Frelons et les abeilles (Les)
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Musique
Paratexte
Texte
Les frelons un jour s'assemblèrent ;
Et le plus fou de la bande leur dit :
« C'est pour vivre, sans contredit,
Que les destins nous créèrent ;
Ceux d'entre nous cependant
Qui résistent à la froidure,
Meurent de faim le plus souvent,
S'ils n'attrapent à l'aventure
Quelques bribes de miel. Certes ! Dame Nature
Ne traite pas son monde également.
Les abeilles ont tout : bon gîte et nourriture,
Tandis que nous manquons de tout absolument. »
Les frelons, à ces mots, d'une voix unanime,
Convinrent que ruches et miel
Étant un doux présent du Ciel,
S'en emparer était un acte légitime.
Ce projet fut exécuté :
Les trésors de la ruche, amassés avec peine,
La cire du printemps et le miel de l'été,
Tout fut pillé, détruit, mangé dans la semaine.
L'hiver survint, il gela fort :
Plus d'abri ; plus de miel ; plus d'aide à l'infortune
Abeilles et frelons eurent le même sort,
Et nul n'y gagna que la mort,
Qui fit deux récoltes pour une.
Il est de ces frelons dans un certain pays,
Pour qui cette leçon peut-être sera bonne.
Comment, en prenant tout, veulent-ils qu'on leur donne ?
Hélas ! Quand ils auront tout pris,
Les riches seront gueux, les grands seront petits ;
Ils seront tous égaux, en demandant l'aumône,
Et le froid et la faim n'épargneront personne.
Ce n'est point là l'égalité
Que la philosophie avoue.
Est-ce ma faute à moi, si votre nullité,
Ou la fortune qui se joue
De l'homme et de sa vanité,
Vous met tout au bas de sa roue,
Tandis que mon travail et mon activité
M'élèvent à sa sommité ?
Cessez donc d'envier le produit de mes veilles ;
Laissez-moi le plaisir d'en faire des heureux.
Les frelons en furent-ils mieux,
Après avoir pillé tout le miel des abeilles ?