Épître au roi

Auteur(s)

Année de composition

1789

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes croisées

Texte

Monarque des Français, chef d'un peuple fidèle,
Qui va des nations devenir le modèle,
Jusqu'au sein de Paris, séjour de tes aïeux,
Ton favorable aspect vient consoler nos yeux,
Permets, qu'une voix libre, à l'équité soumise
Au nom de tes sujets te parle avec franchise ;
Prête à la vérité ton auguste soutien,
Et, las des courtisans, écoute un citoyen.

Des esclaves puissants qui conseillent les crimes ;
Tu n'as pas adopté les sanglantes maximes.
Le peuple, en tous les temps calomnié par eux,
Trouve son défenseur dans un roi généreux :
Des préjugés du trône écartant l'imposture,
Louis fait respecter les droits de la nature,
C'est au peuple, en effet, que tu dois ta splendeur,
Et sa grandeur peut seule affermir ta grandeur,
En vain les ennemis du prince et de la France,
Étalant sans pudeur leur superbe ignorance,
Vont d'un adroit sophisme accuser mes discours :
Mentir avec adresse est le talent des Cours.
Consulte la raison, immortelle science,
Et cette autre raison qu'on nomme expérience ;
Exerce ton esprit, interroge ton cœur ;
Et des temps reculés sondant la profondeur,
Fais parler devant toi les fastes de l'histoire :
Examine quels noms dévoués à la gloire,
De trente nations maintenant révérés,
Pour l'avenir entier sont devenus sacrés ;
Et de quels noms affreux la mémoire flétrie,
Recueille après cent ans l'horreur de la patrie.

Des ennemis du peuple on connaît les forfaits :
Les noms de ses amis rappellent des bienfaits.
Mais il est trop de rois, il est trop de ministres,
Qui, recourant toujours à des moyens sinistres,
Oubliant que du peuple ils tiennent leur pouvoir,
Regardent comme un droit ce qui n'est qu'un devoir.
Ainsi des Armagnacs l'oppresseur tyrannique,
Des biens des Templiers l'usurpateur inique,
Ainsi l'esclave-roi de l'orgueilleux Armand,
D'un ministre barbare imbécile instrument,
Ainsi de Médicis la race couronnée,
Par de vils savoirs tour-à-tour enchaînée,
Tous ces rois fainéants, sur le trône endormis,
Aux conseillers de Cours indignement soumis,
Subissant avec eux une immortelle peine,
Des siècles indignés ont encouru la haine.

Quel tableau différent se présente à mes yeux !
Voilà nos souverains, voilà tes vrais aïeux :
Des demi-Dieux François je vois l'image heureuse ;
Famille de bons Rois, hélas ! Trop peu nombreuse.
Contemple de Pépin l'héritier respecté ;
Il voulut des Français sonder la liberté :
Mais il ne put jouir d'un si grand avantage ;
Le ciel te réservait cet honneur en partage.
Contemple Louis neuf, le plus juste des rois,
Débrouillant le chaos de nos antiques lois ;
Et celui dont l'amour secondant la prudence,
Réunit l'Armorique au reste de la France.
Par quinze ans de vertu, ce roi sans favori,
De Père de son peuple obtint le nom chéri.
Le citoyen lui paye un tribut de tendresse ;
Surtout il le rappelle, et vante avec ivresse
Henri quatre et Sulli, ces noms idolâtrés,
Que l'amour des Français n'a jamais séparés

Louis doit les rejoindre au temple de mémoire,
Et mes chants quelque jour célébreront sa gloire.

Ce penseur éloquent, la gloire des Romains,
Qui crayonna les mœurs des antiques Germains ;
Fier ennemi des Cours et de la tyrannie,
Écrasait les méchants des traits de son génie.
Ce grand républicain, sujet des empereurs,
Du fils d'Enobarbus dénonça les fureurs,
Et le cruel Tibère en intrigues fertile,
Et du vil Claudius la démence imbécile.
Mais en éternisant leurs indignes portraits,
De Trajan, de Nerva, sa main peignit les traits,
Et du monde pour eux sollicitant l'hommage,
D'une palme immortelle entoura leur image.
Dès mon enfance épris de sa mâle fierté,
Et libre avant les jours de notre liberté,
Dans un art différent le prenant pour modèle,
Disciple faible encor, mais disciple fidèle,
Si j'ai dépeint ce roi bourreau de ses sujets,
Dont la main parricide immola les Français,
Bientôt je veux chanter un Prince magnanime,
Un ministre chéri que la justice anime,
Citoyens tous les deux, dont les travaux constants
Nous ont rendu nos droits usurpés si longtemps :
Une auguste Assemblée ou la vertu préside,
Où du peuple français la majesté réside ;
Et dans ce peuple enfin trois peuples confondus,
Oubliant de vains droits vainement défendus :
Nos ennemis vaincus, nos villes alarmées,
Aux infâmes complots opposant des armées :
Les citoyens quittant l'ombre de leurs foyers,
Et sous les étendards se mêlant aux guerriers :
À leurs vaillants efforts la Bastille soumise ;
Sur ses créneaux sanglants la liberté conquise :
Du sage Washington le vertueux rival,
Son élève autrefois, maintenant son égal :
L'équité la plus pure à la candeur unie,
D'un maire philosophe honorant le génie :
Et dans la France entière un peuple fortuné,
Au seul nom de la Cour autrefois consterné,
Rallié désormais au nom de la Patrie,
Illustre par les mœurs, et grand par l'industrie,
Révérant, chérissant les vertus de son roi,
Libre sous son empire, et soumis à la loi.

 
 

Sources

Almanach des Muses de 1790, ou Choix des poésies fugitives de 1789, Paris, Delalain, 1790, p. 239-242.