Imitation de l'Élégie XI du livre I de Tibulle

Auteur(s)

Année de composition

1794

Genre poétique

Description

Mots-clés

Paratexte

Texte

Toi qui forgeas l'épée et la lance guerrière,
Ah ! Ton barbare cœur fut de marbre et d'airain.
Par toi, l'art des combats, science meurtrière,
Du trépas, aux mortels, abrégea le chemin.
Que ton fatal génie a fait verser de larmes !
Mais non, cruels humains, n'en accusez que vous :
Contre le tigre et l'ours il vous donna ces armes ;
Et vos coupables mains les tournent contre vous.
C'est le crime de l'or, métal riche et stérile ;
Et l'homme, plus heureux, ignorait les combats,
Quand sa table s'ornait d'une coupe d'argile.
De murs et de remparts on ne s'entourait pas.
Au milieu des brebis paissant dans la prairie,
Le tranquille berger goûtait un doux sommeil.
Ô si les dieux alors avaient marqué ma vie !
La trompette jamais n'eût hâté mon réveil.
Le sang, à mes côtés n'eût point rougi la terre.
Des cruels, malgré moi, m'entraînent à la guerre :
Déjà quelqu'ennemi, trop avide de sang,
Brandit le javelot qui doit percer mon flanc.
Mes pénates chéris, veillez à ma défense ;
Vous, dont l’œil protecteur garantit mes foyers ;
Vous qui, dans les beaux jours de ma première enfance,
Me regardiez courir et jouer à vos pieds :
Ah ! Ne rougissez point de votre forme antique ;
La naïve candeur, la bonne foi rustique
Régnaient chez nos ayeux, lorsque sous d'humbles toits
Ils adoraient des dieux, faits du plus simple bois.
On ne leur offrait point de pompeux sacrifices :
Du miel, des fruits, des fleurs, les obtenaient propices ;
On leur portait les vœux d'un cœur reconnaissant ;
Ils estimaient l'hommage en non pas le présent.
Ô mes dieux paternels ! Acceptez mes offrandes ;
Loin de nous, de la guerre, écartez tous les traits !
Un jeune agneau, paré de myrte et de guirlandes,
Couvrira votre autel, et paiera vos bienfaits.
Qu'un autre aux ennemis arrache la victoire !
J'aime mieux qu'à ma table, après ces jours d'effroi,
Le guerrier désarmé, s'enivrant avec moi,
De ses exploits fameux me raconte l'histoire.
Eh ! Pourquoi de nos ans vouloir hâter le cours ?
La mort, à pas furtifs, approche tous les jours.
Il n'est plus de printems, plus d'été chez les ombres ;
Mais une nuit profonde, une nuit sans amour,
Et l'éternelle horreur de ces demeures sombres,
Et Cerbère et le Styx, qu'on passe sans retour.
Des mânes effrayans, troupe pâle et craintive,
Gémissent, dispersés sur la fatale rive.
Plus sage et plus heureux, le mortel ignoré,
Qui vieillit sous son toit, de ses fils entouré !
L'abondance y sourit, et le bonheur y brille ;
Il aime, il est aimé d'une tendre famille.
Puissé-je ainsi vieillir, et dans l'hiver des ans,
Conter des tems passés l'histoire à mes enfans !
Que la paix cependant fertilise nos plaines :
La paix conduit le soc qui creuse nos sillons ;
Elle échauffe et colore au feu de ses rayons,
Le nectar que Bacchus nous verse à tasses pleines.
Dans sa cuve laissant sou vin et sa raison,
Sur un rustique char, à la marche bruyante,
Le vendangeur, le soir, ramène à la maison
Sa famille, de joie et de santé brillante.
La rouille a dévoré les casques et les traits ;
Les amans seuls entr'eux font la guerre ou la paix :
Vénus a ses combats, ses trêves, ses ruptures,
Ses aimables fureurs et ses douces blessures.

Viens donc, divine paix ; fais briller dans tes mains,
Parmi l'or des épis, la pourpre des raisins.