Épître de Georges de Londres à Frédéric de Berlin
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Quels enragés, mon cher confrère,
Que ces nouveaux républicains !
Point de quartier, pour cri de guerre,
Et pour manœuvre militaire,
La baïonnette dans les reins !
Voyez quels succès ils obtiennent !
Une victoire chaque jour !
Ce fameux Charleroi qu'ils prennent,
Comme on entre dans un faubourg !
Et ce Fleurus !… Dieu me pardonne !
Je jurerais à ce nom-là ;
Quand Luxembourg nous y rossa,
Ce fut de couronne à couronne,
Du moins qu'alors on batailla.
Mon gros prédécesseur Guillaume,
Trouvant du moins à qui parler
Dut aisément se consoler ;
Luxembourg était gentilhomme :
Un duc et pair, quoique bossu,
Est un adversaire de note ;
Par lui sans honte on est vaincu :
Mais il est dur d'être battu
Par un général Sanculotte.
Goddem ! C'est trop ! De tous côtés,
Voyez-vous nos villes se rendre,
Nos soldats fuir épouvantés
De la Belgique et de la Flandre !
Ces Français, comme des volcans,
Ont couvert notre territoire.
Moins rapides sont les torrents,
Les fougueux aquilons plus lents.
Je suis quasi tenté de croire
Que dominateurs de la gloire,
Et souverains des éléments,
Ils ont décrété la victoire.
Je date de ce jour maudit ;
Et j'ai fermement dans la tête
Qu'avec tous ses plans de conquête,
Cobourg ne sait trop ce qu'il dit,
Et que malgré tout son esprit,
Mon cher lord Pitt est un peu bête ;
J'enrage !… Et tenez ! Savez-vous,
Savez-vous bien que nous en sommes
Pour notre argent et pour nos hommes,
Et qu'on se moque encor de nous ?
Oui, s'en moquer ! La chose est claire :
Car on nous chansonne à Paris,
Quand on nous bat sur la frontière :
J'ai là-dessus de bons avis.
La dure vérité se mêle
À des traits piquants, acérés ;
Le sarcasme pleut comme grêle
Sur nos trônes déshonorés ;
Nos couronnes sont ravalées
Dans maint vaudeville malin ;
Par Gilles et par Arlequin,
Nos majestés sont persiflées.
On rit si fort à nos dépens,
Que par un revers de médaille,
Sur le théâtre où l'on nous raille,
Les peuples sont d'honnêtes gens,
Et nous autres rois, la canaille.
Voyez-vous ! J'ai peur quelquefois :
Je crains qu'un dénouement tragique
N'achève la farce des rois.
Par une étincelle électrique,
Le système se communique.
Notre siècle est philosophique,
Et l'on raisonne en tapinois.
Entre nous deux, soyons sincères :
Les rois ne sont point ici bas
Absolument bien nécessaires.
Quand un roi ne s'en mêle pas,
Un peuple en fait mieux ses affaires.
De cet aveu ne dites rien :
Je soupçonne qu'en république,
On peut vivre encore assez bien ;
Les rois sont chers à l'entretien,
Et quand on sait l'arithmétique,
Et qu'on a le choix du moyen,
On prend le plus économique.
Quel homme ne calculera
Que moins il nous en donnera
Et plus il en aura de reste ?
Pour nous, quel résultat funeste,
Si jamais on pense à cela ?
Avisez-y, la crise est forte.
Qui sait ce qui retournera ?
Le pauvre genre humain déjà,
Assez malgré lui nous supporte.
J'ai peur, je ne m'en dédis pas,
Que bientôt toute aille de sorte,
Qu'on mette nos trônes à bas,
Et nos majestés à la porte.
Que ferions-nous en pareil cas ?
Triste figure, je suppose.
Nous ne sommes bons qu'à régner,
C'est-à-dire, à très peu de chose.
Un roi sait manger son dîner ;
Mais, mon ami, je vous assure
Qu'il risquerait fort de jeûner,
S'il se trouvait, par aventure,
Jamais réduit à le gagner.
Denis, dépouille de l'empire,
Fut maître d'école, dit-on :
Comparaison n'est pas raison :
Denis avait appris à lire.
Ce talent-là lui profita.
Nos connaissances, assez minces,
Ne s'étendent pas jusque là.
Les rois (c'est démontré cela)
Sont ignorants comme des princes.
Mon camarade, il est constant
Que plus des trois quarts de la terre
Sont encor sots passablement ;
Fermant les yeux à la lumière,
L'univers est aveugle encor :
Prenons bien garde à son essor ;
Nous sommes perdus s'il s'éclaire.
En risquant cet événement,
Comme il se peut qu'incessamment
Des rois sonne l'heure suprême,
Il nous faut, en cas d'accidents,
Apprendre à travailler nous-même,
Et des métiers à nos enfants.