Dix-huit fructidor (Le)

Auteur(s)

Année de composition

1797

Genre poétique

Description

Dizains d'octosyllabes

Texte

Je chante l'illustre journée
Où l'équité dictant des lois,
Sauva la France abandonnée.
Aux fureurs des suppôts des rois.
Soutiens ma voix, heureux Génie
Qui, sur les maux de la Patrie,
Jetas un regard protecteur :
Liberté, reçois mon hommage ;
L'homme affranchi de l'esclavage
Te doit sa gloire & son bonheur.

C'est sous ton nom que des perfides,
Tramant des complots criminels,
De sang & de carnage avides,
Renversaient par-tout tes autels :
Du titre sacré de justice
Ils couvraient la noirceur du vice
Qui nous forgeait de nouveaux fers.
Bientôt tant de milliers de braves
N'étaient plus que de vils esclaves
En horreur à tout l'univers.

Au tems où changeant de parure,
La terre se couvre de fleurs,
Où, par les droits de la Nature,
Le Peuple élit ses sénateurs,
On vit le crime & l'imposture,
Usurpant la magistrature,
Siéger à côté des vertus,
Trahir la patrie avec joie,
Servir un roi qui les soudoie,
Et ressusciter les abus.

Vaillants héros dont le courage
Aux rois vaincus, donnait des lois,
On vous préparait l'esclavage
Pour prix de vos brillants exploits :
Vous n'étiez qu'un peuple sauvage ;
Vos victoires un brigandage,
Des attroupements criminels ;
Les amis des rois les seuls sages,
Vos assassins, dignes d'hommages,
Placés au rang des immortels.

Un soldat, trompant votre estime,
Devenu le chef parmi vous,
Corrompu, nourri dans le crime,
Voulait vous sacrifier tous.
Bouillé, Dumouriez & Custines,
Vos trahisons & vos rapines,
En cruautés, n'ont rien d'égal
À la noirceur du nouveau traître
Qui, servant les fureurs d'un maître,
Forma ce projet infernal.

Pichegru qui, vers la victoire,
Suivit vos efforts valeureux,
Enivré de sa fausse gloire,
Crut encore éblouir vos yeux ;
Mais la Liberté vous seconde,
Elle perce la nuit profonde
Qui couvrait ses affreux desseins,
Et montre à la France étonnée,
La déplorable destinée
Que préparaient ses assassins.

Jeune guerrier que la prudence,
Que la sagesse & la valeur,
Naguère, au couchant de la France,
Nommèrent pacificateur,
Des bords où le Rhin en furie,
Entre l'Autriche & la Patrie,
Roule ses flots impétueux,
Tu vis nos maux, & ton courage
Osa faire tête à l'orage
Et résister aux factieux.

Un héros extraordinaire,
Par-tout vainqueur, par-tout aimé,
Homme d'État, homme de guerre,
Poète, artiste consommé,
Favori de Mars & des Grâces,
Enlevant les cœurs & les places,
Et par les Muses couronné,
Lorsque tout l'univers l'admire
Quand il consolide l'Empire,
Par le Sénat est condamné.

Venez, compagnons de ma gloire,
Dit Buonaparte à ses soldats ;
Au Midi fixons la victoire,
Volons à de nouveaux combats :
Ces rochers, ce fleuve rapide
Où je fus toujours votre guide,
Ne doivent plus nous retenir :
Rejoignons les rives de l'Ourse,
Arrêtons le mal dans sa source ;
Le crime règne, il faut punir.

La discorde croît & s'agite,
Ses fureurs creusent des tombeaux ;
Chez Thémis la vertu proscrite,
Tombe sous le fer des bourreaux :
La République est déchirée,
On foule aux pieds l'arche sacrée
Où reposent nos saintes lois ;
La horde cruelle & barbare
S'élève, s'arme & se prépare
À faire triompher les rois.

Ces hommes ingrats & rebelles,
Tournaient un fer ensanglanté
Contre les sénateurs fidèles
Aux drapeaux de la liberté.
Rubel, Barras, Lareveillère,
Vous finissez votre carrière
Sous le couteau des assassins ;
Et ce courage, toujours ferme,
De vos bienfaits était le terme ;
La France pleurait ses destins.

Votre zèle & votre prudence
Ont déjoué leurs noirs projets,
Et votre active vigilance
Arrêta d'horribles forfaits.
De vengeance & de sang avares,
En éloignant tous les barbares
Qui, dans nos flancs, trempaient leurs mains,
On vit votre clémence auguste,
Par une punition juste,
Épargner le sang des humains.

Craignez qu'une audace nouvelle
N'enflamme encore les tyrans ;
Surveillez leur horde infidèle,
Elle ose espérer tout du tems :
Alors qu'on la croit expirante,
Cette hydre toujours renaissante,
Cache sa fureur sous les eaux ;
L'orgueil lui redonne la vie,
Elle s'accroît, se fortifie,
Et lance des poisons nouveaux.

Je vois les Français invincibles ;
Le citoyen est rassuré ;
Nos héros sont incorruptibles,
Et le Sénat est épuré.
Aux trois Directeurs intrépides,
Vous joignez vos vertus solides,
Savant François, juste Merlin ;
Déjà ce Directoire illustre,
Donnant aux arts un nouveau lustre,
Présage un glorieux destin.

Jour fortuné, jour de mémoire,
Qui vis finir tant de forfaits,
Jour brillant où le Directoire
Nous combla de nouveaux bienfaits !…
Puisse une liaison intime,
Conduire, d'un pas unanime,
Les Conseils & les Directeurs.
La Paix conquise & suspendue,
Va, dans peu, nous être rendue,
En dépit des conspirateurs.

 
 

Sources

BNF, 8 Ye 4692 ; 8 Ye 5345.