Deux martyrs de la Liberté, ou Portraits de Marat et de Lepelletier (Les)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Texte

Poëme à la gloire de Marat

Lu en la séance du Conseil général, le Dimanche 14 août août 1793 et imprimé par son ordre

Il n'est plus ce mortel digne d'un meilleur sort ;
Le vaisseau de l'État qu'il conduisait au port,
S'élevant par degrés au-dessus des naufrages,
Allait, calme et tranquille, affronter les orages.
Il aurait triomphé de Carrybde et Sylla,
Des modernes Cromwell et des nouveaux Sylla.
Il a vécu. Des champs de l'antique Neustrie,
S'élançant tout à coup une jeune furie,
Dans le sein de Marat a plongé le poignard,
Et la France a perdu son plus ferme rempart.

Ô mes concitoyens ! Du fanatisme horrible,
Admirez le génie aussi fier que terrible,
Au cœur de l'innocence il souffle ses poisons,
Et l'innocence alors brave échafaud, prisons,
Et des grands criminels suivant de près les traces,
Des serpents d'Alecton, se couronnent les Grâces,

De Marat cependant, quels furent les forfaits ?
Pour établir en France une éternelle paix,
Aux dieux, aux demi-dieux qui régnaient sur la terre,
Aux tyrans de tout grade il déclara la guerre.
Qu'êtes-vous devenus, nobles ambitieux,
Pervers agioteurs, prêtres astucieux ?
Sa redoutable main vous réduisit en poudre,
Et les traits de Marat furent ceux de la foudre,
Du Necker, tout bouffi d'une fausse fierté
Et qui feignit d'abord d'aimer la liberté,
Toujours il réprima la morgue financière ;
Et l'empêchant surtout d'achever sa carrière,
Il l'obligea de fuir, le cœur rempli d'effroi.

Du peuple faux ami, vrai sectateur d'un roi,
D'abuser du pouvoir Lafayette eut l'audace.
Marat à lui s'attache, il le suit à la trace ;
Sans égard pour son titre, il flétrit son laurier,
Et de son blanc cheval renverse le guerrier.
À cet excès de honte, indigné de survivre,
Lafayette à son tour veut en vain le poursuivre.
Dans un noir souterrain évitant ses regards,
Du plus ardent civisme il y forge les dards.
Tel qu'un autre Vulcain, enfermé sous la terre,
Au peuple qu'il adore il fournit le tonnerre ;
Et Lafayette enfin percé de mille coups,
Court au loin exhaler son impuissant courroux.

Tandis que Dumouriez voit aux jeux du théâtre,
De ses lauriers menteurs tout Paris idolâtre,
Marat vient arracher à ce monstre odieux
Le masque de vertu qui trompait tous les yeux.
Du courageux Marat, peuple, voila les crimes.
Par degrés sous tes pas se creusaient des abîmes,
Que pour les mieux cacher d'adroits législateurs
Se plaisaient à couvrir de prestiges flatteurs.
Marat n'est point séduit par le funeste piège…
Et des hommes d'État la horde sacrilège
Désertant le marais qu'elle a trop habité,
Ne souille plus les airs de son souffle empesté.

Tyrans qui désiriez lui ravir la lumière,
Vous vous applaudissez dans votre rage altière,
De l'avoir vu tomber sous le sanglant couteau…
Marat vous détruira du fond de son tombeau.
Il n'est pas loin, le jour où, perdant leurs couronnes,
L'un sur l'autre les rois tomberont de leur trône.
Où régnera partout la sainte égalité,
Où partout on criera : Vive la liberté.
Les bords de la Neva, les rives du Bosphore
Retentiront bientôt de ces noms que j'adore.
Catherine frémit au fond de son palais,
Et le sultan commence à craindre nos succès.
Le pape, au rang des saints a mis Louis seizième ;
Il l'a canonisé, mais le pape lui-même
Du rang des potentats va descendre à son tour,
Et le roi des cagots ne vivra plus qu'un jour.

Mais Marat fut cruel !… Ah ! Du peu qui lui reste,
Voyez-le à l'indigent faire l'offre modeste,
Prendre soin de la veuve, adopter l'orphelin,
Doucement leur sourire et leur tendre la main,
Ne haïr, en un mot, que le riche insensible,
Que les durs ennemis du citoyen paisible,
Et toujours distinguant les vices des vertus,
En lui seul réunir Épictète et Brutus.
Quand du temple des lois il habitait l'enceinte,
N'allait-il pas du haut de la Montagne sainte,
De l'aristocratie écrasant les vautours,
Implorer des bienfaits, réclamer des secours
Pour l'humble agriculteur, qui de ses mains fécondes,
Fait vivre, fait fleurir, et soutient les deux mondes.

Peuple, lis ses écrits : la tendre humanité
Y respire partout avec la liberté.
Des traîtres, je l'avoue, il a proscrit la tête ;
Mais vois comme son œil avec bonté s'arrête
Sur le faible mortel qu'un triste égarement
Du sentier des vertus fait sortir un moment :
Marat par ses écritsMarat est un des premiers qui ait demandé l'abolition de la torture dans son ouvrage sur le code criminel l'arrache à la torture.
Une femme pourtant, l'horreur de la Nature !
Une femme a plongé le poignard dans son sein !
Une femme s'armer d'un poignard assassin !
Ô sexe intéressant, qui nous tiens dans les chaînes,
Toi, que forma le Ciel pour adoucir nos peines,
Pour charmer notre vie en la semant de fleurs,
Pour calmer nos chagrins, pour essuyer nos pleurs,
Faut-il qu'une mortelle, au quatrième lustre,
Par un forfait horrible ait cru se rendre illustre ;
Que, par la perfidie et la férocité,
Elle ait cru parvenir à l'immortalité ?
Jouissez de ce crime, ô tyrans que j'abhorre !
Marat n'existe plus, cent rois vivent encore ;
Et Frédéric-Guillaume et Catherine deux
Font peser sur le nord leur joug sombre et hideux.

Vous l'appelez cruel !… Ah, modérés perfides !
Vous seuls fûtes de sang et de carnage avides ;
Vous seuls fûtes cruels, quand, feignant la douceur,
Pour enfoncer le fer avec plus de noirceur,
Vous ayez d'un Buzot adopté les maximes.
Et du tyran François pardonné tous les crimes.
Le peuple, malgré vous, est rentré dans ses droits :
Traîtres, c'est l'égorger que d'épargner les rois.

                                                                                                   


Vers sur la mort de Michel Le Pelletier

Victima haud ulta amplior
Potest, magisque opima mactari jovi
Quam rex iniquus
.
Sénèque

Sur le socle où la main d'un Phidias antique
Avoit placé d'un roi l'image despotique,
Quel est donc ce cercueil de cyprès entouré,
Ce glaive tout sanglant, cet corps défiguré,
Et ce lit où la mort, de sa faulx menaçante,
Semble encor défier la liberté naissante ?
Est-ce un jeune guerrier qui frappe mes regards,
Et qu'elle a moissonné dans le champ des hasards ?
Non, c'est Le Pelletier, c'est un sage, un grand homme,
Tel qu'en offrit jadis le fier Sénat de Rome,
Que Bellonne jamais n'a vu sous ses drapeaux,
Et qui vient de mourir de la mort des héros.

Citoyens, je l'ai vu ce mortel magnanime,
Emporter au tombeau le regret unanime
Du Peuple qu'il servît, et des législateurs,
Qui tous l'ont honoré du tribut de leurs pleurs :
Et quel autre eut jamais plus de droit aux hommages ?

Vainqueur des préjugés, il brisa les images
Dont s'enorgueillissoient les comtes, les marquis ;
Aux titres féodaux, par ses pères conquis,
Opposant une gloire et plus pure et plus belle,
À la patrie, aux loix il montra fidèle,
Et dépouillant un nomLe Pelletier étoit marquis de Saint-Fargeau, et l'on sait qu'à l'Assemblée constituante il fut un des premiers à se dépouiller de son nom et de son titre qui n'étoit pas le sien,
À ses pieds il foula le sang patricien.

Il n'imaginoit pas, qu'outrageant la Nature,
La loi dût à la mort vouer la créature,
Et jaloux d'abolir la peine du trépas,
Excepté pour les rois, qui ne pardonnent pas,
Il voulut, sans laisser la justice endormie,
Accabler le méchant du fardeau de la vie ;
Avec tant de clémence, avec un tel dessein,
Devoit-il expirer sous un fer assassin ?
Devoil-il d'un forfait devenir la victime ?
Ah ! Loin de le maudire il faut bénir le crime
Qui plongeant au tombeau le sage Pelletier,
À l'immortalité l'a conduit tout entier.
Le jour qui de Louis a vu tomber la tête,
A vu de Pelletier la glorieuse fête ;
Quel sublime contraste ! Un monarque abhorré
Courbe sur l'échafaud son front déshonoré,
Pas un sanglot pour lui, pas un cri ne s'élève,
Et le tyran à peine est tombé sous le glaive,
Que l'ami des humains, de frères escorté,
Au temple de la gloire en triomphe est porté,
Et que de tout un peuple accompagnant son ombre,
Retentit dans les airs l'hymne pieux et sombre.

Tel est un peuple libre : amant de la vertu,
De quelque vain éclat qu'un roi soit revêtu,
S'élevant tout à coup à la fierté de Rome,
Dans ce dieu d'un moment il n'aperçoit qu'un homme
Et dans l'homme qu'il pleure il reconnoît un Dieu.
Mais qu'entends-je soudain ! Par un dernier adieu,
Félix le Pelletier vient honorer son frère :
Le Panthéon couvert d'un crêpe funéraire
Dans Félix et Michel, croit voir les deux Gracchus,
Tremblez tyrans du Nord non encore abattus !
Tremblez, elle a brillé, votre dernière aurore ;
Du sang de Pelletier, des vengeurs vont éclore ;
Imitons son exemple, amis, frères, parens,
Et votons, avec lui, le trépas des tyrans.

                                                                                                   


Dorat-Cubières à Anaxagoras Chaumette

Ces couplets peuvent se chanter sur l'air : On compteroit les diamans

Ô mon cher Anaxagoras,
Se peut-il que la calomnie
S'obstinant à suivre tes pas
Ait troublé le cours de ta vie ?
Ils ont dit, tes sots ennemis,
Qu'autrefois tu disois ta messe,
Et qu'affublé d'un beau surplis
Tu trichais le peuple à confesse.

Non, non, je ne croirai jamais
Que mon ami, vrai sans-culotte,
D'un prêtre, couvert de forfaits,
Ait porté la sale calotte.
Se moquant des qu'en dira-t-on,
Et des tyrans de toute espèce,
Chaumette a choisi son patron
Parmi les sages de la Grèce.

Si pourtant d'être au rang des saints
Il te prenait la fantaisie,
Pour réussir dans tes desseins
Tu liras mon œuvre choisie :
Sur le pape j'ai plaisanté,
Et je suis digne de te plaire :
Tout dévot à la liberté
Prendra mon livre pour bréviaire.

 
 

Sources

BNF, Ye 20469.