Fable nouvelle pour orner la mémoire des petits sans-culottes

Année de composition

v. 1792

Genre poétique

Description

Paratexte

Texte

Dom Porc, avec Dame Panthère,
Fut uni dans un bois par les soins d'un Renard
Fort subtil, mais parfois un peu visionnaire.
Cet hymen monstrueux produisit assez tard
Un fruit bien extraordinaire.
Qu'eût-on voulu qu'il arrivât
De ce lien contre nature !
La Panthère au pourceau fit présent d'un Louvat,
D'un tel accouplement digne progéniture.
La vorace famille aux hôtes des forêts
Enlevoit toute la pâture :
Nul ne pouvoit plus vivre auprès ;
Tout étoit dévasté. Dom Pourceau dans la fange
Se vautroit, & trouvoit tout bon ;
Rien n'échappoit aux dents de sa femelle étrange ;
Il falloit au Louvat chaque jour un mouton.
À ces bêtes, sur leur demande,
On assigna d'abord les pâtis les plus gras ;
On leur fit une part, qui n'étoit que trop grande ;
C'étoit obliger des ingrats.
Dom Porc juroit tout haut d'y borner sa provende ;
Mais il se dédisoit tout bas.
Le bois fut en rumeur, ses hôtes se lassèrent
De ce trio si dangereux.
Ils étoient les plus forts & les plus valeureux ;
Contre Dom Porc ils s'avancèrent ;
Lui, d'avance, en secret, avoit armé contr'eux
Des sangliers, qu'ils terrassèrent.
Pendant ce grand combat, notre Porc avoit fui,
Se cachant loin de ceux qui se battoient pour lui,
On le trouve hors de sa bauge,
Avec Dame Panthère & le beau petit Loup.
On les musèle pour le coup,
Dans le creux d'un arbre on les loge,
On règle leur pitance ; & Dom Porc, à son auge,
Se remet à manger, sans s'émouvoir beaucoup.
Pour la Dame Panthère, en sa rage effroyable,
Elle regrette le bon temps,
Où sa gueule irassasiable
Affâmoit de ce bois les pauvres habitans.
Elle espère toujours que de la forêt noir,
Les hyènes ses sœurs, ses alliés les ours,
Accourant tous à son secours,
De la démuseler auront bientôt la gloire.
Autour de la forêt ces monstres ont rôdé.
Y pénéteroient-ils ? Il ne faut pas le croire ;
Non, le bois est trop bien gardé.
Quant au fils de Dame Panthère,
On lui rive les dents, & l'on prend tous les soins
Afin que, s'il grandit, il n'ait jamais du moins
L'appétit de ses père & mère.

 
 

Sources

BNF, Ye 43059.