Assassinat de Marat en vaudevilles
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Texte
I
Air : Cœurs sensibles
Faites silence, de grâce ;
Je vais chanter un grand Saint,
Qu'une femme, avec audace,
Assassina dans son bain ;
Ce crime d'effroi me glace !
Pleurez tous en m'écoutant,
Je vais pleurer en chantant. (bis)
II
Air : Chacun &c.
Chacun avec moi l'avouera,
Certes, sa morale est profonde ;
Qu'on s'en pénètre et l'on verra
Qu'il était détaché du monde.
De l'Ancien Régime ennemi. (bis)
Il désirait voir tout renaître,
Et ce monde eût bientôt fini
Si ce Saint-là (ter) n'eût cessé d'être. (bis)
III
Air : L'heure avance &c.
Une grande société
D'hommes cruels et sanguinaires,
Au nom saint de la Liberté,
Faisaient des actes arbitraires ;
En rivalisant le Sénat,
Cette audacieuse cabale,
Usurpait, avec attentat,
L'autorité nationale.
IV
Air : Aussitôt que la lumière
Bouffis d'un orgueil atroce,
Ces hommes étaient fougueux,
Leur regard était féroce,
Et leur ton impérieux ;
Au gré de leur âme impie,
De monumens destructeurs,
Ils rendirent la patrie
Sans arts, sans culte et sans mœurs.
V
Air : Pour moi, je dirai que j'aime
Les usages, les méthodes,
Tout devait dépendre d'eux ;
Il fallait suivre leurs modes,
Leurs caprices et leurs vœux ;
De cette secte hypocrite
Suivant le goût, le projet,
Chacun bientôt d'un jésuite
Aurait offert le portrait.
VI
Air : Objet charmant
Ce fut parmi ces hommes d'importance,
Que s'illustra notre célèbre Saint (bis)
Et pour plus d'un miracle très certain
On lui donna souvent la présidence. (bis)
VII
Air : Amis, d'un bonheur &c.
C'était le premier des oracles ;
On en parlait dans tous pays ;
Sur le récit de ses miracles,
Charlotte s'en vint à Paris…
Hélas, de tous temps, sur la femme,
Le démon eut tant de pouvoir !
Maître Satan souffle à la Dame
De tous les projets le plus noir.
VIII
Air de Colinette
Chez le Prophète elle arriva,
Il était absent ce jour-là…
Ta la déridéra. (bis)
Conduite par l'Esprit-malin,
Elle revint le lendemain ;
Le Saint prenait un bain ; (bis)
Pour qu'elle attende un instant là,
Bas, à la porte, on lui lâcha :
« IL EST SANS CULOTTE »…
Ta déridéra la la la la la la la la,
Ta la déridéra…
Gn' a pas d' mal à ça, dit Charlotte,
Gn' a pas d' mal à ça.
IX
Air : Ici l'on vous enchante
La perfide s'avance,
En feignant la candeur ;
Le Saint, sans méfiance,
Lui dit avec douceur :
« Ah, comptez sur mon zèle,
Quel est votre chagrin ?… »
Mais la femme cruelle
Le poignarde soudain… (bis )
Aïe, aïe, aïe ! (bis) cria le Saint,
Puis il expira dans son bain. (bis)
X
Air : Ô mon Dieu !
Au même instant, d'un grand coup,
Se fendit la céleste voûte,
Et pour aller… Qui sait où ?
Sa belle âme se mit en route.
La séance1 finit là ;
La sonnette se brisa ;
Plus d'un bonnet rouge tomba ;
Et chacun dans son âme,
Eut immolé cent fois la femme. (bis)
XI
Air : La parole
Tandis que, du Saint sans pareil
L'âme voyageait dans la nue,
Son corps, en funèbre appareil,
Était porté de rue en rue ;
Chacun tristement disait :
« Hélas ! Il n'a plus la parole! » (bis)
XII
Air de Malbrouck
Sur un grand char d'ébène,
Mironton, mironton, mirontaine,
Sur un grand char d'ébène,
Le Saint était couché,
De nymphes entouré ; (bis)
D'encens, l'une à main pleine,
Mironton, mironton, mirontaine,
D'encens, l'une à main pleine,
Parfumait son côté ;
L'autre, le cœur navré, (bis)
Retenait avec peine,
Mironton, mironton, mirontaine,
Retenait avec peine,
Maint soupir concentré.
Las de le promener,
On fut le déposer
Dans une cour ancienne,
Mironton, mironton, mirontaine,
Dans une cour ancienne ;
Et l'on fut se coucher.
Air : À la façon de Barbari
On dit que, sur la fin du jour,
À côté de sa tombe,
De jeunes beautés, tour à tour,
Faisaient une hécatombe…
Plusieurs y soupiraient, dit-on,
La faridondaine, la faridondon,
Et plusieurs y pleuraient aussi,
Biribi,
À la façon de Barbari,
Mon ami.
XIII
Air de Cadet Rousselle
On inscrivit sur son tombeau : (bis)
« Cî-git, tout près de ce caveau, (bis)
Qui, craignant pour son trop de zèle,
Y resta souvent sans chandelle…
Las ! Il n'est plus !
Mais il revit par ses vertus! »
Air de la Cataquoi
De la veuve inconsolable
Pour chasser l'ennui secret,
On fit un choix convenable
De Margots à bon caquet,
Toutes, femmes à caractère,
Qu'un grand zèle recommandait,
L'une opinait,
L'autre criait,
Chacune à la fois pérorait,
Et la veuve, moins solitaire,
En jabotant, se consolait.
XIV
Air de la Ronde villageoise
Pour y loger le seul, vrai Saint,
Ses très zélés apôtres,
Du Paradis, vite, à grand train,
Chassèrent tous les autres ;
Devant le buste du martyr,
Quand un couple voulait s'unir,
D'un ton très pathétique,
Un pontife, en rouge bonnet,
Invoquait son nom et disait,
Peuplez (bis) peuplez la République.
XV
Air : C'est bien naturel
D'animaux, dans la légende,
On fit une liste grande,
En place des Saints du Ciel,
C'est plus naturel ; (bis)
Lors, à la tête, on ajoute,
Et sans qu'aucun le déboute,
Du Saint le nom immortel,
C'est bien naturel, sans doute,
C'est bien naturel.
XVI
Air : À moins que dans ce monastère
Aux mânes de cet homme juste
On éleva des monumens ;
Au Panthéon, ce Saint auguste
Ne pouvait être avant vingt ans ; (bis)
Mais dans un aussi long espace,
De peur qu'il ne soit oublié,
La prudente Société
Un beau jour, l'y fit prendre place. (bis)
XVII
Air : Ce fut la faute du sort
Ce jour, on noircit ses cheveux,
D'un bonnet neuf on fit emplette,
On prit un air majestueux
Et l'on se rendit à la fête ;
En foule, de tous les pays,
On vint rendre hommage à l'idole,
Et le Saint, au milieu des cris,
Fit son entrée au Capitole. (bis)
XVIII
Air : La comédie est un miroir
II était petit et taquin,
Aux autres il chercha dispute,
Et l'on prétend que notre Saint
Ne pouvait gagner à la lutte ;
Ils voulaient tous, à ce qu'on dit,
(Mais qui croire au tems où nous sommes !)
Ils voulaient qu'il fut trop petit,
Pour être parmi les Grands Hommes. (bis)
XIX
Air de la Carmagnole
Les ardens Apôtres du Saint (bis)
Se repaissaient de sang humain (bis)
Par-tout on les craignait,
Mais enfin un décret,
En rendant au Ténare
Ces échappés (bis),
Fit porter à la barre
Leurs arrêtés
Et leurs clefs.
XX
Air : Fidèle époux
Que de forfaits et de crimes
Furent connus, dès cet instant !
On ne put nombrer les victimes
De ces monstres, ivres de sang ;
Hélas ! Au plus grand des prophètes
Dans ce contre-tems, on pensa,
Et sans tambour ni trompettes,
On le dépanthéonisa,
Et sans tambours, etc.
XXI
Air : L'Amour dans le cœur d'un Français
Ô souvenir trop douloureux,
Éloigne-toi de ma pensée !
Le Saint, par ce revers affreux,
De chacun devint la risée ; (bis)
Et pour faire un accord de goûts,
Des mains profanes
Mirent ses mânes
Dans le plus sale des égouts. (bis)
XXII
Air : Pauvre Jacques
Pauvre diable, dit alors un rieur,
Qui t'a chassé du lieu céleste ?
Tu fus, hier, le seul Saint en odeur,
Et tu sens aujourd'hui la peste. (bis)
Mineur :
Du Paradis tu chassas les Heureux,
Tu devins2 l'arbitre suprême ;
Qui, désormais, va recevoir nos vœux,
Puisqu'on t'en a banni toi-même ?
Pauvre diable, quel est donc ton malheur !
Qui t'a chassé, etc.
Post-scriptum
Air de la croisée
Je me garde bien d'approuver
Une action aussi coupable,
Et l'honnête homme doit trouver
L'assassin toujours condamnable ;
Mais Charlotte, sans y songer,
Rendit un service au Prophète…
À force de prophétiser,
Il eût perdu la tête. (bis)