Guerre aux Anglais
Auteur(s)
Paratexte
Poème par le citoyen *** revu et corrigé par le citoyen Boinvilliers, professeur de belles-lettres, et membre de la Société des sciences, lettres et arts de Paris, dédié au général Bonaparte
Note de l'éditeur
Il y a environ 16 ans que ce poème me tomba par hasard entre les mains, j'étais fort jeune, je le lus néanmoins avec intérêt. Les affaires politiques vinrent à changer de face, je le perdis entièrement de vue. La guerre étant sur le point de se rallumer entre la République française et cette Puissance orgueilleuse qui s'est de tout temps déclarée sa rivale et son ennemie, je me suis rappelé que j'avais un ouvrage presqu'ignoré où l'on avait peint en termes énergiques et la perfidie et le despotisme de la nation anglaise ; je me suis mis aussitôt en devoir de le chercher pour ma propre satisfaction. Après l'avoir retrouvé et relu, j'ai pensé qu'en y apportant des changemens et en y supprimant quelques vers en l'honneur des Gouvernans d'alors, j'en pourrais faire un ouvrage utile de circonstance. Cette considération seule m'a déterminé. Quant au véritable titre du poème, le frontispice se trouvant arraché de l'exemplaire que j'ai entre les mains, j'ai cru que je pouvais le remplacer convenablement par celui-ci : Guerre aux Anglais !
Le Vainqueur de Darius, au moment d'une bataille, lisait avec enthousiasme les vers du chantre d'Achille ; j'invite nos généreux guerriers, à se pénétrer de la lecture de ce poème, avant d'aller combattre sous les drapeaux du Vainqueur d'Italie.
Au général Bonaparte, devant commander l'Armée d'Angleterre,
À la grandeur d'âme,
À l'héroïsme accompli,
Le respect et l'admiration
Offrent cet ouvrage.
Texte
Liberté, Liberté sur l'empire des mers !
Tel est le vœu, tel est le droit de l'Univers.
De l'aurore au couchant on entend ces paroles,
Elles ont retenti de l'Équateur aux pôles ;
Nous guidant par leurs cours, les astres radieux
Les ont, en traits de flamme, écrites dans les Cieux,
Et le front de ces Caps prolongés sur les ondes
Semblent les retracer aux nochers des deux mondes.
Un peuple cependant méconnaît cette loi,
Un peuple seul a dit : « Non, la mer est à moi.
Là je suis souverain et mérite de l'être ;
Où je cours en vainqueur, je dois régner en maître.
Je récuse une loi qui n'eut dans tous les temps
Pour base que les flots, pour appui que les vents.
Que sert de recourir à de meilleurs arbitres ?
Mon audace est mon droit, mes flottes sont mes titres ;
Périsse l'insolent qui m'ose les ravir,
Je saurai le combattre et venger et punir. »
Ainsi dans leur orgueil, parlent ces insulaires,
Navigateurs altiers autant que téméraires,
Du repos des humains vastes perturbateurs,
Libres dans leurs foyers, tyrans partout ailleurs.
Comment ! Aux seuls Anglais, en nous ouvrant ses routes,
La mer a-t-elle donc voulu les livrer toutes !
De quel front osent-ils s'arroger sur les eaux
Le droit d'y commander sans trouble et sans rivaux
La Mer leur appartient ! Quel étrange langage !
Et de qui tiennent-ils un si noble héritage ?
Serait-ce pour eux seuls que l'Être souverain
La forma, l'étendit, l'applanit de sa main ?
Les vents n'y soufflent-ils que pour enfler leurs voiles ?
Est-ce donc pour eux seuls que brillent les étoiles ?
Pour eux, que l'Océan balancé chaque jour
Se roule vers ses bords et les fuit tour à tour ?
Que le fer aimanté qu'enferme la boussole
Toujours si constamment se pointe vers le pôle ?
Non, sans doute ; la mer n'obéit qu'à ses lois.
Empire indépendant des peuples et des rois,
Elle n'affecte point d'injuste préférence ;
Chacun flotte à son gré sur cet espace immense ;
Aussi bien que l'Anglais, le sage Américain
Est admis, est porté sur son mobile sein,
Et servant à la fois l'un et l'autre hémisphère ;
Pour l'usage de tous, elle embrasse la terre.
Tel que le libre oiseau qui plane dans les airs,
Le nautonnier en paix doit sillonner les mers,
À l'aide de son art, fuit-il des rivages,
Le doit de le troubler n'appartient qu'aux orages…
Eh ! N'est-ce point assez qu'il brave leurs assauts ?
Quand les vents, les écueils attendent ses vaisseaux,
Parmi tant d'ennemis qu'enfante ce théâtre,
Faut-il que l'homme encor trouve l'homme à combattre !
Fatale ambition, quels sont les attentats !
Qu'au sein des continens, les peuples, les États,
Se touchant de trop près, se choquent par la guerre,
Jaloux de s'arracher quelques lambeaux de terre,
Je conçois, je l'avoue, un tel acharnement ;
Mais qu'ils osent porter sur l'humide élément,
Qu'au milieu de la mer leurs flottes égarées,
Dans son immensité, se trouvent resserrées,
Que des navigateurs devenus des brigands
Se cherchent, pleins de rage, à travers les autans,
S'élancent l'un sur l'autre au moment qu'ils se voient,
Par cent bouches de feu s'attaquent, se foudroient,
Couvrent de leurs débris les flots ensanglantés
Qui, pour les dévorer, s'ouvrent épouvantés,
Un tel excès d'horreur me confond et m'accable,
Même en le retraçant je crains d'être coupable,
Comme si, par ces traits, mon sinistre pinceau
Des fureurs des mortels eut changé le tableau.
Mais que dis-je ? Et quel sort désormais est le nôtre !
Nos crimes, nos combats s'enchaînent l'un à l'autre,
Et tels sont les rapports de tant d'États divers
Que leur moindre secousse ébranle l'Univers.
Le feu s'allume-t-il dans un coin des deux mondes,
Bientôt l'embrasement éclate sur les ondes,
Il y semble excité par le souffle des vents
Qui le rejette encor vers les deux continens.
Ainsi l'homme partout signale sa furie,
Le plus beau monument de sa rare industrie,
L'art de franchir des mers l'abîme redouté,
Afflige, en l'honorant, la triste humanité,
Et laisse à décider, pour problème funeste,
S'il naît de la faveur ou du courroux céleste.
Toutefois d'un tel art, sans cet abus affreux,
Nous pouvions recueillir les fruits les plus heureux.
Je n'examine point si la sage Nature
Bornait l'homme aux seuls biens que son sol lui procure,
Et s'il lui fut permis d'aller chercher au loin
De factices trésors dont il n'a pas besoin ;
Vainement il voudrait retourner en arrière,
Sans doute il n'est plus temps : lancé dans la carrière
Quel frein arrêterait l'avide Européen ?
Mais, puisqu'il a dompté les flots de l'Océan,
Puisqu'au gré de ses vœux, d'intrépides pilotes
À travers les écueils, savent guider nos flottes,
Et dépouillant pour nous tous les climats connus
Jusqu'au fond de nos ports amènent leurs tributs,
Tirons de cette audace un effet salutaire,
Faisons servir ce luxe au repos de la terre.
Oui, grâces à vos soins, hardis navigateurs,
Vous pouvez être encor nos plus grands bienfaiteurs ;
Le monde attend de vous la paix universelle.
Votre art, en lui donnant une face nouvelle
Rapproche tous les lieux, unit tous les humains,
Des bouts de l'Univers ils se prêtent les mains ;
Vous tenez la balance entre les hémisphères ;
De cent peuples épars, rapides émissaires,
Sur les eaux vous formez, vous serrez les liens,
Tous sont frères par vous, tous sont concitoyens…
Mais voulons-nous fixer cet heureux équilibre,
De Neptune à jamais que l'empire soit libre,
Qu'aucun peuple jaloux d'un sort indépendant,
N'aille avec arrogance y saisir le trident.
Aux droits des nations ce serait faire outrage,
Ce serait envahir leur commun héritage,
Le Ciel en le formant sembla nous le céder
Plutôt pour en jouir, que pour le posséder.
Ôtez la liberté de ce domaine immense,
Soudain vous y verrez triompher la licence.
La discorde y naissant de la rivalité,
Ce n'est plus qu'un théâtre affreux et dévasté,
Un champ où nos fureurs à s'armer toujours prêtes
Vont porter les combats au milieu des tempêtes.
Le Commerce effrayé languit dans tous les ports,
L'Amérique, l'Indus retiennent leurs trésors,
Et la Nature en vain épuisant ses largesses
Ne voit plus circuler ses oisives richesses.
À l'empire des flots rendez la liberté
Vous lui rendrez la paix, l'ordre, la sûreté.
La liberté propice à tout donne la vie
Du monde politique elle fait l'harmonie,
Elle affranchit la Terre en régnant sur les mers,
Et sa sève féconde anime l'Univers.
Après tant de malheurs mêlés de tant de crimes
Je vois l'Europe enfin adopter ces maximes.
De cette liberté tout a senti le prix,
Tout s'armant de concert, la demande à grands cris.
Eh ! Qui n'applaudirait à cet heureux système !
Le Français le premier l'a provoqué lui-même ;
Il veut la liberté dans les États d'autrui,
Il la veut sur les mers, ainsi qu'il l'a chez lui.
Peuples navigateurs, secondez notre envie,
Repoussez, confondez l'injuste tyrannie
Qui livrant votre Empire à ses lâches complots
Vous y troublerait plus que les vents et les flots.
Et toi fière Albion, qu'enivre ta fortune,
Toi, qui seule usurpant tous les droits de Neptune
Seule, au vœu général, oses te refuser,
Ah ! Sans doute, il est temps de te désabuser.
Dis, quelle est cette altière et coupable entreprise
De soumettre les mers aux lois de la Tamise ?
Ah ! Déjà tes périls égalent tes forfaits
L'Autriche doit t'apprendre à craindre nos succès.
Quel espoir est le tien ? L'Europe te menace,
L'Irlande veut briser un joug dont elle est lasse ;
Mille bras ennemis sont levés pour frapper,
À leurs coups vainement tu prétends échapper ;
Tu signales contre eux un courage inutile ;
Colosse chancelant sur sa base mobile,
Ces flots, ces mêmes flots où tu crois dominer,
D'orages et d'écueils semblent t'environner.
Crois-moi, n'affecte plus un pouvoir despotique ;
Abandonne des mers le sceptre chimérique,
Et là, d'un titre vain cessant de te parer,
Souffre une égalité dont tu dois t'honorer.
Surtout, du fier Romain ne tiens plus le langage ;
Insensée ! Est-ce à toi de parler de Carthage,
Quand le Français puissant que tu veux accabler
Sur ton propre destin t'a déjà fait trembler ?
Ah quoi ! Ne vois-tu pas nos flottes renaissantes
Couvrir de toutes parts les ondes blanchissantes,
Y chercher, y poursuivre, y braver tes vaisseaux
Et balancer déjà ton pouvoir sur les eaux ?
Ah ! Si tu peux vaincre une haine immortelle,
S'il faut éterniser notre antique querelle,
Ne peut-elle éclater que sur de tels sujets ?
Non, non, choisissons-lui de plus dignes objets.
Émules généreux, combattons l'industrie,
De zèle pour les arts, D'AMOUR POUR LA PATRIE.
C'est troubler trop long-temps la paix de l'Univers,
Ses vrais perturbateurs sont les tyrans des mers ;
Eh bien ! N'y souffrons plus leur fureur vagabonde,
Brisons les fers tendus de l'un à l'autre monde ;
Que là, nos pavillons, tous libres, tous égaux ;
Sans se croire ennemis, sachant être rivaux,
Reconnaissent enfin que nul sur cet empire
N'a de lois à subir, ni de lois à prescrire.