France libre (La)

Auteur(s)

Année de composition

1791

Genre poétique

Description

Texte

Entre l'Océan, les Alpes et les Pyrénées, j'ai vu une femme (la France) malade, languissante… mais à travers cet état de langueur, on découvrait ce qu'elle aurait été…

Quelques grands hommes sont éclairés, mais la nation est encore barbare… Tel un arbre né sur un terrain fangeux a beau pousser vers le ciel des rameaux magnifiques… ses racines ne s'en plaisent pas moins à s'enfoncer dans la fange…

Mais qui est-ce qui avance de si folles maximes ? Est-ce l'Hôpital…

Charron, qui fut un prêtre et connut la sagesse ;
Montesquieu, ce mortel qu'eût adoré la Grèce,
Et que, dans ce palais qui devrait l'écouter,
Un sot en écarlate a le front d'insulter ?…

S[ieyès] père de la loi, père de la p[atrie].

Toi-même, Riquetti, flambeau de l'éloquence,
Si pour la liberté, pour les lois, pour la France,
Ce long amas d'écrits, de travaux, de combats,
Peut d'un voile d'oubli couvrir tes premiers pas.

… Vos bienfaits ont même fait commettre des crimes.

Car le même soleil qui dore les moissons
Fait sortir la vipère et nourrit les poissons.

........................... Terre, terre chérie
Que la liberté sainte appelle sa patrie ;
Père du grand Sénat, ô Sénat de Romans,
Qui de la liberté jetas les fondements ;
Romans, berceau des lois, vous, Grenoble et Valence,
Vienne, toutes enfin, monts sacrés d'où la France
Vit naître le soleil avec la liberté !
Un jour le voyageur par le Rhône emporté,
Arrêtant l'aviron dans la main de son guide,
En silence et debout sur sa barque rapide,
Fixant vers l'orient un œil religieux,
Contemplera longtemps ces sommets glorieux ;
Car son vieux père, ému de transports magnanimes,
Lui dira : « Vois, mon fils, vois ces augustes cimes. »

Pour son roi, pour son père, il vient te reconnaître.
Si dans un rang obscur le destin t'eût fait naître.
Homme bon, vertueux, c'est toi, c'est encor toi
Que la France équitable aurait choisi pour roi.
Ô jour ! S'écriront-ils, jour grand et précieux.
Jour sacré, le plus beau qu'aient fait luire les cieux,
Quand le roi citoyen, l'idole de la France,
Vit chaque citoyen de son empire immense
Lui jurer d'être libre et fidèle à la loi.
Fidèle à sa patrie et fidèle à son roi !
Roi, l'amour des Français, l'honneur du diadème !
Compagne de sa gloire et de son rang suprême,
Reine, couple chéri, contemplez vos bienfaits :
Par vous la liberté naît au sein de la paix !
Vous ne voulez de nœuds, entre vous et la France,
Que d'amour, de respect, de foi, de confiance.
Contemplez vos bienfaits, et qu'en un long oubli
Tout sujet de douleur demeure enseveli.
Toujours sur son berceau qu'anime un grand courage,
La liberté naissante élève quelque orage.
Et le peuple, agité dans ses fougueux efforts,
Souvent à quelque excès égare ses transports ;
Mais la concorde enfin, et l'ordre, et l'harmonie,
Amènent près de vous la France réunie ;
Et le calme et la paix sont préparés pour vous,
Dans le port que vos mains ont ouvert devant nous.

C'est cet amour profond que la patrie inspire
Qui sur soi pour longtemps assied un vaste empire,
Qui seul en demi-dieux transforme les soldats,
Qui seul avec vigueur fait mouvoir les États,
Fait durer leur jeunesse et d'une main divine
Les relève déjà penchants vers leur ruine.
L'or offrirait en vain des secours opulents.
En vain même le ciel formerait des talents.
Français, notre salut n'a point d'autre espérance ;
Français, nous périssons si vous n'aimez la France,
Si vous ne l'aimez plus que ...........................
Si le bonheur commun n'est pas votre bonheur.
Rien, rien que cet amour fraternel et sublime
Sous nos pas raffermis ne peut combler l'abîme.
Que la France partout du jeune homme pieux
Remplisse à tout moment et le cœur et les yeux ;
Qu'il la voie et lui parle et l'écoute sans cesse ;
Qu'elle soit son trésor, son ami, sa maîtresse ;
Que même au sein des nuits, d'un beau songe charmé,
Il serre dans ses bras ce simulacre aimé.

Ô chose sinistre, quand un peuple s'abandonne et est indifférent à la chose publique !… Ô honte, ô douleur, quand il admire follement ses ennemis et se méprise lui-même et se prosterne à [leurs] pieds !

Français, rougirez-vous de cette humble infamie ?
Faudra-t-il voir toujours une race ennemie

Qui vous a fait tout le mal possible, etc…

Faudra-t-il voir toujours vos théâtres stupides

Retentir d'inepties aussi indignes du goût que du bon citoyen ?… Il faut être juste, il est beau

D'admirer les vertus même d'un ennemi.

Mais il faut qu'il les ait, ces vertus. Et il est honteux d'inventer à sa gloire des mensonges pompeux… J'ai habité parmi ces Anglais… Français, votre jeunesse n'apprend rien de bon chez eux… Qu'à faire courir des chevaux, des paris ruineux… un jeu !… Laissons là les Anglais, laissons leur jeunesse… 

...................................................... mélancolique
Au sortir du gymnase ignorante et rustique
De contrée en contrée aller au monde entier
Offrir sa joie ignoble et son faste grossier ;
Promener son ennui, ses travers, ses caprices ;
À ses vices partout ajouter d'autres vices ;
Et présenter aux ris du public indulgent
Son insolent orgueil fondé sur son argent.

Ils ont une bonne Constitution, il faut l'imiter… Pourvu que nous n'imitions pas son indifférence à la chose publique… Quand tous les membres sont vendus, les citoyens se partagent en factions ; l'un est pour celui-ci, pour celui-là, nul n'est pour la patrie… L'argent effronté, la corruption ouverte et avouée…

Nation toute à vendre à qui peut la payer.

… Ô puissions-nous… Ô puissé-je vivre assez pour voir la France… Les provinces les plus éloignées se tenir par la main par une douce opulence et un commerce de frères ! Mais si cela ne doit pas arriver, ô que ce moment m'ouvre le tombeau !

 
 

Sources



CHÉNIER André, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1950, p. 494-497.