Dithyrambe sur l'Assemblée nationale

Auteur(s)

Année de composition

1789

Genre poétique

Description

Dizains

Texte

Toujours battus des vents, assiégés par l'orage,
Durant la sombre nuit les Français égarés,
Courant de naufrage en naufrage,
Perdaient les droits les plus sacrés.
Par le choc éternel des intérêts contraires,
Des préjugés rivaux et des lois arbitraires,
Le sein de notre Empire est encore agité :
Mais vainqueur des noires tempêtes,
Bientôt va briller sur nos têtes
Le jour de la Justice et de la Liberté.

Aux généreux accords, ma lyre accoutumée,
Frémit de son repos, et volant sous mes doigts,
D'un zèle héroïque animée,
Brûle de s'unir à ma voix.
Vous tous, ô mes rivaux, amants de l'harmonie,
La liberté, si noble et si chère au génie,
Aurait-elle pour vous des charmes impuissants
Dans ces fêtes patriotiques,
Pourquoi suspendre vos cantiques ?
À qui réservez-vous vos immortels accents ?

Si l'on doit caresser l'audace et l'insolence,
Des idoles de Cour chanter les vils succès,
Ô Muses, gardez le silence,
Taisez-vous, lyre des Français.
Éloignons tous ces Grands de nos divins mystères :
Assez d'autres sans nous seront leurs tributaires ;
Qu'ils méritent l'éloge avant de l'obtenir ;
Et n'allons point, flatteurs sinistres,
Valets des rois et des ministres,
Déshonorer nos chants devant tout l'avenir.

Ô ! Vous qui détestez l'orgueil et la bassesse,
Du nom de liberté remplissez vos écrits :
Instruisez, éclairez sans cesse
Un peuple de la gloire épris.
Anéanti longtemps, sans droits, sans équilibre,
Qu'il comprenne à la fin ce que c'est qu'être libre ;
De l'erreur, des abus, soyez, soyez vainqueurs :
Qu'aux jeux sacrés de Melpomène,
Les traits de la grandeur humaine
Courent en vers brûlants s'imprimer dans les cœurs.

Ah ! Faut-il voir encor dans les temps où nous sommes,
Sous des chefs orgueilleux, des peuples sans fierté ?
L'esclavage détruit les hommes ;
Ils sont grands par la liberté.
Mais si quelque Français, âme impure et flétrie,
Méprise ton saint nom, vierge de la patrie,
Qu'il vive dans l'opprobre, et meure abandonné ;
Et que la cendre du perfide,
Comme une cendre parricide,
Répande, au gré des vents, un air empoisonné.

Ton aspect réjouit le mont le plus sauvage,
Au milieu des rochers enfante les moissons ;
Par toi, le plus affreux rivage
Rit environné de glaçons.
L'immortelle Nature à ta voix est soumise ;
Par toi, le jour pesant qui luit sur la Tamise ;
Éclaire un peuple heureux, actif, intelligent ;
Sans toi, divinité chérie,
Le beau climat de l'Hespérie,
Sous d'opulents rayons offre un sol indigent.

Le fils du grand Pépin, roi plus grand que son père,
De tes droits abolis sut le restaurateur ;
Sous le gouvernement prospère
D'un conquérant législateur,
On vit aux champs de Mai s'assembler nos ancêtres ;
On vit le peuple franc, ses nobles et ses prêtres,
Tous enfants de l'État et son commun soutien ;
Et le roi de l'Europe entière,
Plein de leur âme libre et fière,
N'était au milieu d'eux qu'un premier citoyen.

Mais, bientôt à la force unissant l'artifice,
De ce roi fortuné les enfants malheureux
Laissèrent tomber l'édifice
Construit par ses soins généreux.
Le glaive et l'encensoir, rivaux du diadème,
Partageaient avec lui la puissance suprême ;
Le peuple fut contraint d'humilier son front :
Ramper devint sa seule étude ;
Et de sa triple servitude,
La nation perdue osa chérir l'affront.

Tombe le souvenir de ces temps sacrilèges !
Tombe de nos tyrans la vile ambition !
Fuyez, injustes privilèges,
Droits fondés sur l'oppression !
Fuyez, disparaissez des cités de la France,
Antiques préjugés des siècles d'ignorance,
Qui, loin de la vertu, supposiez la grandeur !
Périsse l'orgueil despotique,
Qui, de la majesté publique,
A si longtemps noirci l'immortelle splendeur !

Les sublimes vertus et les dons du génie,
Sur des mortels choisis versés à pleines mains,
Par une distance infinie
Les ont séparés des humains.
L'existence ordinaire est de quelques journées :
Ces favoris du Ciel ont d'autres destinées ;
Ils vivent consacrés à l'immortalité ;
Et leur éloquence enflammée,
Soutien de la terre opprimée,
Réclame, au nom de tous, la sainte égalité.

Mais d'autres, étalant les trésors, la naissance,
D'autres, se nourrissant d'un imbécile orgueil,
À leurs fils léguant la puissance,
Vont trouver la honte au cercueil.
Des superstitions, ministres fanatiques,
Du trône usurpateur, complices despotiques,
Brigands toujours vendus aux brigands couronnés,
Ils voudraient retenir la terre
Dans l'esclavage héréditaire
Où dormirent longtemps les peuples enchaînés.

Courage ! Éveillez-vous, citoyens de la France ;
Ne vous flétrissez point aux yeux de l'Univers :
Mettez en vous votre espérance ;
Connaissez et brisez vos fers.
N'imitez point, Français, ni vos faibles ancêtres,
Qui, trahissant le peuple et lui croyant des maîtres,
De l'auguste nature ont ignoré la voix ;
Ni le délire frénétique
De ce peuple de la Baltique,
Par un choix solennel esclave de ses rois.

Asservis comme nous, comme nous d'âge en âge,
Sous un sceptre insolent, les Anglais abattus,
N'avaient qu'un stérile courage
Et d'insuffisantes vertus.
Leurs destins ont voulu qu'un monarque imbécile,
Au sein de nos remparts, vînt chercher un asile ;
La nation quittée a reconquis ses droits ;
Et déjà, depuis cent années,
Dans ses campagnes fortunées,
L'abondance a fleuri sous l'ombrage des lois.

Ô ! Franklin, Washington, grands compagnons de gloire,
Ô vous à qui la Grèce eût dressé des autels ;
Vous à qui la sévère histoire
Paiera des tributs immortels,
Je ne m'enivre point d'un espoir chimérique ;
La liberté qui luit aux champs de l'Amérique,
Éclaira près de vous les regards des Français ;
Et bientôt des récits fidèles
Vont annoncer à nos modèles
Les fruits de leur exemple, et nos heureux succès.

Le Russe et l'Ottoman, l'Afrique plus grossière,
Presque tous les humains sous le joug abrutis,
Au sein d'une antique poussière,
Baissent leurs fronts anéantis.
Tout sera libre un jour : un jour la tyrannie,
Sans appui, sans États, de l'Univers bannis,
Ne verra plus le sang cimenter ses autels ;
Et des vertus mère féconde,
La liberté, reine du monde,
Va, sous d'égales lois, rassembler les mortels.

Où donc est ce pouvoir grossi par tant de crimes ?
Où donc est, diront-ils, ce monstre audacieux ?
Ses pieds touchaient aux noirs abîmes ;
Son front se perdait dans les cieux.
Il osait commander : les peuples en silence,
De ses décrets impurs adoraient l'insolence ;
Le monde était aux fers : le monde est délivré ;
Et l'auteur de son esclavage,
Vomi par l'infernal rivage,
Dans le fond des enfers est à jamais rentré.