Épître à M. de La Fayette

Année de composition

1792

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Texte

Héros des vrais Français, aimable La Fayette,
De notre liberté deffenseur, interprête,
Ô toi dont la justice égale la valeur,
De nos concitoyens calme donc la ferveur,
Des différens partis déplorant la misère,
Hélas ! Dans tout Français reconnoissons un frère.

Une guerre civile est prête à dévorer
Notre grande famille et pour la déchirer,
Il semble que l'enfer ait lancé ses furies,
Et que de tout accord les sources soient taries.

Deux partis principaux sont dans la nation,
La noblesse et le peuple, et l'agitation
De leurs grands intérêts va partager la France ;
De leur sort on ne sçait quelle sera la chance,
C'est en versant du sang que l'on prétend juger,
Mais pour se définir faut-il donc s'égorger ?

Ne peut-on sans se battre étayer sa deffense ;
Où la raison suffit, il n'est besoin d'offense,
N'est-il pas bien certain que talens et vertus,
Égalent la noblesse ?… Hé-bien, que faut-il plus ?

L'État est la famille, un monarque est son père,
Soit, l'aîné, le cadet chacun n'est-il pas frère ;
Pourquoi trancher le nœud de nos distinctions,
Et donner des sujets à nos divisons ?
Et l'âge et la naissance et mérite et richesse
Distingueront toujours le peuple et la noblesse.

Oui c'est une chimère et grande absurdité
De prétendre dans tout l'exacte égalité ;
Or l'État monarchique étant une famille
Par différents moyens tour à tour on y brille ;
Vous aurez des petits et vous aurez des grands
Toujours on vit des sots et toujours des sçavants,
On ne peut empêcher qu'on soit fils de tel père,
Ceux-ci sont opulents d'autres dans la misère.

Et je suppose donc les nobles immolés
Des milliers sortiront des parchemins brûlés.
Vous en aurez toujours et vous aurez beau faire
De ces grands préjugés on ne peut se distraire.

Or de n'être point noble, et que m'importe à moi
Puisque pour le mérite on suit une autre loi,
N'est-il pas décidé que par toute la France
Les talens, les vertus tiendront lieu de naissance ;
C'est mon seul intérêt dès qu'il est reconnu,
Dans tous mes droits alors je suis donc maintenu.

Cet intérêt sans doute est celui du royaume
Celui de tout État, certe-il n'est pas un homme,
Qui ne puisse sentir que pour bien commander
Ce sont les seuls talens que l'on doit demander ;
Et la noblesse aussi s'y trouve intéressée.

Que personne autrement ne puisse être avancée,
Soit pour le magistrat, le prêtre ou général.

Que noble ou roturier on voye un amiral,
Notre dessein à tous est que sur le navire,
Il ait tout ce qu il faut pour défendre l'empire,
Le reste est préjugé, mousse l'eussai-je vu
Comme d'un ruiter j'admire sa vertu.

Nobles qui me lirez voyez la différence
Entre le vrai mérite et la simple naissance,
Et ne prétendez pas devoir seuls commander,
C'est un point principal qu'il vous faut accorder ;
Vous êtes nos aînés ; mais vous êtes nos frères :
Cessez de nous citer les vertus de vos pères,
Si vous leur ressemblez je vous respecterai ;
Si vous n'êtes que haut je vous mépriserai,
Car le plus bas artiste est souvent préférable
Au noble qui croiroit la science blâmable.

Toi donc mon commandant dont l'ardeur pour l'État
T'a si souvent montré général et soldat,
Ô mon cher La Fayette inspire à la noblesse
De tes vrais sentimens le titre et la justesse.

Que le peuple sur-tout reste dans tous ses droits
Mais qu'il n'en passe pas les véritables loix ;
Soit le médiateur des rixes intestines
Qui du plus vaste État préparent les ruines,
Que le peuple ait un roi ; mais qu'il n'en est pas mil,
Que nos frères bientôt sortent de leur exil.
Je ne vois que des clubs disposés à la guerre,
Mais je suis pour la paix, moi qui chéris mon frère.

Fatale providence ! En tes cruels desseins
De la France aujourd'hui, quels sont donc les destins,
Veux-tu que la moitié s'égorge avec une autre ?
Quelle faute énorme ; mil-et non pas-mille.
Ton bras pour nous détruire est-il moins que le notre,
Tu diriges nos coups, arrêtes-en le cours
Fais que la paix succède à tous ces affreux jours.

Rends-nous notre monarque et que des loix bien sages
De nos dissentions écartent les orages.
Entends les deux partis et dis quel est leur droit
Comme on n'a qu'un vrai dieu, n'ayons plus qu'un vrai roi.
La bonne foi sur-tout est ici nécessaire ;
Suivons-en le penchant si nous voulons mieux faire.

Si d'après l'intérêt chacun trace ses pas,
C'est surcharger le poid de tous nos embarras,
Nous n'en sortirons point, épuisés par la guerre,
On aura vu l'époux assassiner son frère &…
Ô mon cher général, prévenons ces malheurs…
Je frémis d'y penser… je finis… car mes pleurs…

 
 

Sources

BNF, Ye 55727.