Être suprême (L')

Auteur(s)

Année de composition

1794

Genre poétique

Description

Paratexte

Ode en stances irrégulières

L'idée de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme
est un rappel continuel à la justice.
Robespierre

Texte

Que sont-ils devenus ces modernes athées,
Qui défiant de Dieu les foudres insultées,
Dans leur discours blasphémateur,
Des vœux de la terre inclinée,
Vouloient déshériter sa puissance étonnée,
Et disputer encor le monde à son auteur.

Raison, ta voix se fait entendre !
Soudain leur effort est trompé ;
Des ombres qu'ils osoient répandre
Le nuage fuit dissipé.
L'homme, éclairé par ta lumière,
S'éveille de l'erreur grossière
Où son cœur étoit endormi ;
Et, rejettant un faux systême,
Il se rend à l'Être suprême,
Comme à son père, à son ami.

La fable nous peint de la terre
Les fils au cœur ambitieux,
Qui, brûlant de ravir le sceptre du tonnerre,
Osèrent attaquer les cieux.
Pour seconder leur folle audace,
Élevant mont sur mont, et rocher sur rocher,
Déjà du vaste Olympe ils dévoroient l'espace,
Et du maître des dieux ils croyoient s'approcher ;
Mais soudain sa main foudroyante
Terrassa ces fiers insensés ;
Et l'Olympe les vit, dans leur chute bruyante,
Du haut d'une cime fumante,
Rouler avec les monts qu'ils avoient entassés.

Tels naguère ont croulé ceux, dont l'orgueil extrême
Éleva contre Dieu blasphème sur blasphème,
Dans le coupable espoir de le faire oublier ;
Ils tombent, et leur sentence
Atteste son existence,
Que leur bouche osoit nier.

Pardonne, créateur de tout ce qui respire,
Si l'homme, un instant égaré,
Dans les secousses d'un empire,
Éteignit ton flambeau sacré.

Quand sur les mers l'orage gronde,
De leur gouffre bourbeux le limon élancé,
S'élève à gros bouillons sur leur voûte profonde
Et trouble, en s'y mêlant, la clarté de leur onde ;
Mais dès que l'orage a cessé,
La fange, dont l'aspect souilloit leurs eaux ternies,
Retombe dans son lit obscur,
Et promenant en paix ses vagues applanies,
L'océan roule encor plus lympide et plus pur.

Autels du Dieu de la Nature,
Relevez-vous plus éclatans ;
Dépouillez l'antique imposture
Qui vous prophana si long-tems.
Loin ces jeûnes, loin ces prières,
Loin ces rêves des sanctuaires,
Loin ce Dieu sorti de nos mains ;
Révérons sa bonté féconde
Comme, dans l'enfance du monde,
L'adoroient les premiers humains.

Dans ces jours de paix, d'innocence, 
Où les mortels plus ignorans
N'avoient la triste connoissance
Des préjugés, ni des tyrans,
Sans dogme, sans temple, sans prêtre,
Ils n'apportoient pas au grand Être
L'or, l'argent, ces dons imposteurs ;
Leurs autels étoient la verdure,
Leurs vœux, l'élan d'une âme pure,
Et leurs présens, de simples fleurs.

Depuis ces tems heureux, par quel absurde hommage
L'erreur, de l'Éternel défigura l'image !
Si j'erre au bord du Nil, j'entends mugir ses dieux ;
Si j'entre, en frémissant, sous les bois des druides,
Je vois fumer de sang les autels homicides ;
Des chênes encensés plus loin blessent mes yeux :
L'Indien rampe aux pieds de la plus vile idole ;
La Grèce, des vertus cette première école,
Élève des autels aux vices consacrés ;
Et tout un peuple attend, aux murs du Capitole,
Son destin des poulets sacrés ;
Ô superstition ! Ô joug de nos ancêtres !
La France a secoué ces méprisables fers,
Libre aujourd'hui du Dieu des prêtres,
Elle offre un pur encens au Dieu de l'univers.
Elle lui rend enfin ce caractère auguste,
Dont il dut être revêtu ;
Son vrai temple est le cœur du juste,
Son prêtre est la Nature et sa loi la vertu.

Approchez âmes généreuses,
Vous qui suivez sa voix dans des cultes divers,
Et, sous ces formes plus heureuses,
Présentez lui vos dons, qui lui seront plus chers.
Toi partisan secret de cette erreur fatale,
Qui, prêchant le hazard, renverse la morale,
Abjure un vain systême, et reconnois la loi
De la divinité que le Français adore ;
Ou, si ta raison doute encore,
Jette les yeux autour de toi.

De ce vaste univers, la constante harmonie,
Des astres de la nuit la splendeur infinie,
Et ce soleil, du jour brillant dispensateur,
L'urne immense des mers, la chaîne des montagnes,
La verdure des bois et l'émail des campagnes,
Tout n'annonce-t-il pas la main d'un créateur ?

Mais laissons l'univers, cherchons-le dans nous-même,
Ce terrible censeur, dont la rigueur extrême
Attache le supplice au cœur du criminel,
Cette ivresse qu'excite un exploit magnanime,
De l'immortalité ce sentiment sublime,
Ne sont-ils pas encor la voix de l'Éternel ?

Pénétrons dans Utique, en ces tristes murailles
Où Caton, des combats éprouve le hazard ;
Calme, il déchire ses entrailles,
En préférant son sort au destin de César !
Ouvrons ce cachot où l'envie
Plonge Socrate sans remord :
Il boit la coupe de la mort,
Tranquille, et respirant les biens d'une autre vie !
Volons vers ce passage, où de Léonidas
Éclate la valeur aux Persans opposée ;
D'avance il donne à ses soldats
Un rendez-vous illustre aux champs de l'Élysée !

Auroient-ils ces héros, plus grands que leurs revers,
Contemplé le trépas avec tant de courage,
S'ils n'avoient cru qu'un Dieu, dans un monde plus sage,
Les attendoit les bras ouverts ?
De la France à Toulon eût-il vengé la gloire,
Ce Beauvais, dont le calme intrépide et nouveau
De l'Anglais interdit effraya la victoire,
S'il n'eût cru que son âme échappoit au tombeau ?

Immortalité ! Providence !
Quels mots heureux et consolans !
Ils allument en nous les vertus, les talens ;
Ils nous donnent encore, au sein de la souffrance,
Le premier des biens, l'espérance.
Ô loi, que dans nos cœurs Dieu grave en nous créant,
Oui, l'homme vertueux a besoin de te croire ;
De tes célestes dons il appelle la gloire.
Le scélérat peut seul désirer le néant ;
Lui seul, dans les tourmens dont son âme est saisie,
Veut mourir tout entier pour absoudre sa vie.
Mais la mort, lui donnant un éternel bourreau,
L'entraîne malgré lui dans un monde nouveau.

Tremblez, tremblez, tyrans qui désolez la terre ;
La peine vous attend dans un autre univers.
Et toi qui les combats, républicain austère,
Si tu meurs sous leur glaive ou leurs complots pervers,
Non, tu ne péris pas, dans des flots de clarté,
S'élance soudain de la tombe
Vers la vie et l'éternité ;
Et tu cours recevoir la palme glorieuse,
Que l'équité céleste a promise aux vertus,
Dans la demeure radieuse
Où reposent Caton, Trazibule et Brutus.