Chant de paix et de victoire

Auteur(s)

Année de composition

1799

Genre poétique

Description

Sizains alternant deux alexandrins suivis d'un hexasyllabe

Texte

« Que de ta lyre d'or les cordes prophétiques
Modulent de la paix les augustes cantiques,
PindareCette première strophe est adressée au C. Lebrun., le premier de nos poètes lyriques éveille-toi !
Mesure la hauteur des destins de la France,
Aigle altier, que ton vol jusqu'à cet astre immense
S'élève sans effroi.

Naguère importunés de sa gloire croissante,
Les trônes, par trois fois, dans leur rage impuissante,
Liguèrent leurs affronts :
Et trois fois renversant leur menace insensée,
Le peuple-roi lança la foudre courroucée,
Sur l'orgueil de ces monts.

Chantez, fils d'Ossian, ces courses triomphales,
Et tous ces fiers guerriers, et leurs palmes rivales,
Et ces moissons d'exploits ;
Quelle foule d'amans à la gloire fidèles,
Avide Renommée ont devancé tes ailes
Et lassé tes cent voix !

Ce fier géant des mers, ce tyran de Neptune
Dont la voile usurpa les eaux et la fortune,
Albion a tremblé :
La chute du colosse est promise à la terre,
Et l'aigle des Césars est frappé du tonnerre
Qu'il avait appelé.

Le Tibre a tressailli dans ses grottes profondes,
L'Adige impétueux, affranchissant ses ondes,
Agite ses roseaux :
Et trompant le courroux de leur urne hautaine.
Le Danube et le Rhin courent devant la Seine
Humilier leurs eaux.

Des montagnes de Tell le front auxiliaire
Voit sur leur flanc aride un laurier populaire
Verdir avec orgueil :
Près des cendres de Wit il refleurit encore,
Et du vieil Osiris, dans les champs de l'Aurore,
Réjouit le cercueil.

Vous disiez cependant que l'Ourse conjurée
Se lève, qu'à nos cris la rage hyperborée
Déchaîne tous ses flots :
Ils marchaient : et déjà leur fragile espérance
Dans un songe hautain foulait au pied la France
Veuve de son héros !

Comme au cri du lion la panthère hideuse
S'épouvante, et soudain vers sa caverne affreuse
Précipite ses pas :
Tel reportant l'horreur sur leurs plages barbares
Fuit à l'aspect de Mars ce reste de Tartares
Dévoués au trépas.

Ainsi, lorsque du Nord les cohortes errantes
Répandaient tout à coup leurs enseignes flottantes
Aux rivages latins :
Des enfans de Rémus une élite fidelle
Intrépide rempart de la ville éternelle,
Relevait ses destins.

Ainsi, lorsque d'un roi la vaste frénésie,
Dans son cours orageux précipitait l'Asie,
Vers les murs d'Apollon,
Tranquille et redressant une superbe tête,
La Grèce inébranlable, aux flots de la tempête
Opposa Marathon.

C'est assez : sur un char traîné par l'épouvante,
Laisse Erynnis guider l'Ambition sanglante,
Les torches dans les mains,
Français ! Ils sont vaincus… Descends de ta victoire,
Que le rayon plus doux d'une paisible gloire
Console les humains.

Honneur aux vrais héros qui dans leur sainte ivresse
Ont dévoué le fer d'une main vengeresse
Aux lois de leur pays :
Et qui, portant le poids des publiques allarmes,
Sanctifiant la guerre, entourent de leurs armes
Ces foyers aggrandis !

Donnez des fleurs : parons ces tombes magnanimes,
Cet asyle de gloire où des ombres sublimes
Dorment sous le laurier !
Si le guerrier s'immole au dieu de la patrie,
La patrie à son tour avec idolâtrie
Consacre le guerrier.

De là ces marbres saints chargés de nos hommages,
Dont la voix redira les vertus de nos âges
À la postérité :
De là ces arcs pompeux élargissant leurs voûtes,
Qui semblent aux héros ouvrir les vastes routes
De l'immortalité.

Heureux le digne appui des lieux qui l'ont vu naître,
Qui commande à des rois et qui, trop grand pour l'être,
Fidèle à la cité,
Couronne de lauriers les faisceaux populaires,
Et baisse avec respect ses palmes tutélaires
Devant leur majesté.

Tel Quintius soutint Rome encor chancelante,
Et, modeste, exerça d'une main triomphante
Un pouvoir révéré :
Et grand par les bienfaits, s'honorant d'être juste,
Revint réfugier son indigence auguste
Sous un chaume sacré.

Fier de ses alliés, vengeur de la Nature,
Le peuple magnanime a lavé son injure ;
Il n'a plus d'ennemis :
Il ne veut point jeter, en sa course inhumaine
Superbe conquérant, une odieuse chaîne
Sur le monde soumis.

Raffermir les États, déposer le tonnerre,
Dominer par les arts et consoler la terre,
Tel sera ton destin,
Ô Français ! Par degrés vois l'Europe affranchie,
Fléchir avec respect sous la philosophie,
Auguste souverain.

Par le nœud des besoins un intérêt fidèle
Va serrer désormais la chaîne fraternelle,
Des paisibles États,
Et des glaives brisés abjurant la furie,
Les humains connaîtront de la seule industrie
Les innocens combats.

Abjurez, abjurez ces crimes mercenaires,
Cessez de vous haïr ! Vous êtes tous des frères !
Vous ne vivez qu'un jour !
Ô Paix, vierge sacrée, éteignant leur querelle,
À tous ces malheureux, secourable immortelle,
Viens révéler l'amour !

Viens sur ce char doré que conduit l'Espérance,
Que suivent en riant Mercure et l'Abondance
Les épis à la main ;
Viens ! Tout brille et renaît sur tes traces divines,
Cybèle ranimée et sortant des ruines
Relève un front serein. »

C'est ainsi que debout sur d'immenses trophées
La Liberté superbe, au milieu des Orphées,
Exhalait ses accens.
Elle invoqua la Paix, les échos applaudissent,
Bellone soupira ; ses coursiers qui frémissent
S'arrêtent à ces chants.

L'Apennin sourcilleux et le Rhin l'entendirent,
Et Neptune élevé sur les flots qui mugirent,
Le redit aux deux mers :
Elle vient… La voilà cette paix protectrice,
Qui d'un autre cahos, déité créatrice,
Fait sortir l'univers !

 
 

Sources