Arrêté qui érige en fête la récolte des pommes
Mots-clés
Paratexte
Extrait des registres de la Société de Pomone instituée à Paramé, canton de Saint-Malo
Texte
Nous, par la grâce de Pomone,
Directeur de son Institut,
Gloire à notre auguste patrons !
À ceux qui l'honorent, salut !
Considérant que le tribut
Qu'à l'hiver doit payer l'automne,
Est prêt à nous être livré ;
Que septembre a mûri nos pommes,
Et que le pressoir préparé
Rappelle à tous tant que nous sommes,
Un devoir antique et sacré ;
Considérant que les louanges
Qu'on adresse au dieu du raisin,
Célèbrent autant les vendanges
Que la saveur de son bon vin ;
Que de ces fêtes qu'on nous vante,
Le cercle peut être agrandi ;
Que le plaisir est une plante,
Qui pousse au nord comme au midi ;
Considérant que si la vigne
Voit son fruit, en cet heureux mois,
Récolté par de jolis doigts,
La pomme n'en est pas moins digne ;
Qu'elle eut l'honneur d'être jadis
Le prix offert à la plus belle ;
Et que son nom seul nous rappelle
Hercule, Hyppomène, Pâris,
Tous devenus fameux par elle ;
Arrêtons :
1.
Que dans les vergers
Qui de nos sœurs sont tributaires,
Nous nous rendrons tous en bons frères,
Sans aucuns secours étrangers ;
Et que là, chacun avec zèle,
Assisté d'une sœur fidèle,
Cueillant le fruit sur le rameau,
En remplira, soit le chapeau,
Soit le tablier de la belle,
Qui posant, pour fixer l'échelle,
Son pied sur le premier barreau,
Pourra du jeu de sa prunelle
Animer encor le tableau.
2.
Ayant lu dans de vieux adages,
Que l'on ne doit jamais heurter
Les goûts, les mœurs ni les usages,
Lorsque l'on veut faire adopter
Les choses même les plus sages ;
Nos très dignes sœurs ne pouvant
Forcer leur débile paupière
À s'ouvrir au soleil levant,
Sans passer la journée entière
En proie aux langueurs du sommeil ;
Sans regretter que ses doux songes,
Chassés par un trop prompt réveil,
N'aient pas achevé leurs mensonges ;
Voulant prévenir ces regrets,
Deux heures après que l'aurore
Aura pleuré sur nos guérets,
Ou, si l'on veut, plus tard encore,
Au quart du jour, chacun de nous,
Les frères, en veste légère,
Les sœurs, en habit de bergère,
Partiront pour le rendez-vous.
3.
Arrivés au lieu de la fête,
Tous, s'élançant dans le jardin,
Iront d'abord se mettre en quête,
Pour rapporter roses, jasmin,
Dont les uns orneront le sein,
Qui leur donne martel en tête,
Et dont les autres en retour
Feront des guirlandes légères,
Qu'elles attacheront autour
Des chapeaux de leurs très chers frères :
Et pour que ce don mutuel
Augmente et soutienne leur zèle,
Exigeons que chacun le scelle
D'un baiser archifraternel.
4.
Le baiser pris la troupe sainte
Savourant sa douce onction,
Deux à deux en procession,
Du verger gagnera l'enceinte ;
Et là, chacun sur son pommier,
S'établissant en diligence,
Agira comme l'ordonnance
Le dit à l'article premier.
5.
Lorsque passant sur nos demeures,
Phébus, des régions de l'Est,
Descendu vers celles de l'Ouest,
Annoncera qu'il est deux heures ;
À ce signal qu'on guettera,
Chacun, du haut de son échelle,
Prenant Phébus pour son modèle,
Vers sa Thétis redescendra,
Et s'il tombe, il s'arrangera,
Pour ne tomber qu'à côté d'elle.
S'il n'arrive point d'accident,
Alors l'un l'autre s'entraidant,
Suivant sa force ou sa faiblesse,
Des fruits épars sous les pommiers
Recueillant encor la richesse,
Ils pourront se parler tendresse,
Tout en remplissant leurs paniers. »
6.
Pour se rendre les dieux propices,
Si la dévote Antiquité
Intéressait leur vanité
Par l'appareil des sacrifices,
Cet exemple, imité par nous,
Ne flattera pas moins Pomone,
Et le cidre qu'elle nous donne
En deviendra beaucoup plus doux.
Le plus gracieux témoignage
À lui donner de nos respects,
Est, sans contredit, un hommage
Qui soit renouvelé des Grecs :
Tout le cortège, en conséquence,
En main portant un long rameau,
Autour des pommes en monceau
Marchera trois fois en cadence ;
Et puis sur le cul d'un tonneau
Que l'on aura paré d'avance
De lin, de franges, de festons ;
Et de bouquets de toute espèce,
Après avoir, par des chansons,
célébré la bonne déesse,
Ses grâces, ses nobles façons,
Et son éternelle jeunesse ;
Un pontife, à l'instant nommé
Pour remplir cet emploi sublime,
Lui présentera la victime
Sous l'apparence d'un pommé.
Alors, dans sa croûte dorée,
Enfonçant le sacré couteau,
De son offrande séparée,
La part de Pomone assurée,
Il donne à chacun son morceau.
7.
La distribution finie,
Dévotement la compagnie
En file sortant du verger,
Ira dans la salle à manger
Terminer la cérémonie ;
Car une fête sans banquet
Est, comme on dit, un corps sans âme,
Une jeune bru sans bouquet,
Un feu noir qui brûle sans flamme.
8.
Conformément à nos statuts,
Qui ne sont pas des lois pour rire,
Des fruits seuls, cela doit suffire,
Seront servis, et rien de plus.
9.
À cette règle salutaire,
Si quelque jambon réfractaire,
De respect osait nous manquer,
En paraissant dans cette affaire,
Malheur, malheur au téméraire !
Ordonnons de le confisquer
Pour le buffet du commissaire.
10.
Toute fête sans violons
Étant encor mal ordonnée,
Le banquet fini, nous voulons
Que le reste de la journée
On valse dans les deux salons :
Supprimant la règle odieuse
Qui rendant nul le choix du cœur,
Assigne à chacun sa danseuse,
Comme à chacune son danseur.
Ainsi donc, tout amant fidèle,
Ne suivant plus que son désir,
Pourra danser avec sa belle
Jusques à la vie éternelle,
Car tel est notre bon plaisir.
Fait pour la gloire de Pomone,
Et scellé de son grand cachet,
Le premier jour de cet automne,
Mil sept cent quatre-vingt-dix-sept.