Diable à confesse (Le)

Auteur(s)

Année de composition

1791

Genre poétique

Description

Mots-clés

Paratexte

Texte

Tandis qu'à Rome, Ange Braschi fulmine
Contre la France une bulle enfantine ;
Tandis qu'en France, en dépit du clergé,
Le citoyen n'est presque plus mangé ;
Tandis enfin, que la bonne Assemblée
Fait de son mieux, quoique souvent troublée
Par la canaille et des Verds et des Noirs
Dont à la Cour sont les grands réservoirs ;
Le diable, las d'être esclave d'un prêtre,
Et regrettant mille fois son enfer,
Du Vatican brisant une fenêtre,
Incognito se précipite en l'air,
Attrape un ciel, puis sur un autre grimpe
Vers l'Éternel, au plus haut de l'Olympe.
Il frappe. On ouvre. – Est-ce par ici Dieu ?
– Oui-dà ; qu'es-tu ; qui méconnais ce lieu ?
Lui dit Pierrot. – Monsieur, je suis le diable.
Le diable toi ?… Que viens-tu faire ici ?
– Parler à Dieu. – Justement le voici.
Prosterne-toi ; criminel exécrable.
Satan se tait : il se met à genoux.
Avec Pierrot, il fallut filer doux.

Foulant aux pieds l'orage, assis sur le tonnerre,
D'esprits saints entouré, le maître de la terre
S'avance… Un seul regard fait incliner les cieux…
Sur toute la Nature il promène ses yeux.
Il aperçoit Satan… Il s'arrête, il soupire…
Il le fixe… Il est Dieu… Son vouloir a parlé.
Satan se lève… Il sent augmenter son martyre…
Il se sent écrasé… Trois fois il a tremblé…
Il voit tout ce qu'il perd… Il déteste son crime…
De ses yeux consternés le feu s'écoule en pleurs.
L'Éternel ne veut point aggraver ses douleurs ;
Il détourne de lui son regard qui l'abîme…
Satan est soulagé… – Parle ange malheureux !
– Je le puis, maintenant… Je ne vois plus tes yeux.

Quand ta vengeance a puni mon injure,
En me brûlant pendant l'éternité,
J'en conviendrai, je l'avais mérité.
Mais ajouter aux tourmens que j'endure,
C'était ton lot, non celui des mortels.
Pour pervertir le monde ton ouvrage,
J'ai tout tenté. Renverser tes autels,
M'asseoir en dieu ; susciter le carnage,
Braver ta foudre ! Enfin je n'ai cessé
Qu'en ce moment où je suis surpassé
Par un ingrat, un hypocrite un pape !
Heu !… Gare à lui, si jamais je l'attrape !…
Oui, le valet du portier de chez toi,
Par ses forfaits l'ose emporter sur moi.
Tout mon orgueil, et toute ta justice
Ne peuvent plus creuser mon précipice.
Un coup de plus… et cet audacieux
Perce mon gouffre et va frapper les cieux…

Je ne viens point implorer ta puissance.
Tu ne dois pas, en tant qu'être parfait,
Me protéger dans cette circonstance.
Je ne saurais recevoir un bienfait
De l'Éternel que mon aspect offense ;
Mais, être juste est-ce être protecteur !
Non, non, grand dieu !… Quoique je sois le diable,
Le pape a tort… Le pape est condamnable
Il est démon, dès qu'il est imposteur…
J'ai pour témoin, la France… la Nature…
Je veux avoir raison de cette injure…
J'étais damné… lui pontife chrétien…
Il se fait diable, et je ne suis plus rien !
Il doit opter… S'il me succède au crime…
Ah ! Je lui laisse un pouvoir légitime…
Il peut manger, s'il veut, le genre humain…
De mon côté, l'évangile à la main,
Dès ce moment, je prends thiare et chape…
Il sera diable… et moi, je serai pape.

Je puis prouver mon droit par des aveux
Que je vais faire à la face des cieux.

Je le soutiens, ma cause est infaillible.
Je puis prouver par l'histoire et la bible
Que moi, Satan, de tout forfait auteur,
Dois l'emporter sur tout compétiteur.

Tu le sais bien, père de la Nature
Que j'inventai la fourbe et l'imposture.
Songe à la pomme. Adam y prit du goût.
Adam, sans moi n'en eut point eu du tout.
Ève eut vécu dans l'innocence pure.
Et sans mourir elle auroit eu ce bout,
Ce joli bout auquel pendoit la pomme,
Dont on se sert pour multiplier l'homme.
Quand je trompai, le pape étoit-il là ?
Non !… J'ai donc croit contre lui ! Bon cela.

Lorsque Sodome ajustait par derrière
Ses habitans, Ganymèdes d'alors,
Certes, le pape ainsi que le bréviaire
N'existaient pas… et j'existais. D'accord
Que le Saint-Père et son sacré collège
Et son clergé s'amusent de ce sens…
Qui peut nier que ce gentil manège
Ce joli jeu soit un de mes présens ?

Existait-il ce grand chef de l'Église
Quand à la Cour d'un certain Pharaon
Je fis venir le grand sorcier Moyse ?
Père Éternel, tu me diras que non.

Lorsque Jésus au désert fit carême,
Qui le tenta ? Fut-ce ce pape ou moi ?
Le bon Dieu dit… je m'en souviens ; c'est toi.

Qu'ai-je besoin, législateur suprême,
Reprit Satan, de prouver le surplus ?
Tu connais tout. Donc il est superflus
De retracer ce que je fis moi-même.
Tu l'as voulu, je suis toujours pervers,
Damne avec moi, si tu veux l'univers !
Mais que Braschi, jaloux de ma malice,
Fasse descendre un Dieu dans son calice
Puisqu'en son nom, prêchant l'iniquité,
Grille en chantant mille et mille victimes,
Pour une messe ordonne deux cens crimes
J'en eus moins fait, Seigneur, en vérité.

Je passerais sur cela, sans scrupule ;
Mais le Braschi vient de faire une bulle
Qui me ravit et mon sceptre et mes fers…
Brashi fait plus ; du fond de mes enfers
En cardinal il m'habille au conclave…
(Qui le croirait ! Moi qui depuis mille ans,
Laissais tranquille et Pierre et ses enfans)
Au Vatican Braschi me fait esclave !…
A-t-il le droit d'augmenter mes tourmens ?

En folâtrant j'attirai dans mes flammes,
Mille chrétiens en moins d'un quart de jour.
Trois passions me procuraient des âmes.
J'avais pour moi, le vin, les jeux, l'amour…
Et tout l'enfer, et les saints qu'en chaudière
Nous faisons cuire, admiraient ma manière
De dévaster sans être turbulent.

Je rôtissais assez paisiblement,
Lorsque les Francs ennuyés d'être esclaves,
Dirent entr'eux : « Frères, que tous les braves
Se réunissent, et que la liberté

[…]

(page 5 manquante)

[…]

Lors le démon, fait un éclat de rire.
De cet éclat, le Seigneur est surpris.
De quoi ris-tu ? – Faut-il que je le dise ?
– Oui, sur le champ – Vous me rendez l'Église !

Eh bien, dit Dieu, prends ce que tu voudras…
Je les hais tous, car ils sont tous des traîtres.
C'est donc en vain que j'étendais mon bras
Pour le bonheur du monde ; mais les prêtres
Ont su troubler l'ordre que j'avais mis.
À toi, Satan, ils seront tous soumis,
Les Français seuls relèveront ma gloire,
Prêtres chrétiens, époux tendres, humains,
Sur les Braschi, gagneront la victoire.
Ils soutiendront l'ouvrage de mes mains…
Par eux le peuple éclairé, plus tranquille,
De ma morale aimera la douceur…
Chaque Français portera dans son cœur
Le citoyen digne de l'évangile.

Mes chers amis, je ne vous dirai point
Ce que devint ni ce que fit le Diable.
Fort peu me chault de discuter ce point
Mais puissiez-vous, tous vivre à l'amiable,
En bons Français, en frères, en chrétiens.
Or, quant à moi, je prétens et maintiens
Que mieux vaudrait s'en aller à Bicêtre,
Que de gauchir dans les pattes d'un prêtre,
Que mieux vaudrait pour le siècle à venir,
Avoir affaire à monseigneur le Diable ;
(Ce monseigneur est, dit-on, fort traitable ;
Avec cettui, l'on sait à quoi tenir.)
Que d'écouter un prêtre mercenaire
Qui rit de vous, quand votre numéraire
Vous lui portez pour vous faire bénir !

 
 

Sources

BNF, Ld4 3603.

Bouche de Fer, n° 57 bis, p. 327-329.