Cantate à l'Éternel, présentée au Comité d'Instruction publique le 20 brumaire, pour être chantée dans le temple de la Raison

Auteur(s)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Mots-clés

Paratexte

Texte

Musique de Giroust

Un choryphée :

Mortels écoutez-moi : que tout ce qui respire
Sous la voûte du firmament
Approuve et serve mon délire !
Éternel, c'est pour toi que j'ai monté ma lyre.
Sois sensible au sublime chant
Que je t'adresse… et que m'inspire
L'univers reconnaissant.

Le grand livre de la Nature
Se déroule devant mes yeux.
La voûte éclatante des cieux
Parle à mon cœur sans imposture…
À ce spectacle merveilleux
Je reconnais l'Être suprême,
Dieu créateur, seul, sans rival ;
Qui ne peut être que lui-même,
Et devant qui tout est égal.

Chœur des peuples :

Vous qui vous disiez son image,
Tombez, colosses de l'orgueil !
Rois mortels, périssable ouvrage,
Rentrez dans la nuit du cercueil.
Sortez vos fronts de la poussière.
Insectes ! Chef-d'œuvre divin
Qu'écrasait leur pied téméraire :
Aujourd'hui la Nature entière
Rend hommage à son souverain.

Chœur d'enfans :

Doux zéphirs exhalez la divine ambroisie
Dont vous vous embaumez en caressant les fleurs
Au feu de vos soupirs que tout se vivifie !
Qu'ils peignent aux humains, vos souffles créateurs,
Le souffle de celui qui nous donna la vie !
Portez son image en tous lieux.
Volez, et l'annoncez sous le riant feuillage,
Dans les antres profonds, sur les monts sourcilleux
Où les chantres ailés, variant leurs ramages,
Célèbrent les bienfaits qu'ils ont reçu des cieux.

Et vous, fiers aquilons, dont la fougueuse haleine
Rappelle les efforts des titans orgueilleux !
Par vos accords impétueux
Célébrez l'Éternel dont la main vous déchaîne
Pour effrayer la race humaine
Livrée à votre empire affreux.

Chœur d'enfans et de de femmes :

Vous tranquilles ruisseaux, dans votre douce pente,
Sur la tige des fleurs murmurez son saint nom.
Du torrent débordé que la voix menaçante
L'annonce avec fracas au tortueux vallon !
Et du vaste Océan que la masse effrayante
En l'attestant rugisse… et sème l'épouvante !

Haute-contre :

Tonnerres éclatez : que vos traits dévorans
Glacent d'effroi le cœur du justeIls peuvent effrayer le juste puisqu'ils tombent au hazard. Mais quoiqu'il ne soit point dirigé, il n'imprime pas moins la crainte et le respect et de l'impie !
Qui sommes-nous ? Quelle voix ? Quels accens !
L'Homme, les animaux, tout tremble et s'humilie.

Chœur des peuples :

Paraissez, pompeux météore
Arc brillant !… Portez-vous le roi du firmament ?
Non. Son trône est caché : l'astre qui vous colore
Est de ce souverain le seul portrait vivant.
Il emprunte de lui la vie et la lumière
Qu'il répand, à flots d'or, sur les mondes épars.
Semblable au créateur ce foyer qui m'éclaire
Me force de baisser mes timides regards.

L'éléphant, chaque jour, vers ce flambeau du monde
S'avance, et le salue humble et religieux.
Il voit avec respect ce globe radieux
Qui, repoussant la nuit profonde,
Remplit de sa splendeur l'immensité des cieux.

Humains, tout vous invite à la reconnaissance.
Tout d'un maître absolu, mais juste et bienfaisant
Vous manifeste l'existence,
Et lui rend à vos yeux un hommage constant.

J'ai vu des pins altiers les têtes vacillantes
Se courber devant leur auteur.
J'ai vu les moissons ondoyantes
Inclinant leurs épis, dire au cultivateur :
Rendez grâce à celui dont les mains bienfaisantes
Ont à votre industrie attaché le bonheur.

Quel parfum ! L'air flottant s'est chargé d'un nuage
Qui jusqu'aux cieux s'élève et va porter l'encens
C'est le baume des fruits et de la fleur des champs.
L'été les a mûris, et voilà leur hommage.

Vous dont l'âme s'exprime et peint les sentimens,
Vous, êtres plus heureux, doués de la parole,
Mortels, unissez-vous. Que vos rapides chants
Ne forment qu'un concert de l'un à l'autre pôle.
J'ai commencé ; mon hymne vole,
Et trouve l'Éternel sensible à mes accens.

 
 

Sources

AN, F17 1013.