Désespoir et regrets d'un volontaire faits à sa femme & à son fils, en présence d'un ami, pour avoir accepté une médaille
Auteur(s)
Mots-clés
Paratexte
Texte
Ô jour ! Funeste jour d'une éternelle horreur !
Soyez seul témoin de ma honte & de ma douleur !
Ô nuit ! Étendez vos sombres voiles
Et dérobez à mes yeux la clarté des étoiles.
Loix, consacrées à un affreux mystère,
Devenez pour moi un lieu ténébreux & solitaire.
Et toi, faible raison, qui ne saurais s'éteindre,
Laisse-moi, du moins, le loisir de soupirer & me plaindre.
Lâche pitié, que voulez-vous de moi ?
Qu'ai-je vu ? Qu'ai-je fait ? Grand Dieu ! Mon cœur est encore ébranlé !
Et qui, comme moi, mon ami, ne serait affligé & alarmé ?
Ne voyez-vous pas nos lauriers flétris ;
Notre gloire & notre honneur ternis ;
Nos droits, notre liberté abolis…
Voilà donc ces intrépides & fougueux volontaires,
Dont l'indomptable ambition voulait dompter l'univers,
Et qui semblables à ces anciens insulaires
Voulaient assujettir tous nos ennemis pervers !
Où sont-ils ces vaillans & courageux Brabançons,
Dont le courage & la valeur incomparable
Ont chassé de nos murs l'armée formidable
De d'Alton le cruel, l'effroi des nations ?
Juste ciel ! Fallait-il montrer un si juste courage
Pour nous replonger nous-mêmes dans un autre esclavage ?
N'aurions-nous donc brisé nos fers, & secoué le joug d'un tyran,
Que pour en recevoir un cent fois plus pesant ?
Grand Dieu ! Qui aurait cru, que de si noirs forfaits
Seraient la récompense de si glorieux faits ?
Combien de sang va couleur, dans ces funestes jours,
Si, par un prompt secours, tu n'en arrêtes le cours.
Le sang des malheureux ne fait point nos délices :
Cependant nous ne pouvons tolérer les vices
D'une horde d'insensés, dont les injustes fureurs
Semblent menacer la patrie des plus funestes malheurs :
J'ose même dire que si on accuse toujours sans rien prouver,
On va renverser l'État au lieu de le sauver.
Ne sommes-nous pas liés par serment à n'user de clémence,
Afin de soutenir nos droits & la religion en révérence ?
Leurs agents, Vander Noot ne nous ont-ils pas dictés
Ce serment solemnel, dont nous sommes obligés
Envers Dieu ? Donc la Justice austère & terrible
Doit rendre au crime notre âme inaccessible.