bon droit les vétérans du vice,
Élève en leur faveur une voix protectrice,
Les cite pour modèle à leurs concitoyens,
Et d'accord avec eux dévorent tous les biens.
La probité, l'honneur et la délicatesse,
Ces heureux sentimens que nourrit la sagesse,
Sont tout au plus pour eux des êtres de raison.
De la perversité, distillant le poison,
Ils osent s'honorer des malheurs de la France,
Contempler ses revers avec indifférence ;
Et de tes oppresseurs, célébrant les hauts faits,
S'associer sans honte à leurs lâches forfaits.
Bon peuple ! Ces tableaux qui font frémir de rage
De tes dignes enfans réveillent le courage :
Armés pour ta vengeance, et pour la liberté,
Ils vont en te sauvant sauver l'humanité.
Le Dieu qui de ce monde entretient l'harmonie
S'élève en ce moment contre la tyrannie ;
Son invisible main va creuser son tombeau.
Déjà de la raison rallumant le flambeau,
Tes vrais législateurs ont repris leur empire,
Sous leurs coups assurés la trahison expire :
Armés du fer des lois, qui doit seul te venger,
Sur tes vils assassins, ils vont le diriger.
L'astucieux fripon, le fournisseur avide,
Le ministre vendu, le directeur perfide,
Recevront à leur tour le prix de leurs forfaits :
La loi les atteindra dans leurs antres secrets.
Ils ont beau se cacher, se séquestrer du monde,
Ils n'échapperont point à son horreur profonde :
Leur supplice a d'abord commencé dans leur cœur ;
Ils éprouvent déjà le tourment de la peur.
Le traître à sa patrie est toujours sans courage :
Dans les temps les plus beaux, il croit voir un orage ;
Et plus il se soustrait à la hache des lois,
Et plus le scélérat se sent mourir de fois.
Bon peuple ! À la pitié, garde-toi de te rendre,
Tu n'en dois point avoir pour ceux qui t'ont pu vendre.
Saches les voir punir sans répandre de pleurs :
Où finiront leurs jours, finiront tes malheurs.
On ne peut se montrer trop dur, ni trop sévère
Pour d'indignes enfans qui poignardent leur mère ;
Qui pour s'approprier des honneurs et des biens,
Se baignent dans le sang de leurs concitoyens !
Non, non, toute pitié seroit alors un crime.
Qui trahit son pays, l'asservit ou l'opprime,
Doit subir, sans pardon, le plus rigoureux sort,
Et passer dans un jour de la vie à la mort.
Ah ! Si l'humanité, dont le nom seul t'enflamme,
Dont la voix retentit jusqu'au fond de ton âme,
Envers tes oppresseurs t'eût rendu moins clément ;
Bon peuple ! Ils n'auroient pas prolongé ton tourment :
Tu serois aujourd'hui, l'exemple de la terre,
Tu serois délivré du fléau de la guerre ;
Et libres, sous la loi, tes enfans satisfaits,
De la paix chaque jour goûteroient les bienfaits.
Mais que dis-je la paix ! Cette paix consolante ;
Je l'entrevois d'ici. Sa figure brillante
Se réfléchit déjà dans le temple des lois ;
On voudroit l'y fixer pour la première fois.
De tes législateurs, la constante harmonie,
Sur son trône ébranlé frappe la tyrannie ;
Empressés d'effacer la trace de tes pleurs,
Je les vois, sans pitié, fondre sur les voleurs ;
Substituer les lois au sanglant despotisme,
Et ranimer les feux du vrai patriotisme.
Ici, c'est l'orateur, et là c'est l'écrivain,
Qui jurent tour à tour d'embellir ton destin ;
Tous me semblent jaloux d'ajouter à ta gloire.
À ce serment, répond le cri de la victoire.
Je la vois s'élancer, diriger les combats,
Et couronner le front de tes vaillans soldats.
Partout je vois s'enfuir en horde vagabonde
Les esclaves tremblans des oppresseurs du monde :
Leurs bataillons épars, mutilés ou mourans,
Retournent expirer aux pieds de leurs tyrans ;
Et maudissant en vain la perfide Angleterre,
Du fardeau de leurs corps ils déchargent la terre.
Peuple ! En cet avenir vois la fin de tes maux !
Si tes législateurs frappent tous tes bourreaux,
À ta félicité rien ne peut mettre obstacle.
De l'univers entier tu seras le spectacle.
C'est chez toi qu'on viendra s'instruire, s'éclairer ;
Tu te verras partout chérir et révérer ;
Tes enfans enlacés dans les bras de la gloire,
À l'immortalité parviendront par l'histoire :
Et tes derniers neveux rendront, par leurs succès,
Le monde qui doit naître, un seul peuple français.