Dangers de l'athéisme (Les)

Auteur(s)

Année de composition

1801

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Paratexte

Si la mort était la ruine de tout, ce serait un
grand gain pour les méchans.
Platon

Table des matières

Chant premier
Chant second
Chant troisième

Texte

Chant premier [retour]

Astre du jour ! Salut. Déjà sur l'hémisphère
En longs rayons de pourpre a jailli sa lumière ;
Il regarde le monde, et de ses feux naissans
Il colore la terre, il échauffe ses flancs ;
Il a versé l'amour, l'espérance et la joie :
Sur la Nature ainsi ta grandeur se déploie,
Dieu des temps ! qui, sorti d'un auguste repos,
Éveillas l'univers dans le sein, du chaos.
L'aquilon qui se brise à travers les montagnes,
Le zéphir qui frémit effleurant les campagnes,
Ces torrens vagabonds, ces tranquilles ruisseaux,
Amis des jeunes fleurs qui couronnent leurs eaux,
Les monstres que la mer voit bondir sur ses plages,
Les tigres, les lions qui, de leurs cris sauvages,
Ne forment qu'un seul cri par l'écho renvoyé
Depuis le mont Athos jusqu'au Nil effrayé ;
Tout rend un libre hommage à l'auteur de la vie ;
Tout raconte aux mortels sa grandeur infinie :
Mon âme a pris son vol vers le palais des cieux,
Et dans ce même instant l'athée audacieux,
Qui de crimes sans nombre a désolé la France,
Frémit de voir un Dieu jaloux de sa puissance,
Se révolte en esclave, et, parmi les mortels,
Jure d'anéantir son nom et ses autels.

Rappelle par mes vers sa raison égarée,
Roi des cieux ! Prête-moi cette harpe sacrée,
Dont le fils de Jessé, pasteur, prophète et roi,
Obtint pour l'avenir des sons dignes de toi.
Dans mes sens endormis réveille mon génie,
Fais passer dans mon sein une seconde vie.

Le Dieu qui te protège, et qui devant tes pas
Fait marcher la terreur et l'Ange des combats,
Le Dieu qui t'a chargé de lancer son tonnerre,
Qui du bruit de tes coups épouvante la terre,
Qui, pour toi seul, fixant l'inconstance du sort,
A veillé sur tes jours dans les champs de la mort ;
Le Dieu qui te conduit de victoire en victoire,
Dont le bras te soutient au faîte de la gloire,
Bonaparte, est ce Dieu qui, d'un fer destructeur,
Jadis de Machabée arma le bras vengeur :
Relevant les débris des autels et des temples,
Machabée aux héros laissa de grands exemples.

Toi qui sus ramener mon esprit étonné
Sur ce mont où jadis Virgile a moissonné,
Mes vers ne feront point rougir ta modestie.
D'Herbouville ! Ma muse au vrai seul asservie,
A-t-elle fait jamais, par un servile encens,
Le plus vil des métiers du plus beau des talens ;
Je pourrais donc te peindre avec quelque avantage :
Mais je suis appelé par un plus grand ouvrage.
Tes vertus, ton génie, en sont-ils offensés ?
Je t'adresse mes vers, c'est te louer assez.

Ô toi, si mes accords pénètrent chez les ombres,
Prends les routes du jour, sors des royaumes sombres,
Vois germer le poison consacré par tes vers,
Lucrèce ! Dieu n'est plus. L'infidèle univers
Attribue au hasard sa naissance sublime ;
Chaque jour, plus coupable, il agrandit son crime ;
Et depuis le berceau du premier des mortels,
La chaîne qui descend à nos jours criminels,
Jamais de tant de pleurs, de tant de sang trempée,
Ne vit de tant de coups l'humanité frappée.
Tout ce sang dont nos murs sont encore fumans,
Lucrèce ! C'est le fruit de tes égaremens :
À ta voix les déserts se couvrent de verdure,
Sur les bords des ruisseaux fuit un léger murmure,
Tu fais d'une nuit sombre éclore un jour serein,
Tu sèmes dans le ciel les roses du matin,
Quand les feux du soleil s'élèvent des campagnes,
De la pourpre du soir tu revêts les montagnes ;
Mais, dans tes chants hardis, tu n'as pu réunir
Les siècles écoulés, ni percer l'avenir,
Ni la voûte des cieux, ni cette nuit obscure
Où dorment les secrets de l'auguste Nature.
Je te vois remontant le passé ténébreux ;
Mais le passé s'éloigne et se perd à tes yeux ;
Et loin d'apercevoir, dans des clartés nouvelles
L'Éternel méditant ses œuvres éternelles,
Tu fuis la vérité, tu la fuis : dans tes vers,
Sous les mains du hasard s'arrondit l'univers,
Et ta muse coupable, aux erreurs enhardie,
Refuse l'existence à l'auteur de la vie ;
À cent ans de vertus, elle offre pour tout fruit
Le néant qui dévore, et la mort qui détruit.
Bossuet, Fénelon, d'un bras apostolique,
Ont fait tomber sur toi la foudre évangélique,
De l'immortalité rallumant le flambeau,
Ils ont porté le jour dans la nuit du tombeau :
À leur auguste aspect l'erreur est confondue ;
Mais, combattant toujours, est-elle encor vaincue ?
Sur les rives d'Argos telle on vit autrefois,
Élevant dans les airs sept têtes, et sept voix,
L'hydre dont les efforts trompaient les coups d'Alcide :
Elle renaît toujours, et toujours intrépide,
Il la frappe toujours ; et dans l'air infecté.
Des hydres jaillissaient de son sang irrité.
Malgré les vérités qu'enseigna leur génie,
Écoutez aujourd'hui les discours de l'impie.

« Enfans de la poussière, atomes animés,
Sous le poids des malheurs, par nous même opprimés,
Le faux éclat des rangs meurt sur notre carrière ;
Rien sur ce sol ingrat n'est vrai que la misère,
Et l'homme sur la terre, en momens douloureux,
Développe le fil de ses jours malheureux.
Que vois-je autour de moi ? La goutte paresseuse,
Et la pâle phthisie, et la lèpre honteuse ;
Sous des lambeaux usés la pauvreté gémit,
La honte est sur son front, et le mépris la suit :
Mais d'un pas plus hardi, la folie égarée,
La faim qui se dévore, et la fièvre altérée,
Fondent sur nous ; la guerre allume ses fureurs,
Et la peste hideuse étale ses horreurs.
Pour prix de tant de maux endurés sur la terre,
Que promet aux mortels le Maître du tonnerre ?
Des flammes, où livrés aux horreurs de leur sort,
Ils invoquent en vain une seconde mort,
Où brûlés des tourmens d'un antique supplice,
Ils fatiguent en vain l'inflexible justice.
Parmi nous, des fléaux ; dans l'enfer, des démons :
Sont-ce là les bienfaits du Dieu que nous servons ?
Non, non, ne pense pas qu'à tes pieds je m'abaisse,
Dieu trouvé par la peur, reçu par la faiblesse !
Ainsi qu'aux préjugés, asservis aux climats,
L'habitude à l'erreur guide nos premiers pas ;
L'adroite politique, en détours si féconde,
Inventa les vertus et les crimes du monde ;
Elle-même a créé, pour nous subjuguer mieux,
Des tyrans sur la terre, un tyran dans les cieux,
Prodigue les vertus à d'illustres coupables,
Et ne voit de forfaits que pour les misérables.
Les crimes, les vertus, enfantés à la fois,
Obéissent ensemble aux éternelles lois ;
Et c'est devant ces lois que tout est légitime,
L'oppresseur, l'opprimé, l'assassin, la victime.
Si le crime vous plaît, par lui soyez heureux.
Suivez des voluptés l'attrait impérieux,
Dans ces jours de printemps, où l'homme accru par l'âge,
Prodigue de sa vie, est fier de son courage ;
Par la guerre appelé, dépeuplez l'univers ;
Renversant les cités, étendez les déserts ;
Mais, si, loin des combats, brûlant d'une autre flamme,
La fière ambition s'élève dans votre âme,
En attestant le Ciel, trahissez vos sermens,
On n'a jamais jugé que les événemens,
Et les crimes heureux sont les seuls qu'on pardonne :
Saisissez les instans que la fortune donne ;
Des rois, des souverains, que craignez vous ? Osez !
Le mortel qui peut tout, ne peut jamais assez.
Au plus fort appartient le vulgaire imbécile,
Étouffez le remords au bonheur inutile.
Que vous opposera l'impuissante vertu ?
Un pouvoir que la force a déjà combattu.
Qu'un jour elle flétrisse ou vante ma mémoire ;
Que la haine ou l'amour me suive dans l'histoire ;
À qui n'a plus d'orgueil qu'importent ces autels,
Ces funèbres discours, et l'encens des mortels :
Et que m'importe à moi que ma cendre stérile
Dorme dans le tombeau de Thersite ou d'Achille,
Qu'au temple des grands noms, mon nom soit consacré !
On ne va point en foule à ce temple sacré.
Là sont ces immortels dont la vivante gloire
De nos derniers neveux remplira la mémoire :
Du vulgaire ignorant la folle vanité
A cherché dans les cieux son immortalité.

Tout naît, vieillit et meurt ainsi que ma pensée ;
Et des tombeaux féconds ma substance élancée,
Ou bientôt se roidit dans les flancs de l'ormeau,
Ou sur les bords d'un lac, flotte dans un roseau,
Ou s'exhale en parfums du chaste sein de Flore,
Sous les traits de Vénus s'anime, se colore,
D'un seul dieu, de l'amour, subit encor les lois,
Aime, soupire et brûle une seconde fois,
Ou sous les traits de Mars elle allume la guerre,
Ou par une autre loi se durcit dans la terre :
Ainsi tout renaît, meurt, et renaît pour finir.
Le temps a pris son vol du fond de l'avenir,
Ô temps ! Arrête, arrête… il emporte ma vie ;
Où suis-je ? Ai-je vécu ? Ma carrière est finie.
Esprit, âme, raison, noms qu'inventa l'orgueil,
Descendez avec moi dans la nuit du cercueil ! »

Toi qui, loin des leçons que donne la sagesse,
Peux dans tous les excès égarer ta jeunesse,
Jeune homme ! Tu l'entends : endormis dans la mort,
Les crimes, les vertus, ont tous un même sort ;
Brise le frein des lois, ne connais point de maître ;
Et fier, indépendant, sois le roi de ton être :
Des entraves des mœurs affranchis les mortels,
Trafique du poison des livres criminels ;
Jusque dans les hameaux, infecte l'innocence ;
D'un bras ensanglanté, que l'aveugle vengeance
S'élance sur sa proie avec un front d'airain ;
Qu'un vil usurpateur dévore l'orphelin ;
Qu'une mère coupable, au sein de sa famille,
Vende à l'or de Crésus la beauté de sa fille :
Vous, hier nos bourreaux, aujourd'hui courtisans,
D'une perfide main brûlez un faux encens,
Inondant ses palais d'une foule importune,
Assiégez Bonaparte, adorez sa fortune ;
Flétrissant ses lauriers, conspirez ses revers,
Et du bruit de sa chute effrayez l'univers.
Qu'entends-je ? Quels éclats ! Quelle foudre subite !
Et quels sont ces coursiers emportés par la fuite ?
Quel est ce char ?… Quel nom ?… Quels jours sont menacés ?
Bonaparte !… Ces murs dans les airs dispersés,
Tombant sur ses lauriers, vont les réduire en poudre…
Mais ses lauriers l'ont mis à l'abri de la foudre.
Ils revenaient ces jours, jours de deuil, jours sanglans,
(Arrache-les, grand Dieu, de la liste des ans !)
Où l'on vit ces mortels, vils fléaux de la terre,
Qui s'abreuvent de sang, et que le sang altère,
Associer le fer, la flamme, le poison,
Assassiner l'honneur, égorger la raison ;
Sous nos pas effrayés, n'ouvrir que des abîmes,
Et fatiguer la mort à force de victimes.
Quoi ! De si noirs forfaits seraient-ils rappelés ?
Non, ces temps sont bien loin dans les temps écoulés :
Ah ! Qu'il vive celui qui fait nos destinées ;
Dans le siècle futur prolonge ses années,
Grand Dieu ! De tes autels c'est le plus ferme appui.
Compagnons d'un héros, nous vivons avec lui :
Il est pour nous, son nom pour les races futures ;
Sans aigrir nos douleurs, il ferme nos blessures ;
Il conserve nos jours : que ses jours nous sont chers !
Que la mort d'un grand homme appauvrit l'univers !

Voilà de tes forfaits, impiété barbare ;
Ah ! Du sang des mortels que tu serais avare,
Si du livre sacré combattu tant de fois,
De l'évangile enfin, tu méditais les lois !
Pour le frapper d'erreur, tes esprits se tourmentent ;
Ah ! Ce n'est point ainsi que les hommes inventent.
Je vois par le malheur tes projets abattus ;
Ensemble tu confonds les crimes, les vertus ;
Ce livre nous apprend dans ses pages sublimes,
À ne confondre point les vertus et les crimes ;
À triompher des coups que nous porte le sort,
Et malgré la tempête, il nous conduit au port.

Chant second [retour]

Assis sur le rocher qui soutient l'espérance,
Rien ne peut du chrétien ébranler la constance ;
Et l'on voit sa vertu qu'éprouvent les malheurs,
S'enrichir de ses maux, s'attendrir de ses pleurs :
Dans la foule des maux son grand cœur se hasarde.
Le ciel en est témoin, la terre le regarde ;
Et sous ces grands revers il n'est point abattu :
Ils terrassent le crime, et non pas la vertu.
Si l'univers s'écroule, il voit d'un œil tranquille
L'univers s'écrouler, lui seul reste immobile ;
Mais l'or de la fortune a changé son destin ;
Sa main prodigue cherche une indigente main ;
Ses bienfaits sont déjà cachés dans le silence,
Il n'a que sa vertu pour toute récompense ;
Aux cris des factieux ne mêle point sa voix,
Et, citoyen paisible, il obéit aux lois.
Fût-elle même ingrate, il défend sa patrie ;
Jamais l'orgueil jaloux, jamais la sombre envie,
Dont l'œil empoisonné veille aux portes des grands
Ne jeta dans son cœur ses livides serpens.
Bon père, bon époux, il est ami fidèle ;
Il ne défendra point, enivré d'un faux zèle,
Le fanatisme ardent, la superstition,
Nuit obscure, et sanglante où se perd la raison ;
Mais c'est contre l'erreur qu'il arme son courage,
Et d'une sage main écarte le nuage
Dont l'athée à nos yeux veut obscurcir le ciel ;
Sur la terre, il défend le nom de l'Éternel ;
Il sait, loin de chercher cet être impénétrable,
Que toute sa raison meurt sur un grain de sable ;
Il croit, espère, attend. Ah ! Que l'espoir est doux,
Ce dernier sentiment qui périt avec nous !

Sous un glaive assassin je vois que l'on entraîne
Ce royal prisonnier couronné de sa chaîne :
D'un pas toujours égal, d'un front majestueux,
Il descend des grandeurs pour monter dans les cieux.
Allez, et dites-lui : « Dépose l'espérance
Sur les bords de la vie où le néant commence ;
Ta femme, tes enfans, tes vertus, tes États
Seront bientôt pour toi comme s'ils n'étaient pas.
Alors il passera, dans sa douleur profonde,
Le terme que Dieu mit aux malheurs de ce monde,
Un échafaud, la mort, et plus rien que la mort !…
Ajoutez, s'il se peut, aux horreurs de son sort ;
Mais encore il espère… On voit frapper le glaive ;
En mourant, il triomphe ; en tombant, il s'élève.

Ah ! Tournez vos regards sur l'échafaud voisin ;
Sous un manteau sanglant, voyez cet assassin.
Que de meurtres commis sous sa main criminelle !
De la religion la sainte voix l'appelle,
La honte, les remords, ses immenses douleurs,
Ouvrent sur ses forfaits la source de ses pleurs ;
Sur les bords du tombeau la vérité l'éclaire.
Ministre des autels ! Tu l'appelles ton frère,
Le presses dans tes bras… Une heure auparavant,
Sur son front ténébreux, le crime était vivant,
Son front au repentir était inaccessible ;
L'environnant déjà d'un silence terrible,
Tout un peuple indigné, dans le fond de son cœur,
Du fer de la justice accusait la lenteur :
À la pitié bientôt il revient, il s'étonne ;
Le ciel a pardonné, ce peuple lui pardonne,
Partage ses douleurs, bénit son repentir
Et l'ami qui l'éclaire, en l'aidant à mourir.
Au sein de l'Éternel, porté par l'espérance,
De son crime effacé, renaît son innocence ;
Mais la religion ne quitte point ses pas ;
Sainte Religion !… Il tombe dans tes bras ;
Et ce dernier moment, le dernier de sa vie,
Est la leçon du peuple, et l'effroi de l'impie.

Barbares novateurs ! Sophistes dangereux !
Quels secours offrez-vous aux mortels malheureux ?
Contemplez ce vieillard, sous un toit solitaire,
Dans son vingtième lustre achevant sa misère ;
Il n'a, pour tout secours, que les bras de son fils :
Ah ! S'il est sans fortune, il est donc sans amis.
On ne voit point, touchés de la plainte commune,
De riches aujourd'hui plus grands que leur fortune.
Ô terre ! Ce vieillard a, dans un lieu plus sûr,
Rassemblé des trésors pour le siècle futur ;
Il n'attend rien de toi, garde bien ta richesse.
Tous les maux dont les ans ont courbé sa vieillesse
Sont portés sans murmure, et soufferts dans la paix ;
Un Dieu toujours présent en soulage le faix.
Eh bien ! À ce vieillard arrachez l'espérance
Quel sera son appui dans sa dernière enfance ?
Fuyant avec l'espoir l'asile des douleurs,
La consolation n'essuiera point ses pleurs :
Épargnez vos leçons à son âme offensée ;
Aucun doute ennemi n'afflige sa pensée.
Quel esclave, en effet, se plaindrait aujourd'hui,
Si demain plus heureux, achevant son ennui,
Il devait s'éveiller le maître d'un empire ?
Il oublierait ses fers, dans son nouveau délire :
Tel on voit ce vieillard : tels sont ces malheureux,
De notre sainte foi ces martyrs généreux,
Persécutés, bannis sur des rives lointaines,
Chargés du poids des maux, et des ans, et des chaînes.

Comme vous, le front ceint du bandeau de l'erreur,
Pharaon s'endurcit sous les coups du Seigneur,
Prêtres de nos autels, dont la main sanguinaire
De la religion a rompu la barrière.
Oui, nos yeux les ont vus, ces ministres de paix,
Reculer aux humains la borne des forfaits,
Défendre tour à tour de contraires maximes,
Méditer l'évangile et méditer des crimes ;
Oui nos yeux les ont vus, sur différens autels,
Boire le sang du Christ et le sang des mortels ;
Mais le pouvoir échappe à leur main incertaine ;
Tous les partis contr'eux ont réuni leur haine,
Et pour défendre encor un reste de crédit,
De leur nom vainement ils réveillent le bruit.
Les voilà ces mortels qui, dans leur âme impie,
Étouffant le désir d'une éternelle vie,
Sur le vaste chemin de l'immortalité,
Craignent de rencontrer l'affreuse vérité.
Ainsi l'on voit la terre , en proie aux noirs orages,
Contre l'astre du jour élevant ses nuages,
Sans l'éteindre, arrêter la clarté de ses feux,
Et déployer sur elle un voile ténébreux :
Ainsi nous les voyons, auteurs de leurs alarmes,
Essayer contre Dieu leurs inutiles armes.
Ils affectent en vain un orgueil imposteur,
J'ai pénétré le voile et je lis dans leur cœur :
Je vois toute leur âme, et malgré leur sourire,
Sur leur front ennuyé, le chagrin qui respire :
Mais faut-il de la France assurer le repos,
En joignant la clef sainte au glaive d'un héros ?
Dans de sauvages cris leur fureur se réveille :
Ces mots viennent encor fatiguer mon oreille :
« Nous crions, Liberté ! L'esclavage nous suit ;
De nos fers, en courant, nous entendons le bruit.
La liberté mourut sur les rives du Tibre. »
Le mortel le plus sage est toujours le plus libre.
Que demandent ces cris ? De sanglans comités,
Pour renvoyer des fers à toutes nos cités ;
Des directeurs, qu'on vit triompher par le crime,
Et rêver leur grandeur, en tombant dans l'abîme :
Mon esprit indigné se soulevait contr'eux,
Il attachait la honte à leurs fronts orgueilleux.
Des voluptés sans choix, l'intérêt mercenaire,
Cet aliment grossier de l'âme du vulgaire,
De plaisirs et d'espoir remplissait leurs instans ;
Le courage sans doute en eût fait des tyrans ;
Mais, courbés sous un poids qu'ils soutenaient à peine,
Leurs mains, en la serrant, ont rompu notre chaîne.
Contre un mot indiscret, à leur cour apporté,
La haine et la vengeance armaient leur vanité :
Ils rampaient sur le trône. Ô poussière stérile !
Par les vents élevée, en es-tu donc moins vile ?
L'un, dans nos temples saints, érige à l'Éternel,
Près d'un autel auguste, un ridicule autel :
D'autres, aux malheureux qui cherchent leur patrie,
Donnent soudain la mort, ou leur vendent la vie.

Ah ! S'ils eussent connu l'auguste vérité
Qui nous juge du fond de son éternité,
Qui doit voir, avec nous, nos actions passées,
Dans le jour destructeur où mourront nos pensées,
Sans doute ces méchans que le sort a jetés
Dans le vulgaire obscur, ou dans les dignités,
N'auraient point, sans remords, dans la chaleur des crimes,
Du fiel de tous les maux abreuvé leurs victimes.
Peut-être, dira-t-on, « ces méchans sont heureux ;
Que fait l'Être invisible enfermé dans les cieux ?
Le monde n'est-il plus présent à sa mémoire ?
Et sa foudre dort-elle à côté de sa gloire ?
Qu'il tonne, qu'il renverse, et que dans son courroux
En frappant le coupable, il nous instruise tous.
Le glaive est dans sa main. Terrible, ce grand Être,
S'il n'était l'Éternel, se vengerait peut-être ;
Mais, doit-il renverser dans le milieu des temps,
Ses décrets éternels, pour frapper ses enfans ?
Comme on voit le soleil à travers un nuage,
J'aperçois ses desseins dans son sublime ouvrage.
Il veut que l'on attende un séjour plus heureux ;
Il avertit la terre, il punit dans les cieux,
Et le bien et le mal exécutent son ordre,
Et lui-même est l'auteur de ce vaste désordre.

Ce désordre est au sein de l'antique univers :
Là, ce sont des guérets, et plus loin des déserts.
Le mont Athos gémit sous les voûtes du monde,
Et le gouffre des mers s'approfondit sous l'onde.
Ici, de fiers remparts, de florissans États,
Sont, comme les humains, le jouet du trépas :
Sous l'effort des Persans, Babylone succombe ;
Les Persans par les Grecs sont poussés dans la tombe,
Les Grecs par les Romains : et tes propres enfans,
Rome auguste et superbe, ont déchiré tes flancs.
Un jour, sans doute, un jour, ce Paris si superbe…
Fier Ilion, tes murs sont engloutis sous l'herbe.

Qu'un désordre moral ne vous étonne plus :
Le malheur fait jaillir tout l'éclat des vertus.
C'est ainsi que la nuit fait briller les étoiles,
Quand tes derniers rayons se perdent sous ses voiles,
Astre du jour ! Souvent trop de prospérité
Efface à nos regards l'austère vérité.
Aux succès des méchans doit-on porter envie ?
Dieu ! Mêle de remords le bonheur de l'impie.

Vous dont ce Dieu de paix a troublé le repos,
Qui flottez incertains dans un sombre chaos,
Qui ne voyez encor qu'un rayon de sa gloire,
Pourquoi douter toujours ? Il est si doux de croire !
Ah ! Ne vous plongez point dans cet abîme ouvert,
Où repose le crime, où la vertu se perd ;
Au sein de l'athéisme, où tombent en ruine
Les chefs-d'œuvres divins des Pascal, des Racine ;
Où l'homme dégradé rompt, d'un bras furieux,
Le lien qui rassemble et la terre et les cieux
Que vois-je dans Zaïre, et que m'offre Athalie ?
Quelques tableaux épars, sans couleur et sans vie.
Massillon compte en vain le nombre des élus ;
Une sainte terreur ne m'épouvante plus :
Et que l'aigle de Meaux, planant sur le coupable,
Promène dans le ciel son vol infatigable,
Que Fénélon, d'un Dieu dévoile la splendeur ;
Rien de grand, de sublime entre-t-il dans mon cœur ?
Ah ! Remontons l'abîme où je viens de descendre :
Ici la vérité ne se fait point entendre.
Loin d'une affreuse nuit, pleine d'un saint orgueil,
Mon âme prend son vol au-delà du cercueil ;
D'une seule pensée elle embrasse le monde,
S'élève, s'agrandit, s'échauffe, se féconde,
Plonge dans le passé, remonte tous les temps :
Cet orgueil veut encore, après tous mes instans,
Quand j'aurai, sous les cieux, achevé ma misère,
Que d'un marbre vivant on pare ma poussière.
Plein d'immortalité, je pourrais te chercher,
Grand Dieu ! Je ne suis point semblable à ce rocher
Qui recèle en son sein un trésor qu'il ignore.
Je te trouve par-tout, et par-tout je t'adore.

Dieu t'appelle, il te crie, entendras-tu sa voix ?
Ô malheureux athée ! Ouvre les yeux et vois !
Il se montre par-tout sur la terre où nous sommes,
Et sa divinité se peint dans les grands hommes.
Crois-tu que Bonaparte, Alexandre et César,
Le vainqueur de Platée et le fils d'Amilcar,
Charles, et ce Moreau qu'environne la gloire,
Dans les revers sublime, humble dans la victoire,
Pichegru malheureux par un crime du sort,
Crois-tu que, tout entiers dévorés par la mort,
Ils ne laissent qu'un nom battu par les orages,
Enseveli bientôt sous la foule des âges ?
Ils vivront ; et leur nom sera seul effacé.

Quel œil a pénétré dans la nuit du passé ?
Si nos regards, vainqueurs de cette nuit profonde,
Eussent pu remonter jusqu'au berceau du monde,
Que de faits inouïs, de meurtres, d'attentats,
Que de combats livrés dans les champs du trépas,
Sous le voile des temps ravis à la mémoire,
Auraient ensanglanté les pages de l'Histoire !
Que de peuples perdus, de rois anéantis !
Les débris des États dérobent leurs débris.
De crimes, de malheurs et de sanglans ravages,
L'aveugle ambition a semé tous les âges.
Ces arcs chargés d'exploits, ces tombeaux, ces autels,
Ce désordre brillant éblouit les mortels ;
Mais chaque jour détruit ces digues fortunées
Qu'opposait leur orgueil au torrent des années.
Ces marbres mutilés, insultés par le temps,
Ne portent plus vos traits, superbes conquérans ;
Six mille ans ont borné votre immortelle vie ;
On demande déjà vos noms, votre patrie,
Vos exploits, vos vertus. Vous n'avez plus d'autels :
Les ouvrages de Dieu sont les seuls éternels.

Nous sommes son ouvrage. Et sa loi charitable,
Quand nous frappons le juste épargne le coupable.
N'armons plus contre lui de vains raisonnemens ;
Pour aller jusqu'à Dieu, l'on doit sortir du temps.
Pour sonder sa grandeur se tourmentent les hommes ;
En cherchant ce qu'il est, je vois ce que nous sommes.
Seul, que l'athée espère un éternel trépas ;
Espérons le bonheur. Sur-tout n'oubliez pas,
Vous qui donnez au monde ou la paix, ou la guerre :
Qu'on juge dans le Ciel les juges de la terre.

Chant troisième [retour]

Soit qu'il brille élevé sur le rang de l'honneur,
Soit qu'un destin contraire éteigne sa splendeur,
Par de nombreux canaux divisé dans sa course,
Le pur sang des mortels est le même à sa source.
Vous que la loi soumet aux lois que vous donnez,
Souvenez-vous du Dieu par qui vous gouvernez ;
Songez que ces mortels dont vous êtes les frères,
Sont encor vos égaux dans leurs destins contraires ;
Qu'ils peuvent, comme vous, honorer leurs exploits
Du glaive consulaire ou du sceptre des rois.
Terrassez sans pitié la coupable licence,
Mais du ciel quelquefois imitez la clémence ;
Pour régner dans la paix, offrez à la vertu,
L'Éternel triomphant, l'athéisme abattu :
À la religion qui m'inspire elle-même,
Vous, soumettez l'épée, et vous, le diadème.
Français, vous le savez, quels ont été vos maux,
Vos tourmens, quand vos chefs, devenus vos bourreaux,
Eurent quitté le Dieu que le monde révère !
L'impiété barbare a fait seule un Tibère.

Les mortels, tous enfans du même Dieu de paix,
Devaient également jouir de ses bienfaits ;
Mais, dans l'oubli des lois que dicta la sagesse,
La force impérieuse opprima la faiblesse,
L'esclavage naquit au sein de la terreur ;
À côté de son joug est celui de l'erreur.
Par l'erreur enfermés dans une nuit obscure,
Les hommes vont chercher l'auteur de la Nature
Dans les divinités dont ils peuplent les cieux.
(Mortels, Dieu fit le monde, Homère fit les dieux.)
La terrible Bellonne a l'hommage des Thraces,
Tout Cythère est aux pieds de Vénus et des Grâces ;
Ô Vénus ! Et la terre est aux pieds de ton fils.
Et l'Égypte adora l'aboyant Anubis ;
La Grèce, au sein des arts, eut des chênes prophètes,
De l'obscur avenir bisarres interprètes :
Je ne dis point ces temps où de coupables dieux
Attendaient sur l'autel le sang des malheureux,
Où nos pères, vieillis dans une longue enfance,
Abreuvaient de leur sang les dieux de l'ignorance.
Eux-mêmes, ces payens, dans leurs cultes divers,
Pleins d'espoir, adoraient l'auteur de l'univers.
Et nous à qui, ce Dieu, pour consoler les hommes,
S'est montré de plus près sur la terre où nous sommes,
Nous, pour qui de l'erreur déchirant le bandeau,
Il écarte les bords de l'éternel rideau,
Semblables à l'aveugle entouré de lumière,
Osons-nous, incertains, marcher dans la carrière ?

Et toi, plus criminel, qui, fier d'un faux savoir,
Voudrais tout pénétrer, tout entendre et tout voir,
À ton vaste compas assujettis l'espace :
Il s'étend, il renaît, et ton compas se lasse ;
Et lorsque dans un Dieu tout ton esprit se perd,
Le hasard a tout fait, et le ciel est désert !
Et notre âme perdue au sein de la poussière,
Rentre dans le chaos où dormait la matière !
J'aimerais mieux encor cette troupe de dieux,
Indignes de l'encens que l'on brûla pour eux,
Que cet affreux système où mon cœur en alarmes
N'aperçoit, que la terre ; et des maux et des larmes.

Mais si, par le hasard, dévoilant l'univers,
Tu me montres le jeu de ses ressorts divers ;
Si mon esprit s'éveille et comprend l'étendue ;
Si la Nature enfin développe à ma vue
Ses miracles sans nombre et semés en tout lieu,
Oui, je te le promets, ton hasard est mon dieu.
Qu'il éclaire mes pas dans cette route immense,
J'embrasse ses autels, j'entreprends sa défense.

Tu m'apprendras comment ce hasard immortel
Développa mes traits dans le sein maternel :
Dis-moi comment il sut, d'une subtile flamme,
Disposer les rapports de mes sens avec l'âme ;
De ce témoin secret qui veille au fond des cœurs,
Faire tonner la voix en reproches vainqueurs ;
Embraser mes esprits de l'amour de la gloire,
Sur des nerfs attentifs étendre ma mémoire ;
Par quel enchantement, devant elle appelé,
Puis-je voir repasser les siècles écoulés ?
Sur un fier ennemi ma main s'est élancée ;
Elle a, pour se mouvoir, entendu ma pensée.
D'où naissent ces transports de joie et de plaisirs,
Cette douleur profonde, et sur-tout ces désirs
De l'immortalité dans une âme mortelle ?
Et pourquoi cette aiguille au pôle si fidelle,
Cette aimable peinture attachée à ces fleurs
Si riches en parfums, si riches en couleurs,
Cette étamine enfin par zéphir égarée,
Qui féconde un pistil sous sa tente azurée ?
Dis-moi comment la sève active en ses canaux,
Nourrit l'orme robuste et ces frêles roseaux ?
L'Océan… Entends-tu ses vagues écumantes
S'enfler, mugir, rouler en montagnes bruyantes,
Se briser sur le sable ? Il calme ses fureurs,
Et rappèle en son lit tous ses flots voyageurs ;
Et pourquoi sous ses flots, terrible dans sa rage,
Veut-il, deux fois le jour, engloutir son rivage ?

Pour sonder sa grandeur, ce hasard, m'a-t-il fait ?
Sa grandeur est sans borne, et l'homme est imparfait.
Que d'augustes secrets ! Si je puis les connaître,
D'esclave que je suis, je m'égale à mon maître…
Ce maître est le hasard ! Où se perd mon orgueil ?
Au stérile néant aboutit le cercueil !
Cherchons, loin de la nuit, une route plus sûre.
Exister est le vœu de la simple Nature ;
Mais exister toujours, est le vœu de mon cœur :
Ce profond sentiment ne peut être une erreur.
Eh quoi ! Dans son empire, au sein de son ouvrage,
Au Dieu de l'univers refusant mon hommage,
Je suivrais les détours d'un système odieux !
Venez, mortels trompés, suivez-moi dans les cieux ;
Accourez : je m'élève au-dessus de la terre
Où mugit la tempête, où gronde le tonnerre ;
Je m'élève au-delà des campagnes de l'air.
Des brasiers enflammés où s'allume l'éclair,
Des vastes réservoirs où se durcit la grêle,
Où, pour le Nord glacé, la neige s'amoncèle :
Ô sublime univers, j'aperçois ton auteur !
Celui qui du néant combla la profondeur,
Celui qui dirigea ta pompeuse structure.
Le nombre, la grandeur, le poids, et la mesure,
Tout est bien : chaque monde offre à Dieu ses présens ;
Des habitans d'Herchel je vois fumer l'encens ;
Des peuples de Saturne on entend les cantiques
Dont retentit la nef de leurs temples antiques.
Je traverse l'espace, et déjà ne vois plus
L'es mondes fécondés par l'ardent Syrius.
L'aigle plane voisin de l'astre qui l'éclaire,
Et semble, dans le ciel, s'enivrer de lumière ;
Ainsi de nouveaux feux embrasent mes esprits ;
Je vois les cieux ouverts, un Dieu parle, et j'écris.

« Mortels, avant les temps, je régnais en moi-même,
Et, dans l'immensité de ma grandeur suprême,
Reposaient mon pouvoir, ma sagesse et mes lois.
Quand, au sein du néant, eut retenti ma voix,
Du néant fécondé, jaillit alors le monde ;
Tout était confondu, le feu, la terre, l'onde
Et les vents. J'ordonnai. Le chaos disparut.
Que la lumière soit, et la lumière fut.
Je pose à l'océan des bornes immobiles,
Où vient mourir l'orgueil de ses flots indociles ;
De mondes, de soleils, mon bras sema les airs,
Comme il sema le sable au rivage des mers ;
Il étendit les cieux sur de riches campagnes,
Abaissa les valons, éleva les montagnes :
Dans les flancs du Vésuve, au gouffre de l'Etna,
Par mon souffle allumé, le soufre bouillonna.
Peuplez-vous, cieux profonds, vous, terre obéissante !
Que tout vive, tout vit ; ma parole est vivante.
Et toi qui sur ton front dois porter, en naissant,
Le sceau de ma grandeur ; homme, sors du néant !
Et sorti du néant, il vit dans la lumière,
Pur comme les rayons de l'astre qui l'éclaire.
De tous les élémens qui forment la beauté,
Ève naquit au jour : sa belle nudité
De sa seule pudeur se montre revêtue,
Et de l'homme immortel elle étonne la vue.
Dans le sein du bonheur, ils sont unis par moi ;
Avec la liberté, je leur donne ma loi.
Déserteurs de la loi que je leur ai prescrite,
Ils ont connu l'orgueil ; la terre fut maudite.
L'intérêt leur apprit à trahir leurs sermens,
La honte leur donna les premiers vêtemens ;
Les remords aux regrets furent leur premier guide,
Caïn leur enseigna le premier homicide :
Ce fut le premier deuil et le premier trépas.

Alors que de fléaux attachés à leurs pas !
Le bonheur disparut où commença le crime,
La sombre éternité m'ouvrit son vaste abîme,
Et le fleuve du temps découla de son sein.
De l'homme, dans son cours, il a marqué la fin ;
Je le vois entraîner dans une nuit obscure
Et la race présente, et la race future ;
Briser les murs d'airain, et rouler à la fois
Les têtes des héros et les sceptres des rois.
Votre mortalité vous destine à la terre ;
Ces corps où vous vivez, tomberont en poussière.
Un seul homme créé pour ne jamais finir,
Dans sa chute entraîna les hommes à venir.
Mais l'âme ne meurt point : l'âme, quand je l'appelle,
Laisse aux mains de la mort sa dépouille mortelle.
Ainsi l'homme attendu dans un monde nouveau,
Ne dort pas tout entier dans la nuit du tombeau.
Mon œil, dans votre sein, regarde vos pensées ;
Je vois, contre mon nom, vos trames insensées.
Le hasard, dites-vous… Mortels, dans un instant,
La mort vous apprendra ce secret important.
Elle vient… La voilà… Que toute la Nature…
Mais, immortel, je puis laisser vieillir l'injure.
Vous n'échapperez pas à mon bras irrité :
Vous vivez dans le temps, moi, dans l'éternité ;
Quel fut son crime enfin, quand, sur la France entière,
S'ouvrirent les trésors de toute ma colère ?
L'oubli du Dieu vivant. Pour frapper les humains,
Mes foudres, à regret s'échappent de mes mains ;
Mais j'ai dû la frapper cette superbe France,
Jusqu'à ce jour sacré, ce grand jour dé clémence,
Où ma voix appela dans les murs de Paris
Un héros triomphant aux bords où fut Memphis.

Vas terrasser l'orgueil que ma vengeance élève ;
Vas briser son pouvoir, vas, lui dis-je ; et mon glaive,
En marchant devant toi, te montre le chemin ;
Et les chaînes de fer, et les portes d'airain
Tomberont : il paraît, triomphe, et sa victoire
A prolongé ses jours dans le bruit de la gloire.
C'est ainsi que jadis mon amour paternel
Sauva par des héros la maison d'Israël.
Mon bras va relever le bonheur de la France.
J'ai puni : c'est à moi qu'appartient la vengeance.
Dans ce vaste univers seul je dois ordonner ;
Et seul, ayant tout fait, je dois tout gouverner,
Jusqu'à l'heure, où, séchant les trésors des campagnes,
Du feu de mes regards je fondrai les montagnes,
Où le crime fuira loin de moi pour toujours ;
(La nuit n'habite point dans le palais des jours)
Où, dans l'air enflammé, porté sur mon tonnerre,
En ébranlant les cieux, je briserai la terre. »

Il a parlé. Mortels, il a parlé, ce Dieu
À la fois invisible et présent en tout lieu ;
Il n'a point emprunté la voix de ses oracles,
Comme aux temps où sa main prodiguait les miracles ;
Il a parlé lui-même. Oui, pleins de sa grandeur,
Mes yeux, mes yeux l'ont vu dans toute sa splendeur
Ce soleil sans déclin, ce soleil sans aurore :
Après les temps, sur nous il doit briller encore.
Ainsi, tel qu'un bel astre élevé sur les cieux,
Le pinceau du prophète a peint le Dieu des dieux ;
Et tel que le prophète, échauffé par ma lyre,
Je me suis élancé jusqu'au céleste empire.
Je reviens aux mortels, à ce monde agité
Apporter sa parole et dire sa bonté…
Mais non, sur l'univers sa voix s'est répandue,
Vous peuples, rois, consuls, vous l'avez entendue.
Athée, et ton oreille est sourde à cette voix !
Et tes yeux sont fermés aux clartés que tu vois !
Déchire l'épaisseur de ces voiles funèbres :
L'astre du jour n'est point compris par les ténèbres.
Du mensonge intrépide éclaire les détours ;
Connais la profondeur de l'abîme où tu cours.
C'est peu que de ravir à l'orphelin un père,
D'affliger le malheur, quand le malheur espère,
De rompre nos sermens appuyés sur l'autel,
D'opposer les humains aux volontés du Ciel,
D'éteindre les enfers qu'allume sa justice,
D'absoudre les forfaits échappés au supplice,
D'anéantir dans l'homme et l'homme et sa grandeur :
Il est d'autres dangers où conduit ton erreur…
Malheureux ! Et la mort obscurcit de son aile
Ce jour qui luit sur toi. L'entends-tu ? Dieu t'appelle :
Par sa gloire opprimé, confondu d'un regard,
Tu le verras demain… Tu le verras trop tard.

Le temps qui sur mon front gravera la vieillesse,
Me conduit chaque jour, effaçant nia jeunesse,
Vers ce Dieu que mon cœur sait connaître et chérir :
En commençant à vivre, on commence à mourir.
Sous le poids des vieux ans, il faut que je fléchisse ;
À la loi des tombeaux il faut que j'obéisse :
Ô mon frère ! Soumis à cette dure loi,
Un jour j'y descendrai, pour dormir avec toi.

Naguères, dans nos champs, sous l'ombrage d'un hêtre,
Ta flûte soupirait la romance champêtre,
Quand le cri de la guerre éveilla nos échos,
Du valeureux Condé tu suivis les drapeaux.
Associant ma cause à la cause commune,
Des fiers républicains je suivis la fortune,
Et du fer des guerriers s'arma mon jeune bras.
Séparés, nous courons dans les champs du trépas.
Sur cent bronzes rivaux, cent mèches enflammées
Réveillent mille morts dans leurs flancs enfermées ;
Et deux camps ennemis, déchaînant leurs fureurs,
Étalent leurs succès sur deux scènes d'horreurs.
Élancés loin des rangs, à la foudre qui tonne
On joint le coutelas et l'arme de Bayonne,
On frappe, on est frappé. Tels, aux plaines de l'air,
Les vents heurtent les vents, l'éclair croise l'éclair.
Hélas ! Dans ce désordre où le bouillant courage,
Marchant à la victoire, échauffait le carnage,
De l'ange du Seigneur l'invisible secours,
Quand nous lancions la mort, en défendait nos jours ;
Il étendait sur nous ses ailes bienfaisantes :
Comme nos cœurs, nos mains restèrent innocentes.
Mais ta valeur, Condé, cède à notre valeur,
Et je te vois vaincu dans le champ de l'honneur.
Nos soldats, fatigués du bruit de la victoire,
Sans songer aux lauriers que leur donne la gloire,
Cherchent d'autres dangers, portent dans d'autres camps
L'orgueil de leurs drapeaux, leurs destins triomphans.
Adieu, mon frère ! Adieu ! Sur un autre rivage,
Puisse un égal bonheur protéger ton courage !
Puisse l'Être infini que nous servons tous deux,
Cet Être qu'après nous serviront nos neveux,
Te ramener un jour dans les bras de ta mère !
Hélas ! Que je voudrais y rencontrer mon frère !

Mais non, tant de bonheur n'attend pas des mortels,
Et tu cours accomplir les décrets éternels :
Le Ciel en d'autres lieux vient de marquer ta tombe.
Déjà ces lieux t'ont vu. Ta jeunesse succombe.
Perdu pour les beaux arts, perdu pour les combats,
S'épaississent sur toi les ombres du trépas.
La mort t'enveloppant de ses ailes funèbres,
Te porte pour jamais dans ses froides ténèbres.
Ô jeux de notre enfance ! Ô plaisir innocent !
Que le bonheur passé rend le malheur pesant !
Ton âme est remontée à la céleste voûte,
Ton cœur dans ses vertus se réjouit sans doute,
Mon frère ! Dans les cieux : du sein de sa grandeur,
Dieu sur toi fait jaillir un éternel bonheur,
Et tu bois aux torrens d'une joie infinie,
Libre des nœuds étroits d'une mortelle vie.
C'est ainsi qu'au printemps roule avec majesté
Ce fleuve dont l'hiver enchaînait la fierté.
Tu ne mesures plus tes tristes destinées
Par les heures, les mois et le cours des années,
Et tu vois, affranchi du ravage des ans,
Les siècles se plonger dans l'abîme des temps.
Mon frère, ton bonheur a consolé tes frères ;
Qu'ils ont versé sur toi de pleurs et de prières !

Hier encor, ma lyre accompagnait mes pleurs,
Et de l'impiété je disais les malheurs ;
Quand aux premiers rayons de l'astre ami du monde,
La terre s'éveilla dans une paix profonde.
Aujourd'hui respirons sur la foi des traités :
Les glaives, les drapeaux rentrent dans nos cités.
Pour la paix ont tonné les foudres de la guerre :
Assise sur les dards qui dépeuplaient la terre,
La fureur, recelant le crime dans son sein,
A les bras enchaînés sous mille nœuds d'airain :
Terrible, elle frémit, et sa rage impuissante
Expire en s'exhalant de sa bouche sanglante.
En coutre façonné, le glaive du guerrier,
Va tracer dans nos champs le sillon nourricier :
Le commerce éveillé par l'active industrie,
Rassemble ses trésors au sein de ma patrie.
Sur l'abîme des mers nos vaisseaux conquérans,
D'une voile plus libre emprisonnent les vents.
Les sciences, les arts triomphent des obstacles,
Et de Louis le Grand ramènent les miracles :
Et la religion, chaste fille des cieux,
D'un peuple adorateur appelle tous les vœux ;
C'est en vain que l'athée arme son bras contre elle,
Comme la vérité je la crois éternelle.

 
 

Sources

BNF, Ye 15127.