Hymne pour la fête du malheur

Auteur(s)

Année de composition

1795

Genre poétique

Description

Huitains d'octosyllabes en rimes croisées

Paratexte

Célébré à Péronne, le 20 ventôse an 3

Texte

Quelle simple et touchante fête
Aujourd'hui frappe nos regards !
Quelle solennité s'apprête ?
Pourquoi ces enfants, ces vieillards ?
Un peuple libre, un peuple juste,
Que n'éblouit point sa grandeur,
Vient remplir un devoir auguste :
La France honore le malheur.

Culte sacré que la Nature
Grava dans le cœur des mortels !
Oui, la morale la plus pure
Servit de base à tes autels.
Trop souvent la vertu sommeille
Au sein de la prospérité :
Quel est l'ami qui la réveille ?
C'est la voix de l'adversité.

Que je te plains, froid égoïste,
Qui te vois seul dans l'univers !
À tes yeux la Nature est triste ;
Les champs sont pour toi des déserts ;
Le plaisir de la bienfaisance
Ne fait point palpiter ton cœur :
Veux-tu retrouver l'existence ?
Vas, cours soulager le malheur.

Longtemps l'horizon politique,
Couvert de nuages sanglants,
A versé sur la République
Les maux, les crimes par torrents.
On put douter avec l'impie,
S'il existait un Dieu vengeur :
Mais en frappant la tyrannie,
Le Ciel console le malheur.

Quittez vos retraites paisibles,
Sortez de la nuit des tombeaux ;
Volez vers nous, ombres sensibles
De Camille et de Philippeaux ;
Victimes de la dictature,
La France a pleuré vos malheurs ;
Et l'humanité vous assure
Un Panthéon dans tous les cœurs.

Non, nous ne verrons plus les pères
Arrachés des bras des enfants,
Pour des complots imaginaires
Tombés sous le fer des tyrans :
Quand le retour de la justice
Fait luire un jour consolateur,
Qu'un lien plus fort nous unisse :
Nous avons connu le malheur.

Des forfaits dont l'horrible histoire
Effraiera la postérité,
Conservons toujours la mémoire
Au profit de la liberté.
Si quelque pouvoir parricide
Voulait ramener la terreur,
Les Français auront pour égide
Des cœurs trempés par le malheur.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an IV de la République française, ou Choix des poésies fugitives de 1795, Paris, Louis, an IV, p. 167-169.