Chant de guerre contre l'Angleterre

Auteur(s)

Année de composition

1799

Genre poétique

Description

Paratexte

Texte

Quand la paix de la Seine embellit le rivage,
Quel appareil guerrier vient frapper nos regards ?
Rome a-t-elle juré la perte de Carthage,
Et dans ses coupables remparts,
Veut-elle de ses droits venger l'antique outrage ?
Oui qu'Albion tremble pour ses foyers !
Némésis a sonné l'heure de la vengeance ;
Bellonne à ce signal joint le bruit de sa lance,
Et la peur à son char attelle ses coursiers.
Viens, viens, ô fille de mémoire,
Prépare des sons plus altiers ;
Compagne des héros dans les champs de la gloire,
Médite à leur côté l'hymne de la victoire,
Et sur leur nobles fronts va tresser tes lauriers.
Westminster lieu voisin, de ce champêtre asile
Où les arts fixèrent mes pas,
Religieuse enceinte à mes rêves facile,
Où l'immortalité siégeant près du trépas,
Enflamma pour toujours ma jeunesse indocile,
Vos plus doux souvenirs ne me désarment pas ;
Vos sages, vos chantres célèbres,
Ces modèles divins visités tant de fois,
Du fond de leurs marbres funèbres,
M'opposent vainement le bienfait de leur voix :
« Quiberon plus puissant en mon cœur se soulève.
Toulon, son port détruit, ses vaisseaux enflammés,
Nos vingt mille captifs dans Plymouth affamés,
Tout parle contre vous, tout contre vous s'élève ;
Tout appelle la foudre au défaut du remord,
Et l'on répète au loin guerre, vengeance et mort.
Guerre, vengeance et mort ! Ah ! Que viens-je de dire ?…
Mais quoi ! Dois-je éprouver un reste d'amitié ?
Non, non, tyrans des mers ; non, non, plus de pitié ;
Auteurs de tous nos maux, fuyez devant ma lyre.
Ô vainqueurs de l'Escaut, de la Sambre et du Rhin,
Si mon luth précurseur aux champs de l'Ausonie
Seconda les drapeaux du peuple souverain,
Allez dans Albion aux chants de Polymnie,
Ressusciter Neuwied et Jemmappe et Fleurus,
D'un superbe Sénat abaissez le génie,
Et dans Londres étonné foulant la tyrannie,
Rendez lui cet Himbden qui lui rendit Brutus.
Mais sur des âmes mercenaires,
Que peut l'auguste liberté ?
Sur ces orgueilleux insulaires,
Que peut la sainte égalité ?
Ah ! Qu'ils sont différents de ces Germains antiques,
Leur modèle en sagesse en générosité,
Et dont ils retraçaient dans leurs mœurs domestiques
La modeste simplicité !
Héritiers de leurs lois et de leur pauvreté,
Jadis dans leur indépendance,
Des peuples opprimés ils réclamaient les droits,
Et fiers de leur noble indigence,
Ils foulaient à leurs pieds le vain faste des rois !
Maintenant de l'Europe oppresseurs politiques,
Ils parjurent leur foi trahissent leurs serments,
Et des naissantes républiques
Ils arrachent les fondements !
Eh ! Qui ne connaît point les forfaits britanniques ?
Viens, Boston, à nos yeux retracer leurs fureurs.
Que la voix de Franklin résonne dans nos cœurs !
Venez, jeunes guerriers, lui-même vous devance ;
Lui-même dans ces murs où sa mâle éloquence,
Vint de Philadelphie étaler les malheurs,
S'armera pour votre défense,
Et vous donnera des vengeurs.
Voyez-vous l'Océan, dont la voix mugissante
Appelle vos drapeaux partout victorieux ?
Trop longtemps, vous dit-il, ma vague obéissante,
Sous des maîtres ambitieux,
Courba sa fureur menaçante.
Que leur coupable orgueil tombe enfin réprimé !
Fécond dispensateur des richesses du monde,
Mon trident pour eux seuls fut-il donc animé ?
Il est temps d'affranchir mon onde ;
Il est temps de venger l'univers opprimé.
Tant que j'ai vu dans mon empire
Leurs vaisseaux amis de la paix,
Porter aux nations des lois et des bienfaits,
Tous mes flots ont dû leur sourire.
Que de fois protégeant leur noble pavillon,
Des autans irrités j'éloignai les outrages !
Que de fois j'avertis par d'utiles présages
Leur magnanime Cook, leur généreux Anson,
Qui, pour l'humanité défiant les orages,
Ont transplanté les arts aux plus lointains rivages !
Mais depuis qu'enivrés de sang et de trésors,
J'ai vu leurs léopards avides
Environnés de foudres homicides,
Porter au loin la guerre et maîtriser mes bords,
J'ai juré de punir leurs crimes ;
J'ai juré de frapper un peuple audacieux ;
Et du fond de ces noirs abîmes
Un long cri de vengeance est monté jusqu'aux cieux :
Aux rives de la Seine il retentit encore.
Volez, jeunes guerriers, à de nouveaux succès.
Arrachez mon trident aux superbes Anglais.
Allez, le monde vous implore ;
Rendez-lui le bonheur, le commerce et la paix.