Épître aux enfans & aux adolescens, sur le bonheur de l'enfance
Auteur(s)
Paratexte
Pièce dont on a également fait l'éloge, & qu'on a balancée avec celle qui a eu le prix ; mais qui n'a finalement obtenu que les honneurs de la lecture
Texte
Âge heureux de l'enfance ! Ô charme de la vie !
Que ton sort est touchant, qu'il est digne d'envie !…
À peine ton œil s'ouvre à la clarté du jour,
Qu'autour de ton berceau la main du pur amour
Te donne, en caressant, les soins de la tendresse.
Tu marches… Dès l'instant, soutien de ta foiblesse,
Un bras toujours ami règle tes pas tremblans ;
On écarte de toi, par des yeux vigilans,
Tout ce qui peut blesser ta novice imprudence :
Jeux, instrumens, plaisirs, tout rit à ton enfance.
Mais déjà la Raison fait luire en toi ses feux ;
Déjà s'accroît ta force, & ton corps vigoureux
Peut soutenir l'étude & les travaux des arts.
Ici, quels doux attraits captivent tes regards !
Quel spectacle enchanteur te peignent la Nature,
Le ciel, les champs, les fleurs, les fruits, & la verdure !
Chaque objet t'intéresse ; & ce brillant tableau,
Toujours pour toi naissant, t'offre un charme nouveau.
Le travail vient ensuite enrichir ta mémoire ;
Les langues, la morale, & la fable & l'Histoire
T'ouvrent un vaste champ, où tes nobles désirs,
S'enflammant par l'honneur, trouvent les vrais plaisirs.
Rien pour toi n'interrompt leur douce jouissance ;
Tes momens sont à toi… Dans l'heureuse ignorance
Et du tracas du monde & d'un luxe imposteur,
Tu cultives en paix ton esprit & ton cœur ;
Et par là tu parviens souvent à faire éclore
Des talens, des vertus brillans dès ton aurore.
Aussi, dans tous les yeux le plus tendre intérêt
T'anime & te sourit !… Comme on voit plein d'attrait
À l'ombre d'une tige amie, hospitalière,
Croître un jeune arbrisseau ; d'une aile tutélaire
La patrie, en soignant tes efforts généreux,
Protège en toi l'espoir de ses destins heureux.
Estimable candeur ! Vrai trésor de l'enfance !
C'est toi, c'est toi sur-tout, qui, par ton innocence
De cet âge encor pur embellissant les mœurs,
Fais germer & fleurir la vertu dans les cœurs.
Plus près de la Nature, & dans le mal novice,
L'enfant ignore encor le triste écueil du vice ;
L'ardente passion, l'infâme volupté
Ne l'ont point corrompu de leur souffle empesté :
Et tandis, parmi nous, qu'une foule avilie
Livre aux plaisirs honteux sa déplorable vie ;
Tandis, sur une mer orageuse & sans bord,
Qu'ils rencontrent sans cesse un abyme, ou la mort ;
Lui seul, toujours au port restant ferme & tranquille,
Voit de loin leur naufrage, en son heureux asile.
Et toi, Fortune aveugle, idole des mortels !
En vain mille insensés assiègent tes autels ;
Tout rampe autour de toi… Mais lorsque tes caprices
Remplacent tes faveurs par de durs sacrifices,
On voit tes courtisans, abattus par le sort,
Peindre, en te maudissant, la fureur du transport…
Il n'en est pas ainsi de la paisible enfance ;
Ni les biens, ni les maux n'altèrent sa confiance :
Satisfaite, elle vit sans la soif du désir ;
Et jouit du présent, sans craindre l'avenir.
Ses plaisirs & ses jeux sont donc exempts d'allarmes ;
Si quelquefois la peine, en excitant ses larmes,
Vient porter en son cœur le trouble du moment,
Sous peu ce tourment cesse : un plus doux sentiment
Verse en elle l'oubli des chagrins qu'elle endure ;
C'est un ciel, qui couvert, bientôt brille & s'épure.
L'enfance est, en un mot, un printems gracieux,
Où tout semble annoncer des jours sereins, heureux ;
Où par-tout les sentiers sont parsemés de roses,
Où se mêlent aux fruits des fleurs toujours écloses.
L'enfant voit à ses yeux au loin se découvrir
Une vaste carrière, où vient à lui s'offrir
Le bonheur qui l'attend… ou la douce espérance !…
Si pourtant quelquefois la mort sans indulgence
Vient rompre avant le tems la trame de ses jours ;
Il voit d'un front serein s'en éclipser le cours,
Et quitte cette vie, où tout sembloit lui plaire,
Comme on quitte un vain songe, une ombre mensongère.