France libre (La)

Auteur(s)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Paratexte

Poëme héroïque, dédié aux braves Parisiens, et à tous nos frères des départemens, qui ont juré, sur l'autel de la Patrie, la République une et indivisible

Texte

Oh ! Quand viendra ce temps, où l'univers en paix,
Comme la France enfin, sera libre à jamais.
Cent rois, au nom du Ciel, se partageaient la terre ;
Le reste des humains naissait leur tributaire :
C'est ainsi qu'on voyait, dans nos tristes pays,
Sous le joug de nos rois, les peuples avilis.
À Rheims, de l'huile sainte arrosait-on leur tête,
Nos personnes, nos biens, devenaient leur conquête ;
Tout leur était permis, et l'absolu pouvoir
Était, dans tous les temps, leur règle et leur devoir.
Il n'est plus ce temps, où sous la verge sacrée,
Des feux de l'encensoir, la France dévorée,
Au crime toujours prête, esclave de ses rois,
Souillait sa dignité, méconnaissait ses droits.
Un Sénat adoré, dans le siècle où nous sommes,
Joint à l'humanité les talens des grands hommes ;
D'un peuple souverain il sert les intérêts ;
Mais la seule vertu cimente ses décrets.
Ces hommes dont la paix, l'amour, la bienfaisance,
Composaient le feu pur et la céleste essence,
Qui voyaient, sur leurs pas, tous les cœurs empressés ;
Robespierre et Marat, quels noms j'ai prononcés !
Ce n'est qu'avec des pleurs que l'on peut les redire,
À la prière, aux vœux de tout ce vaste empire,
Au cri du monde entier et de l'humanité,
Consacrant leurs travaux à l'immortalité,
Renversant de Capet la funeste existence,
En république enfin, ils ont changé la France ;
Ils ont brisé ces nœuds du trône et des autels,
Sous lesquels ont gémi trop long-temps les mortels.
Citoyens généreux, non serviles esclaves,
Les Français ont des loix et non pas des entraves.
Le devoir est borné, mais l'amour ne l'est pas ;
Au pouvoir légitime il donne mille appas.
L'homme à l'homme est égal, sans tyran et sans maître,
Oui, mon pays est libre, il est digne de l'être ;
Il a frappé de mort le dernier des Louis.
Les arts, enfans du Ciel, du Ciel présens chéris,
Répandent, parmi nous, leur clarté la plus pure,
Des esprits cultivés solide nourriture ;
Ils nous ont amené, sur leurs pas bienfaisans,
La raison, fruit tardif de l'étude et des temps.
Cette douceur aimable, aux mœurs si nécessaire,
Par qui, même à l'Anglais, le Français savait plaire ;
La tendre humanité, les vertus, les plaisirs,
Et tous ces goûts, enfans d'ingénieux loisirs.
Ô France ! Ils t'ont appris à connaître une gloire
Au-dessus de l'éclat dont brille la victoire ;
À combattre sans haine, à vaincre sans orgueil,
À voir tes ennemis, tes enfans du même œil,
À dompter tes rivaux sans le secours des armes,
Par ton humanité, ta sagesse et tes charmes ;
À chasser loin de toi ces préjugés honteux,
Ces mensonges grossiers, qui faisaient, à tes ayeux,
D'une illustre naissance un néant honorable,
Et du commerce utile un trafic méprisable.
Les arts, par leurs travaux, leurs préceptes flatteurs,
Par tes représentans, leurs écrits bienfaiteurs,
Dans l'amour des humains affermissant ton âme,
Des plus beaux sentimens ils y versaient la flâme ;
Ils échauffaient sur-tout ton zèle et tes transports,
Pour que la Liberté couronnât tes efforts.
Ils te peignaient de Mars la demeure chérie ;
La valeur, dans ton sein, y brillait ennoblie ;
Par leurs fameux combats, leurs sublimes dessins,
Tes enfans courageux surpassaient les Romains ;
Ils te montraient le Louvre, utile à ma patrie,
Qui va reprendre enfin sa majesté flétrie ;
Ton fier Sénat, armant un peuple de vainqueurs,
Le Belge succombant sous tes foudres vengeurs ;
Tandis que tes vaisseaux, nés à sa voix féconde,
Allaient porter ta gloire au bout du nouveau monde ;
Tandis qu'en écartant la guerre de tes bords,
Contre la perfidie il assurait tes ports ;
Qu'il effaçait ta honte et ton ignominie,
Qu'il relevait ta gloire et ton puissant génie,
Tu recueillais le fruit de ces heureux bienfaits ;
Les foudres d'Albion ne troublaient point ta paix.

Le Dieu de l'univers, le maître des royaumes,
Qui voir, sous sa grandeur, (pareils à ces fantômes
Que les rayons du jour font disparaître et fuir),
Les empires divers naître et s'évanouir,
En créant chaque état, et le couvrant de l'aile
D'un ange tutélaire, à sa garde fidèle,
Le soumit aux fureurs d'un démon malfaisant.
Qui souvent, plus que l'ange, est heureux et puissant.
Sur ses décrets profonds, que l'humaine faiblesse
Tremble d'interroger, l'éternelle sagesse :
Dieu voulut. À ce mot, Terre, prosternes-toi !
Baisse les yeux, adore et fléchis sous sa loi.
La France, son ouvrage, ainsi que chaque empire,
A son mauvais génie armé pour la détruire ;
C'est ce démon jaloux, qui, domptant à la fois
Le cri de la Nature et la force des loix,
D'un grand peuple outrageant le pouvoir légitime,
Lui veut donner un roi pour couronner le crime,
Attire vers nos bords les sanglans léopards,
Mille peuples trompés aux pieds de nos remparts.
C'est lui qui, répandant l'aveugle esprit de schisme,
Allume, en nos climats, le feu du fanatisme,
De notre propre sang nous fait verser des flots,
Au sein de la Vendée entr'ouve ses tombeaux.
Il venait de quitter les champs de l'Angleterre,
D'y souffler, contre nous, les horreurs de la guerre ;
Il atteignait nos bords, en franchissant les mers :
Il apperçoit un roc, l'épouvante des airs ;
Sur sa cime s'élève un édifice immense,
Où paraît d'un Dieu même habiter la puissance ;
Ses murs d'acier poli, de lumière éclatants,
Renvoyaient, au soleil, mille traits plus brillants ;
Deux portes de cristal et d'argent rayonnantes,
Pareilles, en richesse, aux portes transparantes
Que les heures ouvraient devant le Dieu du jour,
Annonçaient aux regards ce merveilleux séjour.
Le génie étonné, qu'attire ce spectacle,
Y vole. Une statue est le premier miracle,
Qui, dans ces lieux, se montre à son œil curieux,
Un laurier couronnait son front victorieux ;
La douceur tempérait sa majesté suprême ;
La modeste vertu tenait son diadême :
À ses pieds rugissait le démon des combats ;
La sainte humanité la serrait dans ses bras,
Avec ces doux transports, prix de la bienfaisance,
Et semblait la montrer à la reconnaissance ;
Qui lui baisait les mains et les baignait de pleurs ;
L'amour, pour son tribut, lui présentait des cœurs.
Monumens de vengeance et d'éternelles haines,
Esclaves frémissans sous le poids de vos chaînes ;
Vous, Français, insultés par ce trophée honteuxLa place des Victoires,
Peuples humiliés, illustres malheureux, 
Victimes de l'orgueil et d'un pouvoir trop vaste,
Vous n'environniez point cet image sans faste ;
Des États rassurés et commis à sa foi,
Des frères, des heureux, égaux devant la loi ;
La victoire modeste adoucie à sa vue :
Voilà quels monumens entouraient sa statue.
Au lieu de murs détruits et de brillans forfaits,
Sur le marbre sensible on lisait ses bienfaits.
La chaste vérité, que tout ornement blesse,
Au-dessous de l'image assise avec noblesse,
Offrait ces mots inscrits de ses sévères mains :
Auguste Liberté, sois le Dieu des humains.
Quoi, c'est la Liberté, s'écrie, ivre de rage,
Le perfide génie ? Oui, tu vois son image,
Dit une voix qui vient irriter la fureur
Du démon de la France ardent persécuteur ;
C'est elle-même. Ici la vertu révérée,
À d'immortels honneurs est, par moi, consacrée ;
Tandis que sur la terre, exposée à tes coups,
Elle éprouve souvent ton infernal courroux.
Ici la vérité sait lui rendre justice :
Vois notre liberté ; qu'elle soit ton supplice ;
Sur mes dons éternels tu n'as aucun pouvoir ;
De ce spectacle heureux nourris ton désespoir.
Mais, c'est assez souffrir que ton œil la contemple :
Sors ; l'immortalité te chasse de son temple.
Ah ! Français, c'en est trop, vos décrets, vos états,
Vos vertus, à mes yeux, de nouveaux attentats,
Vont disparaître tous sous ma propre vengeance.
Il dit, et, dans les cieux, le barbare s'élance ;
D'une trace enflâmée il sillone les airs,
Se précipite et tombe au gouffre des enfers,
Et dans ses flancs, d'où sort une vapeur impure,
L'abîme l'engloutit avec un long murmure.

Digne rival d'HomèreMilton, ô ! Toi dont les pinceaux,
Nous tracent de l'enfer les brûlans soupiraux,
Dans ses champs désolés malgré nous nous entraînent,
Par un plaisir affreux toujours nous y ramènent ;
Viens m'enseigner cet art qui maîtrise l'esprit,
Qui te faisant régner en tyran qu'on chérit,
Verse un jour séduisant sur tes clartés funèbres,
Et prête des attraits à l'horreur des ténèbres.

Il est, près de ce lieu, du soleil abhorré,
Séjour de désespoir, aux tourmens consacré,
Une caverne obscure encore plus effroyable,
Plus lugubre, plus sombre et plus épouvantable ;
Le démon qui creusa ce gouffre de terreur,
Recula consterné de crainte et de frayeur ;
Les torches de la mort éclairaient cet abîme,
Le cachot de l'horreur et le berceau du crime.
Sur un tombeau plaintif, et qui lui sert d'autel,
L'esprit le plus farouche et le plus criminel,
Éternel inventeur de nouvelles souffrances,
À cet antre préside, y dicte ses vengeances ;
Assise sur son front, avec tous ses serpens,
Sa rage en fait jaillir mille éclairs menaçans ;
D'une main il agite un glaive parricide ;
L'autre main s'applaudit d'une coupe homicide,
Écumante de pleurs de sang et de poisons.
Au tour du tombeau vole un peuple de démons,
Tels que d'impurs oiseaux que les ombres font naître,
Ministres empressés d'obéir à leur maître ;
À ses pieds sont rangés des poignards assassins,
Tous les traits dont la mort immole les humains.
C'est là que sont nourris ces crimes dont l'audace
Plus d'une fois du monde a pu changer la face ;
L'ignorance, l'orgueil, l'ardente ambition,
Le plus cruel de tous, la superstition,
La tyrannie enfin. C'est de là que s'envolent,
Sur ce globe tremblant que leurs fureurs désolent,
Ces esprits destructeurs qui soufflent le trépas,
La famine, la peste, et la soif des combats ;
Qui n'étant appuyés que d'autels et de trônes,
De la terre allarmée ébranlent les colonnes,
Et de cet univers font un vaste tombeau :
La France brûle encore du feu de leur flambeau.
C'est là que sont forgés ces glaives de la guerre,
Ces chars ensanglantés qui ravagent la terre,
Tous ces sceptres d'airain, ces chaînes et ces fers,
Dont cent tyrans heureux accablent l'univers.
Là d'un limon impur détrempé dans vos flammes,
Démons vous paîtrissez ces infernales âmes,
Instrumens des forfaits et de la cruauté,
Fléaux de la Nature et de l'humanité,
Par le vil intérêt aux attentats vendues,
De l'échafaud vengeur à vos cachots rendues.
Là, le dirai-je enfin, dans un obscur détour,
Sanctuaire abhorré de cet affreux séjour,
Prêtresse de l'erreur et de la barbarie,
Le bandeau sur les yeux, une sombre furie,
Aiguise des poignards au nom d'un Dieu de paix,
Pour égorger encore des millions de Français,
Et tenter de nous rendre à nos antiques chaînes,
Pour assouvir enfin les criminelles haines
De tous les rois ligués contre la liberté,
Qui voudraient avilir toute l'humanité.

Notre persécuteur vient d'abîme en abîme,
Rouler jusqu'en ces lieux la fureur qui l'anime ;
D'une nouvelle horreur cet antre se remplit,
D'un long gémissement la voûte retentit,
Elle s'ouvre… Mon frère, entends ma voix plaintive,
C'est trop longtems laisser notre fureur oisive,
Ramasse tous tes traits, rallume ton courroux,
Que l'empire français s'écroule sous nos coups.
Pour hâter sa ruine il nous faut de grands crimes,
Les meilleurs citoyens, les plus chères victimes…
Je t'en ai dit assez, moi-même j'en frémis.
À ces mots les démons demeurent interdits,
Cent foudres à l'instant dans la caverne grondent,
Et par autant d'échos les enfers leurs répondent.
Ennemi de la France, ennemi des humains,
Repartit le tyran des sombres souterrains,
Je t'entends ; (sur son sein tous les serpens se dressent),
Sans doute à tes succès les enfers s'intéressent,
J'embrasse tes desseins, je ressens tes fureurs ;
Ton âme toute entière a passé dans nos cœurs ;
Mais, comment te servir ? Mes mains sont enchaînées ;
Cet antre voit mourir mes vengeances bornées.
Ma fille, mon appui, l'âme de mes travaux,
La superstition languit dans ces cachots ;
La France, république invincible, éclairée,
Voit, dans chaque soldat un héros, une armée,
Qui ne sent que l'honneur et n'aspire aujourd'hui
Qu'à venger son pays, où qu'à mourir pour lui.
L'âme la plus grossière est de ce feu nourrie,
Et porte cet amour jusqu'à l'idolâtrie ;
Les arts sur-tout, les arts mes mortels ennemis,
Dans ces hauts sentimens les ont plus affermis ;
À peine on se souvient de mes combats fameux.
Le dernier des Français, citoyen orgueilleux,
S'arme de la raison, et n'écoute plus qu'elle ?
Si, dans ce peuple immense, à mon culte infidèle,
Brûlant, pour son pays, d'un amour éprouvé,
Il en pouvait être un… un seul… Je l'ai trouvé,
S'écrie, avec transport, le barbare génie,
Au sein de la bassesse et de l'ignominie ;
Nourri toute sa vue à la Cour des tyrans,
Dans la souillure enfin des crimes les plus grands :
J'ai cherché, j'ai trouvé cette âme monstrueuse,
Assez dénaturée, assez audacieuse,
Qu'il faut pourtant encor de ta rage échauffer :
Appelle à ton secours tes démons, tout l'enfer ;
Tu le peux, tu le dois ; achève ton ouvrage.
Et le voici… Soudain, à ses pieds, un nuage
S'entr'ouvre et laisse voir… l'enfer en a pâli ;
Le monstre ! Un charme affreux le tenait assoupi.
On lisait, sur son front, un crime abominable ;
Tout décelait l'horreur de son âme exécrable ;
Telle, sur ces amas de foudres souterrains,
Nouveaux enfers creusés des éternelles mains,
Des rochers entassés la masse menaçante
Exhale de sa cime une vapeur brûlante :
Ainsi, le Ciel, ouvert d'une effroyable nuit,
Annonce le tonnerre et la mort qui le suit.
Du perfide aussi-tôt tous les démons s'emparent ;
Déjà les noirs poisons, les flammes se préparent ;
Sous leur magique effort son sang coule et tarit,
Dans ses veines déjà s'allume et s'épaissit
Le venin infernal, chargé de tous les crimes.
Ces coupables, l'effroi des funèbres abîmes,
Les âmes des Cromwells et des Coriolans,
Avec des hurlemens retournent dans ses flancs ;
Son cœur est un foyer dévoré de leur flamme :
Tout l'enfer à la fois est entré dans son âme.
Le charme est accompli ; la Nature en gémit ;
Il est armé du glaive ; il s'éveille, il frémit ;
Trois fois laissant tomber le fer liberticide,
Trois fois de ces démons la fureur homicide
Lui remet, dans les mains, le sacrilège acier :
Un cri de mort l'annonce à l'univers entier.
L'ennemi de la France, en rugissant l'embrasse,
Et de son souffle encor irritant son audace,
À travers les vapeurs du gouffre ténébreux,
Le remporte, avec lui, dans un nuage affreux.
La nuit et l'épouvante ont devancé leur route ;
Nouveau Catilina, plus perfide sans douteDumouriez ;
Appelant, près de lui, ses amis conjurés,
S'environnant encor de soldats égarés,
Outré de ses revers, jusques à la folie ;
Plein de l'affreux projet de livrer sa patrie,
Il se rend dans le camp de nos vils ennemis.
Ce mortel insolent, devenu bas, soumis,
Dans Clairfait, dans Cobourg va caresser un maître :
Les Français, à sa voix, devaient le reconnaître ;
Trop heureux de porter les fers de leurs tyrans,
De plier sous le joug des nobles et des grands.
Nos plus braves soldats, fiers soutiens de la France,
Honteux d'être trahis, se mettent en défense ;
À Valencienne, à Lille accourent éperdus,
Et, ranimant enfin leurs sublimes vertus,
Jurent la mort du traître, et les derniers supplices
Du dernier des tyrans et de tous leurs complices.

Oui, sainte Liberté, tu dois, de nos remparts,
Voir sur tout l'univers flotte tes étendarts ;
Tous les mortels, enfin, te rendre un même culte.
Honoré de tes pas, quel sol peut être inculte ?
Tandis que nos guerriers, calmes et réunis,
Ne pensaient qu'à venger l'honneur de leur paix.
Cette fille du temps, qui souvent le devance,
Qui, des cieux et des mers, franchit l'espace immense,
Dont l'aile s'affermit et s'accroît en volant,
Dont la voix forme un bruit toujours plus éclatant,
Imprimant, sur ses pas, la tristesse et la crainte,
Mêlant, à ses récits, l'ignorance de l'erreur,
Plus prompte à publier le cri de la douleur,
Qu'à porter l'espérance ou semer l'allégresse,
Dans l'ombre de la nuit, en s'écriant sans cesse,
Déjà la renommée a volé vers Paris ;
Cette ville, en voyant ses intérêts trahis,
Fut un moment au trouble, à la terreur livrée ;
À la voix du Sénat aussi-tôt rassurée,
Commettant son salut, sa vengeance à sa foi,
Elle reste tranquille et repousse l'effroi :
Tel le dieu de la mer, la tête dans les nues,
Tranquille, entend le bruit de ses vagues émues.
Et voit les flots, les vents et la mort déchaînés,
À ses pieds entr'ouvrir les enfers étonnés :
Elle apprend ses revers dans un profond silence ;
Lorsqu'à l'instant on voit, dans sa carrière immense,
Semant l'or et l'azur sur des traces de feu,
L'ange républicain, ministre heureux d'un dieu ;
Les rubis du soleil ont couronné sa tête ;
Sur les murs de Paris il descend, il s'arrête.
Oui, poursuit-il, Français, bientôt vos ennemis
Verront la Liberté fleurir en ces pays ;
Sous les traits de Brutus, dans votre république,
Marat seul soutiendra la fortune publique ;
Malgré la sombre envie et ses serpens affreux,
Qui réchauffe, à ses pieds, ses poisons dangereux,
Pour infecter le cours de la plus belle vie ;
Il a, pour le venger, la voix de la patrie,
Qui compte, à chaque instant, ses immortels bienfaits,
Et qui lit ses vertus sur vos fronts satisfaits :
Il est l'ami du peuple, il est digne de l'être ;
Dans chaque homme d'État il vous dénonce un traître ;
Au peuple, aux factieux, il dit la vérité,
Et sait se faire aimer par sa sincérité.
En vain tous les tyrans, que la vérité blesse,
Ont mis le dernier comble à leur scélératesse ;
Les peuples, fatigués de leur férocité,
Maudissent, en secret, leur sceptre ensanglanté,
Et la crainte, à travers leurs faisceaux et leurs armes,
Dans leurs palais d'airain a porté les allarmes ;
Vous les verrez un jour, écrasés de leurs fers,
Par leur chute effrayante affranchir l'univers ;
Vous joindrez les lauriers à l'olive innocente,
Repoussant loin de vous la victoire sanglante ;
Et quittant, pour toujours, le glaive meurtrier,
Vous porterez la paix à l'univers entier,
Qui veillera sur lui des voûtes assurées.
Vos généreuses mains, aux bienfaits consacrées,
Qui, chez vos ennemis, dans les champs du trépas,
Ont répandu la vie et sauvé des ingrats,
Dédaignant une gloire, en ruines fécondes,
Rendront la liberté, le siècle d'or au monde.
Tel le Dieu des humains, qui se plaît en ses dons,
Chaque jour de la terre humecte les sillons ;
Y répand la rosée, et cette âme agissante,
Qui réchauffe et qui meut la matière impuissante.
Le laboureur, content de vivre sous ses loix,
À des chansons sans art mêle son nom cent fois ;
Ce nom, de ses travaux, abrège la carrière,
Rentré sous les roseaux de son humble chaumière,
Pour récréer ses sens, de fatigues émoussés,
Pour charmer ses enfans autour de lui pressés ;
Tandis qu'à l'écouter sa compagne attentive,
Suspendant son fuseau laisse sa main oisive,
Il ne leur dira plus : j'ai vu des rois la Cour ;
Il dira simplement : plein de joie et d'amour :
Je suis libre à jamais. Pour l'enfant et son père,
Après Dieu, Liberté sera dans leur prière.
Ô sublimes Français ! Ô peuple vraiment grand !
C'est à vous qu'appartient un dessein si brillant.
Il dit : d'un feu divin ses regards s'allumèrent,
Et les voûtes des cieux devant lui s'inclinèrent ;
Sur un nuage d'or il s'éclipse à leurs yeux,
Il foule aux pieds l'Olimpe, il est au rang des dieux.

 
 

Sources

AN, F17 1005B.