Discours en vers sur la morale républicaine

Auteur(s)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Rimes plates

Mots-clés

Paratexte

Texte

Trop long-temps avili sous le joug despotique
De ces usurpateurs, qu'une sottise antique
Arma, pour t'asservir, d'un pouvoir odieux ;
Français, te voilà libre, et tu peux être heureux,
À toutes les vertus désormais enchaînées,
La Paix, l'Égalité, les hautes destinées
Où t'appelle aujourd'hui la plus sublime Loi,
Vont être ton ouvrage, et dépendront de toi.
Vainement des Germain la horde féodale,
Sous l'appui d'Albion, notre indigne rivale,
(Que si honteusement on voit rétrograder
Dans la route où d'abord elle sut nous guider) ;
Vainement le Batave, et le Sarde et l'Ibère,
Du Sarmate opprimé l'impudique mégère,
Et, sous leur prêtre-roi, les Romains glapissans
S'épuisent, pour nous vaincre, en efforts impuissans :
Contre des citoyens armés pour la Patrie
Des peuples abrutis que peut l'idolâtrie ?
Qu'ils tremblent, à leur tour, ces brigands couronnés,
D'esclaves orgueilleux sans cesse environnés.
Ils outragent du Ciel la justice suprême,
En combattant des droits consacrés par lui-même.
Mais leurs trônes bientôt, en s'écroulant sur eux,
De leurs longs attentats vengeront nos ayeux.

Si, d'un œil inquiet, l'univers te contemple,
Français, sois digne enfin de lui servir d'exemple.
D'où naît la juste horreur que t'inspirent les rois ?
C'est qu'ils osent braver la sainteté des lois.
Montre-toi donc docile à ce frein salutaire :
Écrase tout flatteur assez vil pour te taire
Que l'état social, qui fonde ton pouvoir,
De chacun de tes droits fait sortir un devoir.
À te régénérer que ton zèle s'applique :
Existe moins pour toi que pour la République.
Membre du Souverain, à la frivolité
Fais succéder, en toi, la mâle dignité,
La pureté de mœurs, le maintien sage, austère,
Qui doivent annoncer un si grands caractère :
Dans l'Europe, autrefois, tu ne sus que charmer ;
Mets aujourd'hui ta gloire à t'en faire estimer.

Que l'esclave, courbé sous le poids de sa chaîne,
À son lâche oppresseur abandonne la peine
De le bien diriger ; on l'excuse aisément.
Mais au républicain l'honneur parle autrement :
Il se doit surveiller avec un soin extrême ;
À ses concitoyens il répond de lui-même :
Et plus de chacun d'eux son droit est respecté,
Plus il en est comptable à la société.

Pour remplir tes devoirs, apprends à les connoître ;
La justice est leur base, et leur fin ton bien-être :
D'un burin éternel la main du Créateur
Ineffaçablement les grava dans ton cœur.
L'orgueil, le fanatisme, un dangereux délire
Long-temps, pour t'égarer, t'empêchèrent d'y lire.
Au nom de tous leurs dieux, des prêtres imposteurs ;
De tes nombreux tyrans exécrables fauteurs,
De misères, d'opprobres empoisonnoient ta vie,
Et d'éternels tourmens te la montroient suivie ;
Comme si la Nature, en formant l'univers,
Ne nous eût destinés qu'à peupler les Enfers !

Français, n'écoute plus leurs perfides mensonges ;
Que ta philosophie écarte ces vains songes.
Une voix plus fidèle, avec simplicité,
Proclame, dans ton sein, l'auguste vérité.
C'est d'un Dieu bienfaisant l'incorruptible oracle ;
Ou, plutôt, c'est Dieu même ; et dans ce tabernacle,
Chaque jour, à toute heure on peut le consulter :
Jamais il ne trompa qui voulut l'écouter.
Il attache au remords une utile souffrance ;
Mais au prompt repentir il offre l'espérance.

« Jouissez, nous dit-il, périssables humains,
Des dons qu'autour de vous ont prodigué mes mains :
Cessez de révérer un dogme atrabilaire ;
À vos privations pourrois-je me complaire ?
Ne vous ai-je inspiré le désir du bonheur,
Que pour vous voir sans cesse en proie à la douleur ?
Non : le plaisir la suit ; et par elle il s'augmente :
En se le retraçant la peine est moins poignante.
Dans cette alternative et de biens et de maux,
Un sommeil restaurant succède à vos travaux.
Chacun de vos besoins, source de jouissance,
En vous rendant heureux, signale ma puissance ;
Et distinguant vos jours par leur variété,
Vous dérobe à l'ennui de l'uniformité.

Saisissez du présent le solide bien-être :
Par la mémoire encore le passé peut renaître ;
Mais quand l'œil curieux pénètre l'avenir,
Il hâte les chagrins qu'on vouloit prévenir.
Ainsi, de vos erreurs accusant la Nature,
Vous élevez contre elle un coupable murmure.
Aux plus utiles dons vous osez imputer
Les dangers que de vous ils dûrent écarter.
Falloit-il, vous créant machines impassibles
Ridicule moteur d'aveugles instrumens,
Quelle gloire eût, pour moi, suivi leurs mouvemens ?
L'homme libre peut seul réfléchir mon image :
Esclave, il n'eût été qu'un imparfait ouvrage :
Inutile chaînon dans le règne animal,
Il n'eût point décoré le système moral.

Le pouvoir de choisir fonde seul la justice.
L'homme le reçut donc ; et la raison propice
Fit au fond de son cœur de désirs combattu,
Du choc des passions éclore la vertu.
Sur elle reposa le bonheur de la terre,
Et l'art de l'opérer ne fut point un mystère ;
Il commande à chacun, dans l'ordre social,
Pour prix des mêmes droits, un sacrifice égal ;
Par les efforts de tous, la commune patrie
De chaque individu féconde l'industrie ;
L'humanité souffrante y trouve des secours
Qui calment ses douleurs et prolongent ses jours ;
Des méchans, s'il en est, une sage police
Réprime la licence ou punit l'injustice.
La loi parle ; il suffit : elle est le vœu de tous.
Qui pourroit ?… Qui voudroit se soustraire à ses coups ?
Mais inutilement sa rigueur meurtrière
Du coupable jamais n'abrège la carrière.
La vie est un dépôt qu'il tient de ma bonté ;
Il n'a pu le transmettre à la société.
Avec un saint respect tout mortel doit attendre
L'inévitable instant marqué pour me le rendre.

L'homme juste, en tout temps, prêt à subir son sort,
Vers l'immortalité s'élance sans effort.
La mort n'est à ses yeux qu'une crise ordinaire,
Dont l'effet incertain peut être salutaire.
La superstition, par sa vaine terreur,
À ses derniers momens ne prête aucune horreur.
Jamais il n'a pensé que ma juste sagesse
À l'égale des forfaits dût punir la foiblesse,
Ni que la courte erreur d'un atôme mortel
Sur lui dût attirer un supplice éternel.
Aussi calme au couchant qu'il le fut à l'aurore,
Son âme, vers le ciel, doucement s'évapore, 
Et regretté des siens heureux par son amour,
Il s'endort, dans leurs bras, sur le soir d'un beau jour.

Tel est de la vertu le réel avantage ;
Humains trop abusés, qu'il soit votre partage.
Ses dogmes consolans assureront pour vous
Le bonheur de chacun par la bonheur de tous.

Trop long-temps vos docteurs, dans leur bile âcre, amère,
De la perfection pour suivre la chimère,
Ont sçu, vous prescrivant un impossible essor,
De votre âme épuisée affoiblir le ressort.
Ce sot isolement, ces gênes imbéciles,
Ces macération, ces jeûnes inutiles,
L'oubli dénaturé des plus purs sentimens,
L'homme à l'homme arraché par d'absurdes sermens,
Loin de me présenter un agréable hommage,
Sont pour ma bienfaisance un insolent outrage.
De la Nature en vain tressai-je les liens ?
Eux seuls, par la vertu, font les bons citoyens ;
Et l'homme, abandonné durant sa longue enfance,
Sans l'état social n'auroit plus d'existence.

Oui ; tout est bien dans l'ordre établi par mes lois ;
Mais tout fut dépravé par les prêtres, les rois.
Contre un peuple choisi pour en purger la terre,
Leur rage appelle en vain les fléaux de la guerre ;
Il a dans ma justice un invicible appui,
Et mon bras tout-puissant triomphera pour lui. »

Français, de tes destins saisis l'heureux présage ;
Mais, pour les accomplir, qu'autant que ton courage
La modération dirige tes exploits ;
La sainte humanité réclame aussi ses droits :
De l'ennemi vaincu referme les blessures ;
À la patrie en pleurs ramène les enfans,
Dont les fatals combats ont déchiré ses flancs ;
Pour qu'enfin tous les yeux s'ouvrent à la lumière ;
Garde-toi d'oublier que tout homme est ton frère ;
La faible cruauté veut tout exterminer ;
La force est généreuse, et cherche à pardonner.

Et vous, législateurs, dont la haute prudence
Fonda sur la raison la gloire de la France ;
Qui, bravant l'aquilon, les gouffres, les rochers,
Au fort de la tempête intrépides nochers,
Dirigez sur les flots le vaisseau magnifique
Portant du monde entier l'espérance civique ;
Hâtez-vous ; complettez vos glorieux travaux.
Qui pourroit mieux que vous combattre nos rivaux
Quelle main oseroit achever votre ouvrage !
À le développer forcez votre courage ;
Craignez que l'ignorance ou la malignité
N'en altèrent l'ensemble et la sublimité
De tous vos successeurs le zèle et la science
N'atteindront qu'avec peine à votre expérience,
Et de leurs premiers pas la timide lenteur
Peut du corps politique énerver la vigueur.

Que l'empire des loix par vous se rétablisse ;
Faites régner aussi les mœurs et la justice ;
Enfin, si des pervers les complots furieux
D'une juste rigueur vous armèrent contr'eux,
Qu'à les sacrifier le glaive qui s'apprête
Du vrai républicain n'effleure plus la tête ;
Que le gouvernement, chéri par sa douceur,
Des cœurs aliénés rappelle la candeur ;
Que notre liberté soit entière, réelle :
Vainement de nos droits la charte solemnelle
Nous les garantiroit, si la loi les détruit.
L'égalité pour nous devient aussi sans fruit,
Quand du riche et du pauvre, avec ignominie,
Des noms injurieux détruisent l'harmonie.
L'État constitué, plus de terme moyen,
Tout homme est ennemi, s'il n'est pas citoyen.

Dignes représentans d'un peuple magnanime,
En fixant son bonheur, confirmez son estime.
Ministres éclairés de son noble courroux,
Il vous réserve un prix bien flatteur et bien doux ;
Vous suspendrez, à temps, les traits de sa vengeance ;
Et vous proclamerez son auguste clémence.

 
 

Sources

AN, F17 1005A.