Ermenonville, ou le Tombeau de Jean-Jacques
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Texte
J'ai vu ces bois charmants et cette île chérie,
Où les arts, la nature et la philosophie,
Sous un ciel fortuné pleurent près d'un tombeau,
Et couvrent de cyprès les cendres de Rousseau.
Au sein de la nature, aux champs d'Ermenonville,
Contre ses oppresseurs il cherchait un asile.
Ô Rousseau, ton asile est un temple sacré !
Je m'approche en tremblant de ce lieu révéré :
Le cristal de ces eaux dont le canal tranquille
A séparé ses bras pour embrasser cette île,
Retrace ton image et leur flot argenté
Réfléchit à mes yeux ton immortalité.
Ces bois, ces prés, ces lacs, temples de ta mémoire,
Célèbrent tes vertus et parlent de ta gloire.
L'écho redit encor tes discours éloquents ;
Ces rochers, ces débris et ces vieux monuments
Où l'amitié fidèle a tracé tes maximes,
Sont des feuillets épars de tes écrits sublimes.
Là, Phébus et l'Amour font retentir les airs
Du bruit harmonieux de leurs tendres concerts.
Charmant vallon, Gessner chante ici ta verdure ;
Là, de Vénus Homère étale la ceinture ;
Là, Montesquieu, Voltaire, écrivains immortels,
À la philosophie élèvent des autels.
Ainsi du grand Rousseau l'ombre divinisée
Retrouve sur ces bords l'Olympe et l’Élysée ;
Loin du monde profane, en ces paisibles lieux,
Il a pour compagnons les sages et les dieux.
À l'heure où le soleil vient ranimer les êtres,
Rousseau venait s'asseoir à l'ombre de ces hêtres :
Dans ces riants vallons, au bord de ces ruisseaux,
Son âme s'éveillait au doux chant des oiseaux.
Parfois, ses pas errants suivaient cette fontaine
Dont l'onde transparente en sa course incertaine,
À travers les cailloux s'échappe en murmurant
Ou sur l'émail des fleurs roule ses flots d'argent.
Sous ces ormeaux touffus, dans cet humble ermitage,
Il respirait des bois la fraîcheur et l'ombrage,
Quand l'astre du matin s'avançant dans les airs,
Des feux de Sirius embrasait l'univers,
Sous ces arbres penchés en festons de verdure,
Il offrait son hommage au dieu de la Nature,
Au dieu conservateur, au dieu plein de bonté,
Au dieu qui remplit tout de son immensité.
Quand le flambeau du jour achevant sa carrière
Aux bords de l'occident reportait sa lumière,
Au bas de ces rochers et sous ce chêne vert,
Il venait contempler le calme de désert.
Ô nuit, ton voile sombre et ton vaste silence
De son mâle génie empruntaient l'éloquence !
Ô Phebé, ton flambeau sur ce lac répété,
Portait jusqu'à son cœur ta touchante clarté !
De cet antre où la nuit règne avec l'épouvante ;
Du haut de ces rochers son âme impatiente
S'élançait au-delà des siècles ; et les temps
Déroulaient à ses yeux la chute des tyrans.
Il voyait l'univers recevant de la France
Le signal du bonheur et de l'indépendance ;
Il voyait les humains libres et vertueux ;
Et des pleurs fortunés venaient mouiller ses yeux.
Près de ce toit rustique, et vers cette avenue
Où le passant se plaît à reposer sa vue,
Honneur de la nature, et sujet à ses lois,
Rousseau vit le soleil pour la dernière fois.
Pour la dernière fois, le soleil sans nuages
Offrit à ses regards les chênes des bocages,
L'or flottant des moissons, le penchant des coteaux,
La verdure des prés et le cristal des eaux.
Ô Rousseau, quand la mort te ferme la paupière,
Ton front n'est point voilé du drapeau funéraire ;
La superstition en ses tristes concerts
De son lugubre airain ne frappe point les airs :
Pour prix de tes vertus et de ta bienfaisance,
Tu vois couler les pleurs de la reconnaissance.
Ton œil en se fermant voit un monde nouveau ;
Et de la liberté ta tombe est le berceau.
Tes mânes révérés, sous des voûtes funèbres,
Ne sont point condamnés à l’horreur des ténèbres
L'amitié, la nature ont rempli tous tes vœux,
Et tu n'as d'autre abri que la voûte des cieux.
Un laurier ombragea la tombe de Virgile :
Les larmes de Julie et les regrets d’Émile,
L'innocence éplorée et les vertus en deuil,
De cet ami du monde honorent le cercueil.
Chère ombre, le printemps, de l'éclat de ses roses,
A douze fois paré la tombe où tu reposes,
Et douze fois déjà le père des saisons
Sur les coteaux voisins a doré les moissons,
Depuis l'instant fatal où la mort ennemie
Vint t'arracher au monde où brillait ton génie.
Ton modeste tombeau, par les ans respecté,
Charme encor nos regards par sa simplicité :
Dans cette île, séjour de la mélancolie,
Le voyageur pensif vient, loin de sa patrie,
Couronner ton cercueil de guirlandes de fleurs,
Admirer tes vertus et plaindre tes malheurs.
Bientôt tu vas quitter cette île solitaire ;
La France te prépare un nouveau sanctuaire.
Ton nom a du Sénat illustré les décrets,
Et la gloire t'appelle au Panthéon français.
Vertueux habitants des champs d'Ermenonville,
Vous qui fûtes témoins dans ce paisible asile,
De ses derniers instants, de ses derniers bienfaits,
Séchez, séchez vos pleurs et calmez vos regrets.
Non, l'ombre de Rousseau ne fuit point vos rivages.
Quand la patrie en pleurs le place au rang des sages,
Il remplit l'univers de l'éclat de son nom,
Et vous sourit encor du sein du Panthéon.
Ainsi l'astre brûlant, père de la lumière,
Remplit du haut des cieux l'univers qu'il éclaire ;
Et du centre éclatant où l'ont placé les dieux,
Jusqu'aux bornes du monde il prodigue ses feux.