Évacuation du territoire français, ou le Chant des triomphes de la France
Auteur(s)
Paratexte
Chanté sur une musique de Lesueur le décadi 30 vendémiaire, à la fête célébrée à l'occasion de l'évacuation complète du territoire français
Texte
Quand des montagnes de Pyrène
Par nos phalanges renversé,
Comme un rocher que l'onde entraîne,
Tombait l'Espagnol courroucé ;
Quand les deux aigles alliées,
D'un même coup humiliées,
S'enfuyaient loin de nos remparts,
Et que, d'un effort héroïque
Les conquérants de la Belgique
Écrasaient les fiers léopards ;
Un cri de deuil et d'épouvante
Ébranla les mers et le ciel ;
Et de la Tamise tremblante
Retentit jusques au Texel.
Alors la muse de la Seine,
Sur les murs de Valencienne,
Monta, ceinte des trois couleurs ;
Et touchant sa lyre savante
Éleva sa voix éclatante,
Et chanta l'hymne des vainqueurs.
Quel pouvoir unit et rassemble
Cette foule de nations ?
Quel dieu les fit marcher ensemble ;
Oubliant leurs dissensions ?
Vienne et Berlin, cités vénales,
Joignant leurs enseignes royales,
De rivales deviennent sœurs ;
Et le Batave tributaire
Dément sa haine héréditaire
Pour ses antiques oppresseurs.
Je vois l'Anglais, je vois l'Ibère,
Rangés sous le même étendard.
Ont-ils en vain juré la guerre
Sur les rochers de Gibraltar ?
Où donc est la vieille balance
Qui tenait dans la défiance
Tant de rivaux, tant d'ennemis ?
Qui donc a rompu l'équilibre ?…
Un peuple a dit : « Je serai libre » ;
Et tous les trônes sont amis.
Mais de ces hordes étrangères
Qu'ont produit les débordements ?
Elles ont franchi nos frontières,
Pour y laisser leurs ossements.
Tout ce colosse de puissance
N'est plus qu'une ruine immense,
Objet d'insulte et de mépris ;
Ce faisceau de sceptres sans gloire,
Frappé des mains de la victoire,
Se brise et tombe en longs débris.
Vous fuyez, ô troupe superbe !
Vous fuyez !… Et votre fierté
Promettait de cacher sous l'herbe
Le temple de la liberté !
Ligue impuissante et mercenaire !
Une dépouille imaginaire
Trompa les vœux de votre orgueil ;
Et de ce char de la vengeance,
Qui devait rouler sur la France,
Vous descendez dans le cercueil !
Vos espérances mensongères
Vous partageaient nos régions ;
Et vos plus puissantes barrières
Sont en proie à nos légions.
Les monts qui bordent l'Ibérie,
Les boulevards de l'Hespérie
S'abaissent devant nos destins ;
Leurs défenseurs demandent grâce ;
Et déjà la foudre menace
L'héritage des Palatins.
Le Rhin s'est troublé dans ses ondes,
À l'aspect de nos armements ;
Du sein de ses grottes profondes,
Il poussa des gémissements,
Le bruit de sa voix éplorée
Vint frapper l'orgueilleuse Sprée[1],
Et le Danube usurpateur ;
Racontant Cologne soumise
Et Bruxelles deux fois conquise
Par un pouvoir libérateur.
Des Français immortel génie,
Songe, parmi tant de lauriers,
Que la hideuse tyrannie
S'est assise dans tes foyers.
Elle eut pour mère l'ignorance :
Ces deux monstres ont sur la France
Épanché leur plus noir poison :
Guéris ses maux, taris ses larmes,
Et joins au succès de nos armes
Les triomphes de la raison.
Que la sagesse protectrice
De la paisible égalité,
Soit la seule dominatrice
Des enfant de la liberté ;
Que l'anarchique turbulence,
Et la sanguinaire démence
S'anéantissent à sa voix :
Que sa main ferme et vénérable
Élève un monument durable
Qui n'ait pour base que les lois !
- ^ Rivière qui coule à Berlin