Fin du dix-huitième siècle (La)
Auteur(s)
Texte
Je ne puis plus garder un coupable silence ;
La sottise, en personne, au Louvre a pris séance ;
Elle y foule à ses pieds le mérite ignoré,
Et lève avec orgueil un front déshonoré.
Chaque jour voit grossir ses nombreux prosélytes,
Rimeurs salariés et penseurs hypocrites.
Muse, montrons à nud[sic] ces modernes héros ;
De leurs trônes, enfin, précipitons les sots.
Je sens qu'aux cœurs bien nés il coûte de médire ;
Je connais les dangers qu'enfante la satire ;
Mais, quoi ! Je souffrirai que de minces auteurs,
Des chef-d'œuvres de l'art insolens détracteurs,
Philosophes bouffis et poètes sans grâce,
La férule à la main, régentent le Parnasse !
Tranquille, j'entendrai ces écrivains gagés,
Destructeurs insensés d'utiles préjugés,
Charlatans effrontés qu'éleva la cabale,
Préconiser le crime en parlant de morale !
Non : j'irai dans leur temple attaquer ces faux dieux
Et détruire à jamais leur culte dangereux.
Je n'ai point consulté les forces de ma lyre,
Et l'indignation est le dieu qui m'inspire ;
Mais dût de mes écrits le style froid et lourd
Me placer dans la fange à côté de Baourd
Dût le public, riant d'une orgueilleuse emphase,
Me couvrir du mépris dont il couvre Despaze
N'importe, il faut flétrir ces savans brevetés,
Et poser le cachet sur leurs fronts déhontés.
Sur les débris fumans de quatre académies,
Le Louvre, dans ses murs, voit siéger nos génies.
Là, Roederer discute, et d'un œil dédaigneux,
Ne craint pas de fixer l'ombre des Montesquieu ;
Là, Chénier, tout bouffi d'un triomphe éphémère,
Foule tranquillement le fauteuil de Voltaire ;
Là, pour nous éclairer, des écrivains pesans,
Au nom de la raison, insultent au bon sens.
L'un, nourri des erreurs de la philosophie,
Fait penser la matière et lui donne la vie,
Et l'autre, en ses écrits, docteur désespérant,
Plus philosophe encor, ne rêve que néant.
Nature ! Ton nom seul enfante des merveilles :
Nos savans, à ta gloire, ont consacré leurs veilles ;
Dessale, en te chantant, a juré de vieillir,
Et ce nouveau Platon n'a pu te définir.
Voilà les dieux nouveaux que l'on adore en France :
La raison les proscrit, la foule les encense.
Mais Lalande
Du Créateur suprême il veut priver les cieux ;
Ridicule pédant, étonné de sa gloire,
Qui prend pour du génie une heureuse mémoire,
Fatigue l'Univers du bruit de ses travaux,
D'étoiles, qu'il croit voir, parsème les journaux,
Et desséché d'envie, au fond de son collège,
Pleure sur les lauriers de l'Almanach de Liège.
Beaucoup de vanité tient lieu d'un grand savoir ;
Sur le banc des Newton Lacroix
Toujours vide de sens et toujours plein d'emphase,
Le compas à la main, mesurant une phrase,
Et, pour ne rien trouver, sans cesse analysant,
Garat donne des loix à ce Sénat pensant :
Au nom de Condillac, vous le voyez sourire,
Et Chénier, dans ses vers, caresse son délire.
Écrivain sans vigueur, et philosophe obscur,
Dupuy
Du sublime Caton louangeur léthargique,
Mercier ferait bâiller toute la république.
Ce n'est qu'à l'Institut qu'on l'entend sans dormir.
Plus on est sot au Louvre, et plus on fait plaisir.
Là, Villar peut parler, sans craindre, qu'on le hue ;
Mais les sifflets vengeurs l'attendent dans la rue.
J'ai vu naître à Paris ces obscurs novateurs ;
Je les ai vus dans l'ombre annoncer leurs erreurs,
Encenser la grandeur à leurs yeux importune,
Et d'un air suppliant adorer la fortune.
Qu'ils savent, avec art, séduire les esprits !
L'humanité respire en leurs touchans écrits ;
Sans cesse, en leurs discours, vantant la tolérance.
Ils couvrent leurs forfaits d'une douce apparence.
Vous êtes démasqués, sectaires imposteurs :
Vous parlez de vertus ! Le fiel ronge vos cœurs.
Sans exhumer ici vos nombreuses victimes,
Des milliers d'échafauds attesteront vos crimes.
Vous triomphez, cruels, et le sang des Français,
À grands flots répandu, cimenta vos succès.
Rougissons donc enfin d'honorer ces faux sages ;
Ce n'est qu'à la vertu que l'on doit des hommages.
Quel est ce froid rêveur qui, depuis soixante ans,
Sur les impôts publics délire à nos dépens,
Entasse lourdement volume sur volume,
Et croit que le pactole est au bout de sa plume ?
Je reconnais Dupont
Je vois sortir encore un système nouveau.
Une seconde fois il appauvrit la France ;
C'est ainsi qu'on travaille un Empire en finance :
Mais, plus le mal est grand, plus il faut espérer ;
Un bon emprunt forcé saura tout réparer.
Aimable Bernardin, tu ris de nos sottises,
Et nous rions aussi, quand tu nous moralises.
Saint-Pierre à l'Institut ! Que fait-il en ce lieu ?
Pauvre esprit ! Je le plains ; il croit encore en Dieu.
En contemplant les cieux, son âme est attendrie :
Le sentiment fait tort à la philosophie.
Ces savans, mieux choisis, seraient plus dangereux ;
Mais tout, excepté Dieu, tout est reçu chez eux.
J'épargne, dans mes vers, les valets de la secte ;
Mon pied n'écrase pas un misérable insecte.
Frapperai-je Naigeon
Qui ne sait pas, sans moi, que Naigeon est un sot ?
Frapperai-je Merlin, dont la folle puissance,
Par un décret atroce
Son nom seul le flétrit bien plus que mon pinceau.
Exhumerai-je enfin, du fonds de son tombeau,
Ce pesant Morellet
Prépare un supplément à l'Encyclopédie ?
Ah ! Qu'ils dorment en paix, ces ennuyeux auteurs !
Ils n'ont que trop long-tems endormi leurs lecteurs.
J'admire ces savans, sortis de la poussière ;
En vers ainsi qu'en prose, ils gouvernent la terre ;
Dans leurs discours pompeux ils proclament nos droits :
Je crois, en les voyant, voir un Sénat de rois.
Mais, d'un œil curieux, si de près j'étudie
Ces nobles champions de la philosophie,
Je les verrai bientôt, lâches adulateurs,
Encenser à genoux nos modernes grandeurs,
Et glorieux du prix que l'on met à leurs plumes,
Pour flatter un tyran, produire cent volumes.
Un peu d'or adoucit leur sévère âpreté :
Ils vantent de Rewbel l'austère probité,
Du sensible Threillard la douce tolérance,
Et du bavard Merlin l'énergique éloquence.
Ainsi Caton-Mercier, quand il n'a pas dîné,
À défendre ses droits devient moins obstiné ;
Le besoin est son maître
Il canoniserait le larron du Calvaire
Ils ont parlé ; … mortels, respectez leurs arrêts ;
De la sottise armée adorons les décrets,
Irai-je, obéissant au démon qui m'inspire,
Agiter dans mes vers le fouet de la satire ?
Eh ! Ne voyez-vous pas les méchans et les sots,
Pour sceller ma pensée, inventer des complots,
De la presse indignée augmenter les entraves,
Et me charger des fers destinés aux esclaves.
Heureux, trois fois heureux, si par-delà les mers
Ils ne font pas voguer le poète et ses vers !
Poultier seul, parmi nous, librement peut écrire ;
Quand on est aussi bête, on a droit de tout dire.
Amalric et Thuau
De mensonge et de fiel barbouillez vos pamphlets ;
Au parti triomphant vendez la calomnie ;
L'honneur n'est rien pour vous, vivez d'ignominie.
Ah ! Je ne suis pas né pour un si bas emploi ;
Je ne sais pas ramper ; l'honneur est tout pour moi.
On ne me verra pas, poète mercenaire,
Au milieu de la nuit, proclamer la lumière,
Célébrer dans les fers l'auguste liberté,
Chanter, dans mon grenier, la douce égalité,
En triomphe brillant transformer nos défaites,
Et vanter de Jourdan
Chaque chose, chez moi, se nomme par son nom ;
J'appelle un sot un sot, et Schérer un fripon.
Si je voyais du moins leur prudente ineptie
Se masquer à propos d'un-peu de modestie !
Mais je trouve par-tout l'insolence et l'orgueil ;
De tous nos parvenus c'est le fatal écueil.
Fuyant les bords du Rhin, qu'il n'a pas su défendre,
Jourdan, deux fois battu, se croit un Alexandre ;
Briot, à la tribune, efface Cicéron ;
Bailleul a les vertus et l'âme de Caton.
Charlatan philosophe, et docteur politique,
Cabanis, aujourd'hui, traite la république ;
On n'est pas, avec lui, malade impunément.
Le sot qui vit encore, on ne sait trop comment,
Debry croit valoir seul cent Encyclopédistes.
À Rastadt, il est vrai, chez de grands publicistes,
Il dînait fréquemment, et même dînait bien ;
Mais hier, entre nous, Debry ne savait rien ;
Quinette
Dans son palais surpris, se contemple et s'admire.
Un sot est toujours sot, même au sein des honneurs.
Mais des maux plus réels appellent tous nos pleurs.
L'Empire vers sa chute à grands pas s'achemine,
Et la corruption prépare sa ruine.
Ô mœurs ! Ô tems anciens ! Qu'êtes-vous devenus ?
Le Français philosophe a-t-il plus de vertus ?
Eh ! Quel siècle jamais fut plus fécond en crimes ?
Quand vit-on triompher plus d'affreuses maximes ?
La France est à l'encan : par de lâches contrats,
L'or achète aujourd'hui d'infâmes magistrats.
Il n'est point de forfaits que le crédit n'efface,
Les loix sont sans honneur ; on les vend sur la place,
Et l'État aux traitans indignement livré,
Par d'avides vautours se verra dévoré.
Voici ces grands, parvenus à force de bassesses,
Au sein des voluptés épuisant nos richesses ;
Vois-les d'un train superbe ébranler tout Paris,
Insulter à nos pleurs et braver nos mépris.
Le crime doit-il donc triompher sur la terre ?
Non… Ils vont à l'instant rentrer dans la poussière.
Ô ciel ! Je te rends grâce, ils n'ont régné qu'un jour.
La sévère équité va régner à son tour
À ces grands criminels, amantes scandaleuses,
Des femmes ont vendu leurs faveurs dangereuses,
Et fières des honneurs de la publicité,
Affichent hautement leur impudicité.
L'éclat des diamans, ornemens adultères,
Embellit de Laïs les charmes mercenaires.
D'un rubis précieux son front étincelant
Efface du soleil le disque éblouissant.
Sur son sein effronté l'émeraude serpente ;
Elle parle ; à sa voix, la France obéissante
Vote un nouvel impôt pour parer ses atours ;
Le peuple est trop heureux de payer ses amours.
Bientôt, pour satisfaire à sa folle dépense,
Laïs trafiquera de sa toute-puissance ;
Elle tiendra chez elle un bureau de faveurs ;
Le crime deviendra l'échelle des honneurs.
Ah ! De nos fiers guerriers que nous sert le courage ?
Nos mains, nos propres mains ont détruit leur ouvrage ;
Leur sang au champ d'honneur conquit la liberté,
Et nous, nous la perdons par l'immoralité.
Tel on vit autrefois, dans les jours de sa gloire,
Un peuple de héros enchaîner la victoire :
Rome à son char vainqueur attacha tous les rois,
Et l'univers soumis, se courbant sous les loix,
Adorait en tremblant cette reine du Tibre ;
Rome perdit ses mœurs, et cessa d'être libre.
Mais un nouveau spectacle a frappé nos regards.
La France a vu pâlir le flambeau des beaux-arts ;
Des genres confondus l'assemblage grotesque,
Unit grossièrement le sublime au burlesque ;
Aux règles du bon goût l'on n'est plus asservi.
Le plus extravagant est le plus applaudi,
Et du faux bel esprit la bizarre manie,
Dans ses nobles élans comprime le génie,
Muse, sur leurs tombeaux pleurons les grands talens :
Le théâtre a perdu ses plus beaux ornemens.
Les grands hommes sont morts, et Chénier les remplace
Fénelon m'affadit ; Timoléon me glace ;
J'aimerais Charles-neuf, si, dans son chancelier,
Au lieu de l'Hôpital, je ne trouvais Chénier
Poète harangueur, il déclame avec zèle,
Et ses héros formés sur le même modèle,
D'un auteur détesté trop fidèles portraits,
S'ils lui ressemblaient moins, seraient moins imparfaits.
Périandre n'est plus
Maudit depuis deux ans les sifflets du parterre
Et Médicis expire à la fleur de ses ans.
Tous ces rois de nos jours ne vivent pas long-tems.
Auteur infortuné d'un drame épouvantable,
Laya pleure en secret sa chute lamentable.
Beffroi sourit encore à ses niais bons mots ;
Mais le pauvre cousin n'amuse que les sots.
Des troubadours français audacieux émule,
Piis se croit plaisant et n'est que ridicule.
Illustre fondateur du paradis des sots
Poursuis, mon cher Piis, tes glorieux travaux ;
Réunis les Cotins dont la France fourmille ;
Il est si doux de vivre au sein de sa famille !
Camaille
Sur la scène française a traduit nos romans.
Au secours de sa muse il évoque les diables,
Des chaînes, des bourreaux, des spectres effroyables ;
Tremblant à cet aspect, je me crois aux enfers,
Et je maudis l'auteur, son sujet et ses vers.
Vainqueur de tes rivaux et maître de la scène,
Auteur d'Agamemnon, console Melpomène ;
Qu'Églantine, armé d'un chef-d'œuvre nouveau,
S'élance triomphant du fonds de son tombeau,
Et que, rendant Thalie à sa gaîté première,
L'ingénieux Picard nous rappelle Molière.
À ces auteurs charmans voulez-vous ressembler ?
C'est en les imitant qu'on peut les égaler.
Comme eux, aux loix du goût soyez toujours fidèles ;
Étudiez votre art, et que les grands modèles,
Du feu qui les brûlait, embrasent vos écrits ;
Le clinquant passera, l'or a toujours son prix ;
Lorsque tout s'engloutit dans une nuit profonde,
Le génie est debout sur les débris du monde ;
Mais nos faiseurs de vers périront tout entiers,
La tombe engloutira leurs précaires lauriers.
Cependant, dans ce siècle en sottises fertile,
Le plus bizarre auteur trouve un lecteur facile ;
Sa muse par milliers compte ses défenseurs,
Et bientôt d'un Lycée elle obtient les honneurs.
Misérable rebut de la littérature
Cubières croupissait dans une fange impure,
Et jamais, dans les lieux que chérit Apollon,
L'on n'avait entendu l'injure de son nom.
Il ose enfin paraître et bravant la critique,
Plein d'opprobre et d'audace il s'élance au Portique.
Piis lui tend les bras, et ces auteurs fameux,
Poursuivis par nos cris, se consolent entr'eux.
Bientôt, pour se venger, ils vont encore écrire.
Ah ! Barbares rimeurs ! Faudra-t-il donc vous lire ?
Le supplice est cruel ! Et, quels sont mes forfaits ?
Moi, vous lire ?… Non, non, j'en appelle aux sifflets :
Sifflons donc de Vigé les petits vers en prose.
Auteur d'un froid journal, il se croit quelque chose,
Et fier contemporain de la postérité,
Il avale à longs traits son immortalité.
Dans des vers que lui dicte une molle indolence,
Le tendre Coupigny soupire une romance.
Enfant de la faiblesse, elle meurt en naissant ;
Le Léthé, sur ses bords, sourit en la voyant.
D'un ton plus élevé, poète pindarique,
Lebrun fait retentir la trompette héroïque ;
Il chante les combats, célèbre les guerriers,
Et ses vers boursouflés meurent sur des lauriers.
Je ne sais quel penchant le porte à l'épigramme ;
Contre un faible ennemi sa colère s'enflamme ;
Il attaque, il triomphe, et son talent vainqueur
Assomme d'un seul coup Domergue et le lecteur
Sauvons-nous, j'aperçois le lourd Lachabeaussierre,
Sa massue à la main, sortant de la poussière.
Nous menacerait-il d'un poème nouveau ?
Ou bien vient-il encore, oubliant son tombeau,
De ses maussades vers, de sa prose maussade,
Accabler sans pitié le Mois et la Décade
L'aimable…, galant à cheveux blancs,
Présente à nos Iris ses vers et soixante ans.
Amant transi de froid, et poète de glace,
Il éprouve à la fois une double disgrâce.
Du cygne de Mantoue, assassin traducteur,
Fayolle, impunément, massacre son auteur ;
Et plus cruel encor, Milon, dans sa colère,
A juré, par le Styx, qu'il traduirait Homère
Quelle aveugle fureur ! Barbares, arrêtez.
Craignez de profaner ces antiques beautés ;
De ces illustres morts n'outragez pas la cendre ;
Les siècles indignés sont là pour la défendre.
Quel est donc le démon qui vous force à rimer ?
Dans un travail ingrat pourquoi vous consumer ?
Pour traduire un poète, il faut être Delille
Souvent, en le lisant, je crois lire Virgile ;
Oui, voilà son pinceau, voilà son coloris ;
Cette grâce touchante anime ses écrits.
Ô Virgile français ! Que jamais ta présence
D'un bizarre Institut n'honore la séance !
Le conteur Andrieux se croirait ton égal,
Et tu serais assis auprès de Lakanal
Et toi, Desforge aussi, tu parais sur la scène !
Fuis, auteur dangereux, fuis, écrivain obscène ;
Ton nom seul fait rougir la pudique beauté ;
Vas porter ton encens à l'immoralité.
Heureux qui dans ses vers, ami de la décence,
N'a jamais offensé la timide innocence !
Tu goûtes ce bonheur
Tes vers sont sans danger, puisqu'on ne les lit pas.
Mais un soleil nouveau vient éclairer la terre.
Thélusson
Rival de l'Institut ! Centre des immortels !
Salut… Je vais jeter des fleurs sur tes autels.
La sottise en ce jour quitte sa résidence,
Et veut de Thélusson présider la séance.
Elle vient au milieu de ses nombreux enfans
Épancher son amour en doux embrassemens.
Lemierre à ses côtés paraît tout en extase ;
Un fanal à la main, l'harmonieux Despaze
Marche seul devant elle et dirige ses pas.
À son cher Lormian elle donne le bras.
Chaque auteur embellit sa marche triomphante.
Vigé porte le pan de sa robe flottante,
Vigé… le fruit heureux de ses chastes amours.
D'un léger éventail
Le poète Milon, son courtisan fidelle,
Caresse de son front la fraîcheur éternelle,
Par-tout sur son passage, on sème des pavots,
Du galant Demoustier les ouvrages moraux,
Du triste Coupigny les stances lamentables,
Du fameux Saint-Marcel les vers trop peu durables,
Et les délassemens du comique Néron
Pour la première fois, riant à l'Odéon.
Sous les traits de Castel, l'ennui suit la déesse ;
Le sommeil nonchalant l'accompagne sans cesse,
Il bâille, la langueur amortit tous ses sens ;
On dirait qu'il écoute un discours aux Cinq-Cents,
Ou qu'il lit les romans du fantôme Lemierre ;
Près d'elle on voit encor cette ignorance altière
Jetant sur le génie un regard dédaigneux,
Ces systèmes obscurs et tous ces rêves creux,
Qu'en dépit du bon sens, au Louvre on déifie,
Lorsqu'au nom révéré de la philosophie,
Des savans par décret, ridicules penseurs,
Osent insolemment proclamer leurs erreurs.
La sottise, en entrant dans son nouvel empire,
Se croit à l'Institut, on l'entoure, on l'admire ;
L'encens de la louange enivre son orgueil ;
Le président Lebrun lui cède le fauteuil.
Dans chaque auteur présent elle voit son image ;
Mais Cubières est celui qui lui plaît davantage.
Réponds à son amour, aimable chevalier ;
Je verrai de vos feux naître
Arnaud et Legouvé, l'on dit que la sottise,
En vous apercevant, recula de surprise.
Mais déjà nos auteurs, prêts à se signaler,
Mesurent la tribune et brûlent de parler.
Luce, sifflé deux fois, veut venger Périandre,
Et devant la sottise, il prétend le défendre.
Sur le langage Chien
Despaze enfin parvient à se faire écouter.
De son épître aux sots entendez la lecture ;
C'est en s'étudiant qu'il a peint la nature,
Charme puissant des vers ! Le poète vainqueur,
Heureux dès son début, endort son auditeur.
Et lasse d'écouter, la déesse assoupie,
Penche languissamment sa tête appesantie.
Mais Baourd à l'instant, la réveille en sursaut :
Madame, écoutez-moi, voici mon dernier mot.
Vous prenez, lui dit-elle, une peine inutile,
Mes instans sont comptés, je vais au Vaudeville.
Heureux si cet essai, par les sots redouté,
Porte leurs noms flétris à la postérité !
De ces sots honorés, je crains peu la vengeance ;
Je l'ai juré ; je veux les réduire au silence ;
Ils cesseront d'écrire, ou, d'un œil satisfait,
Je les verrai tomber sous les coups… du sifflet.