Hymne des combats, hommage aux armées de la République (L')
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C'étoit un grand jour de fête pour nos ancêtres, que l'anniversaire de la destruction du Peuple-Roi, qui avoit asservi l'univers et dévoré les forêts de Mona, les archives de la République des Francs et tous leurs druides.
Les Bardes célébroient à l'envi, cette éclatante victoire, dans leurs hymnes. Les pères les faisoient apprendre à leurs enfans, et on les chantoit dans les assemblées du peuple et dans les fêtes républicaines.
Ce qui nous reste de leurs débris est tout rempli de cette poésie divine, vraiment inspirée, et qui n'a jamais été le partage que de ces grandes âmes qui ont conçu dans leurs pensées le dessein immense du salut du genre humain. Ils étoient époux et pères, et leur enthousiasme pour la liberté, transportoit d'une sainte ivresse tous les défenseurs de la patrie, qu'ils accompagnoient aux combats.
Le style des cantiques du grand des législateurs « est hardi, extraordinaire, naturel toutefois, en ce qu'il est propre à représenter la Nature dans ses transports. Il marche, pour cette raison, par de vives et impétueuses saillies, affranchi des liaisons ordinaires que recherche le discours uni, renfermé d'ailleurs dans des cadences nombreuses qui en augmentent la force. Il surprend l'oreille, saisit l'imagination, émeut le cœur » ; c'est là vraiment le style de ces chants composés par les druides et les bardes de la République des Francs, qui contenoient la sagesse et l'esprit des lois de la Nature, des hymnes à l'Être des êtres, à l'indomptable courage de leurs guerriers, et combien ils étoient heureux de purger la terre de ses tyrans et de mourir pour la patrie !
Un malheureux proscrit, que toutes les fureurs de l'envie et tous les rebuts de l'ignorance n'ont pu guérir jamais du besoin d'affronter encore le danger d'être utile à ses contemporains, a été indigné de voir l'entier oubli où l'on a jeté dans ces derniers tems les antiques prodiges de la divine Poésie.
Son génie presque éteint par l'infortune et le spectacle hideux de la corruption et de la vanité des prétendus sages, s'est réchauffé encore ! Et il a essayé de donner quelque idée à son siècle des chants républicains de nos ancêtres.
Généreux défenseurs de la République nouvelle, vous dont les faits si fameux et si bien attestés ont passé trop souvent pour des fables dans les entretiens serviles des restes impurs de la monarchie ; vous qui tant de fois de l'aveu même du génie, avez caché leurs forfaits inouïs sous les ailes de la victoire, daignez agréer l'hommage d'un vieux barde, qui même dans ses malheurs n'oublia jamais vos services, et dont le cœur malade a souvent tressailli de la plus douce allégresse à l'aspect des nouveaux prodiges de valeur dont vous avez embelli les annales de la République.
Innombrables enfans de la victoire, vous n'avez jamais cherché, dans vos travaux, que la gloire de la patrie ; il en est ainsi du vrai poëte qui vous salue.
Jamais vil intérêt ne l'excite et l'enflamme
Du désir de briller, superbe, au premier rang,
Ce n'est point son orgueil, c'est son cœur qui réclame
Contre ces oppresseurs qui, de haine et de sang,
Exercent un trafic infâme ;
Contre les prêtres et les rois
Qui le tiennent dans la poussière
Lorsqu'il ose élever sa foudroyante voix,
Et les traîner à la lumière :
C'est la cause et ce sont les droits
De l'humanité de toute entière.
Que son nom soit long-tems inconnu comme le vôtre, ce n'est pas là ce qui importe bardes et aux guerriers. Vous, guerriers, vous avez vaincu pour la patrie, et les chants du poëte ont été entendus, même au loin.
Et ses œuvres, comme les armes des guerriers, ont aidé puissamment à la ruine, qui sera entière et prochaine, des oppresseurs des nations.
Indomptables soutiens de la République renaissante, la Prophétie d'un vieux druide contre les Romains vous rappellera, sans doute, avec enthousiasme, les faits mémorables de vos ancêtres, qui ont livré, à leurs oppresseurs, plus de deux cents ans de combats ! République immortelle, qui, enfin, a puni le peuple-roi d'avoir courbé les nations sous un sceptre de fer !
Époque magnifique de notre histoire, depuis long-tems oubliée, ou plutôt repoussée toujours par les serviles adulateurs du nom romain.
Puissent ces loisibles peintures de l'énergie de nos pères, dont la valeur se retrouve toute entière, et même encore plus belle dans leurs descendans, dans toutes ces armées victorieuses de la République nouvelle, servir d'exemple mémorable à tous les oppresseurs des peuples !
La guerre ! Aux armes ! Feu ! Guerre à la tyrannie !
Peuple-frère, écoutez ma sanglante harmonie !
« Va t'abreuver dans les Enfers
De feux, de fiel et de carnage ;
Exerce ton glaive et ta rage
Sur les débris de l'univers ;
Que la ruine et ses allarmes
Suivent les drapeaux et tes armes !
Sans cesse, au-devant de tes pas,
Tu verras l'Ombre de sa mère ;
Ni tes vertus, ni tes combats,
Rome, ne te sauveront pas
Des malédictions d'un Père. »
Ainsi le Franc du Nord, un des enfans d'Odin,
Buvant sa bierre exquise, au crâne d'un Romain,
Maudissoit le tyran que cherchoit sa vengeance ;
Dans un vaste désert tous deux sont en présence :
Le guerrier se recueille, il médite en silence,
Et dans le sang d'Oel, sa dernière espérance,
Dans le sang de son fils, il trace, de sa main,
La bataille du lendemain.
Ici, le Peuple-Roi menace !
Des esclaves pour défenseurs !
Là, tout un Peuple-frère, en masse,
Debout contre ses oppresseurs !
En posant sur son front, fumante de carnage,
La tête du lion, par ses mains dépouillé,
Il pleure ! Oh si Rubens eût vu ce front sauvage,
Qui des regards d'un roi ne fut jamais souillé !
« Si le tyran avoit un fils… » ! Peintre céleste,
Laisse là tes fureurs d'Oreste,
Ces traits qui peignent l'Éternel ;
Et rends-nous seulement cet espoir paternel !
2.
Rien n'est si beau dans la Nature,
Qu'Oel vêtu de son armure,
Étendu sur son bouclier,
Entonnez l'hymne du guerrier.
Oel est mort, Oel s'écrie :
« Sèche tes pleurs, c'est la Patrie
Qui me couronne d'un laurier.
La Patrie, en pleurs, vous appelle,
Écoutez sa voix immortelle ;
Vos larmes ne la vengent pas,
Entonnez l'hymne des combats.
Laissons reposer notre frère,
Sa tâche est faite, heureux sommeil !
Qui s'endort au sein de sa mère,
S'embarrasse peu du réveil !
Oel est semblable à la rose,
En son printems, à peine éclose,
Qui tombe sous le fer fatal
Des jeunes filles de Fingal.
On croit, sur leur sein virginal,
Que sur sa tige elle est nourrie
Tant elle est belle, et si fleurie
Qu'elle fait envier son sort !
Repose, Oel ! Oel est mort,
Oel est mort pour la Patrie !
Déchiré, pièce à pièce, expirer en détail,
Tomber chargé d'années,
Affreuses destinées !
C'est la douleur malade et la mort en travail !
Je veux entrer vivant aux portes de l'espace ;
Le guerrier ne voit point la scène qui s'efface,
C'est là mourir comme on s'endort.
Le doux sommeil, digne d'envie,
Le guerrier entre dans la mort,
Sans penser à quitter la vie.
Voir échapper son fer qui vengeoit vos malheurs,
Mes enfans, vous montrer d'horribles flétrissures ;
Sentir sécher la main qui tarissoit vos pleurs,
Et laisser, après soi, d'incurables blessures…
3.
L'heure a sonné ! Le jour s'enfuit !
D'où viennent ces chants de victoire ?
Elle est debout ! Cette ombre noire
Semble une tache dans la nuit.
Sont-ce les flots ? La blanche écume
Du torrent qui veut s'épancher ?
Est-ce la foudre qui s'allume
Sur les hauteurs de ce rocher ?
Éclaires brillans ! Un météore
Que la chaleur a fait éclore !
C'est un vieillard, un barde, approchez, mes enfans ;
Sur le front du rocher, debout, c'est le poëte !
Son fardeau, ses douleurs, l'œil hagard, le prophète,
Les cheveux hérissés, de feux étincelans,
Et sa barbe d'argent qui flotte dans les vents.
Le vieillard regarde et soupire,
Et voici les sons de sa lyre :
« Chêne à Jéhova consacré,
Le fils aîné de la Nature,
De tous les siècles entouré,
Chêne géant, la nourriture
Des indomptables Francs du Nord,
Couvre le guerrier, jeune encor,
De ton ombre ferrugineuse,
Que dans ta sève, à filets d'or,
Germe le fer, le seul trésor
Qui plaise à la main généreuse.
Siècles, je n'entends plus la voix,
La voix qui calmoit la tempête ;
Sous le joug de nos saintes lois
À l'orgueil fit courber la tête.
Ces restes décharnés et de serpens couverts,
De leurs débris sanglans ont infecté les airs ;
Les voraces corbeaux épouvantés croassent,
Les aigles affamés poussent des cris et passent,
Fuyez, à tire-d'aile, au fonds de vos déserts !
La peste leur sert de ceinture
Pour cacher les affronts que le Juste a soufferts !
Océan venge la Nature,
Que le sein indompté des mers
Leur serve à tous de sépulture.
J'écoute et n'entends plus vos chants harmonieux,
Le vieillard reste seul dans la Nature entière ;
Compagnons de mon art, plus chers que la lumière
Qui visite ces tristes yeux,
Toute la Nature est flétrie !
Leur voix étoit plus douce à mon âme attendrie,
Que ces gouttes de sang qui réchauffent mon cœur.
Baignés des pleurs de la Patrie,
Vous êtes morts… Je suis vainqueur.
Sur ces monts entassés que l'Occident regarde,
C'est Mona, tout entier, le druide, le barde,
Et l'Euvate enivré de ses horribles chants.
Je vois leurs bouches écumantes
Et leurs mains de meurtres fumantes,
Trament les destins des méchans. »
4.
« Faisons là son drap funéraire ;
Ourdis la chaîne sanguinaire ;
Arrête et coupe avec ces dards ;
Prends pour navette ces poignards ;
Forme de ces lances dressées,
Et de ces piques hérissées
Les colonnes de ton métier ;
Prends ce trône pour ton dosier.
C'est là qu'il faut que tu travailles,
Trame donc, trame ces entrailles,
Têtes de tigres et de rois,
À tes nœuds serviront de poids.
Tisse leurs ligues infernales,
Des enfers trace les annales,
Et pour que l'œuvre soit plus noir
Passe et repasse l'encensoir
Plus ample ici. Plus large. Place.
Jamais assez. Allonge. Trace.
Il a trahi ses enfans, son serment ;
Marque le jour. Marquons. Indique l'heure
Où pour subir son fatal châtiment,
La loi, c'est tout, veut que le tyran meure
Accompagné de forfaits seulement.
À l'œuvre encor. Saisis ta proie,
Ouvre leur sein, et qu'on y voie
Toute bile et tout fiel, cœur qui n'a point aimé ;
Bon. La trame est finie et l'œuvre est consommé.
5.
Arrêtez ! Ô tems déplorables,
Le vieillard est abandonné !
Est-ce qu'on fuit, inexorables,
Loin de son frère infortuné ?
Viens Édouard, viens Tysyphone,
Allez-vous asseoir sur le trône ;
Vous Romains, placez-y Néron,
Car la vertu n'est qu'un vain nom !
Est-ce encore un mensonge, ô la douce lumière,
Qui du pauvre vieillard entr'ouvre la paupière ?
Suspendez votre vol, douces illusions !
Ô triumvirs, ô les perfides !
Œuvre commun. Succès rapides.
Fêtes d'un peuple libre ! Augustes nations !
C'en est trop ! La terre est vengée,
Et de tous ses monstres purgée.
Vois-tu les siècles accourir !
Liberté, liberté ! J'ai vu. Je puis mourir.
Plus de Marius, plus de Rome !
Un terme aux ordres absolus !
L'homme n'assassine plus l'homme ;
La terre aux morts n'appartient plus.
Il a pour appui sa foiblesse,
Et dans tous les cœurs sa richesse,
Deviens chêne, jeune arbrisseau,
La Nature n'est point injuste.
Fais-toi libre, fais-toi robuste,
L'homme est esclave en son berceau.
Ô clarté ! Tendresse unanime !
L'Amour marche sans conducteur ;
Même espérance nous anime,
Le cœur seul est législateur.
L'homme, en sa force, est sans lisière ;
L'enfant s'occupe à sa manière :
Il a souffert le poids du jour.
Gouvernement, travail difforme ;
C'est un sceptre, une masse énorme,
Lourd fardeau qu'on porte à son tour.
Jeunesse embrasse la science,
Pour mieux servir l'humanité.
Le frère, dans sa conscience,
Dit ce qu'il croit la vérité ;
L'homme ne vit plus de rapines,
De trahisons et de ruines ;
L'homme n'est plus déshonoré ;
Lucre, insatiable Euménide,
L'homme, en ton sépulchre fétide,
Non, ne sera plus dévoré.
Si le frère a blessé son frère,
Zèle d'amour a ses fureurs,
Soulève d'une main légère
Le bandeau des tristes erreurs.
La mer, en naufrages fertile,
À l'univers est-elle utile ?