Hymne à la Liberté
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Récitée à l'ouverture du Lycée, le 3 décembre 1792
Texte
Vengeance !… Sur nos bords ils ont osé paraître,
Citoyens ! Les voilà ces étrangers si fiers,
Payés par des tyrans pour nous donner un maître :
Orgueilleux de leur honte, ils nous montrent leurs fers ;
Leurs bras en sont flétris, leurs bras nous en préparent.
Français, à leurs regards montrez avec fierté
Les nobles couleurs qui vous parent,
Les couleurs de la Liberté,
Le drapeau du civisme et de l'Égalité.
Avez-vous entendu leur insultante audace ?
Leur audace disait : « Français, soumettez-vous.
Sujets rebelles, à genoux !
Si vous résistez, point de grâce.
Le sang regorgera dans vos murs démolis ;
Et la postérité recherchera la trace
De vos remparts ensevelis.
Il l'ont dit ! Et dans la poussière
Vous ne traînerez pas cet insolent orgueil !
Vous n'étoufferez pas cette démence altière
Dans le silence du cercueil ?
Ils l'ont dit !… J'en frémis, et tout mon sang bouillonne.
Vos cœurs ont tressailli d'un généreux courroux.
À l'affront inouï dont la France s'étonne,
Ne répondez-vous pas ?… Oui, vous répondez tous,
Tous par un même cri : rage, mort et vengeance !
Un mouvement terrible a soulevé la France.
Une moisson de fer hérisse nos sillons.
Terre de liberté, vomis tes bataillons !
Le vieillard veut marcher, le jeune homme s'élance ;
Et l'étendard sacré, si cher aux nations,
Aux peuples asservis signal de délivrance,
Brille devant nos légions.
Cet étendard vaincra : la Bastille est tombée.
Dans ses rêves sanglants tristement absorbée,
La noire politique, au front dur et hautain,
Appuyant sur l'erreur une main confiante,
Levait son sceptre affreux, et veillait menaçante,
Entre l'aigle de Vienne et celui de Berlin.
Au bruit de la Bastille en poudre,
Soudain le monstre s'est troublé ;
Son visage a pâli, les trônes ont tremblé.
Les despotes de loin ont vu venir la foudre.
La politique habile en complots odieux,
A tendu dans les cours ses rets insidieux ;
Elle a de toute part jeté le cri d'alarmes ;
Et le lâche intérêt a partout cimenté
La ligue des tyrans contre l'humanité.
Ils ont invoqué l'art qui dirige leurs armes,
Ces hordes de brigands qu'ils peuvent soudoyer,
Leur manœuvre savante et leur feu meurtrier.
Français, il est un feu plus redoutable encore ;
Aux mains de l'homme libre il anime le fer,
De ses yeux fait partir l'éclair :
C'est là le feu qui vous dévore,
Feu sacré, feu vengeur, redouté des tyrans,
Feu devant qui tout se consume,
Que le patriotisme allume,
Qui brûle en votre sein, qui circule en vos rangs,
Se reproduit, se multiplie,
Se répand devant vous comme un vaste incendie,
Rend la force aux soldats de fatigue expirants,
Des athlètes de la Patrie
Nourrit l'indomptable furie,
Et rend terrible encor le regard des mourants.
Qui pourrait arrêter vos efforts magnanimes ?
Vous marchiez jusqu'ici vers le champ des combats
Sur des feux souterrains, cachés dans des abîmes
Où vous attendait le trépas :
Vous n'avez plus du moins à combattre les crimes,
Les volcans sont éteints, les pièges sont fermés,
Et les conspirateurs punis ou désarmés.
De vos heureux succès c'est le premier présage :
Vous n'avez plus besoin que de votre courage.
Peuple de citoyens, de frères, de soldats,
Volez dans les sentiers aplanis sous vos pas.
Regardez, regardez cette auguste déesse,
La mère des héros de Rome et de la Grèce.
Liberté ! Nous aussi, nous sommes tes enfants :
Ce grand titre suffit pour être triomphants.
Parais, conduits nos coups, déité bienfaisante !…
Voyez-vous dans sa main puissante
Gravés sur un drapeau les noms de Décius,
Les noms de Tell et de Brutus,
Ceux de trois cens héros, victimes immortelles ?
Les vôtres y seront auprès de vos modèles ;
Ils sont par la gloire attendus.
La trompette a sonné : la palme est toute prête.
Bravez des feux guerriers la bruyante tempête ;
Soldats, avancez et serrez.
Que la baïonnette homicide,
Au devant de vos rangs étincelante, avide,
Heurte les bataillons par le fer déchirés.
Le fer, amis, le fer ! Il presse le carnage :
C'est l'arme du Français, c'est l'arme du courage,
L'arme de la victoire, et l'arbitre du sort.
Le fer !… Il boit le sang ; le sang nourrit la rage,
Et la rage donne la mort.
Ainsi dans les dangers qui menaçaient la France,
Ma lyre des guerriers échauffait la vaillance ;
Et déjà signalant leurs rapides exploits,
Ils entendaient, que dis-je ? Ils devançaient ma voix.
Ô de la liberté mémorables prodiges !
Ô du crime des rois trop funestes vestiges !
Que la mort vient de faire une large moisson !
Quel triomphe !… Et quelle leçon !
Célébrons l'un, sans cesse, et n'oublions pas l'autre ;
Des droits du genre humain le génie est l'apôtre ;
Sans cesse il les réclame ; et quand tout cet orgueil,
Que bientôt la fortune allait changer en deuil,
Rencontrant des Français l'immobile colonne,
Est venu se briser aux rochers de l'Argonne,
Quand ce vaste armement fond et s'évanouit,
Un cœur républicain et palpite et jouit.
Il jouit, il est vrai ; mais l'humanité crie :
Qu'ont fait ces malheureux, qui, loin de leur patrie,
Viennent sans intérêt, sans injure à venger,
Expirer par monceaux sur un sol étranger ?
Pourquoi tous ces tombeaux, de cadavres avides,
Ouverts pour engloutir ces victimes livides ?
C'est qu'un roi l'a voulu : tu l'entends, tu le vois,
Ô terre ! Ô Ciel vengeur ! Voilà les jeux des rois !
Mais quelle puissance inconnue
Arrache ma pensée à ces objets cruels ?
Quels concerts éclatants ! Quels accents solennels !…
Je plane au-dessus de la nue.
Le génie heureux des Français
M'emporte dans les airs sur ses brillantes ailes :
Son vol suffit à peine à voir tant de succès.
Des Alpes, sous mes pieds, les cimes éternelles,
Et le Var, et la Meuse, et l'Escaut et le Rhin,
Répètent des Français le glorieux refrain,
L'hymne sacrée de la Patrie ;
La ligue est consternée, et la terre attendrie.
La victoire avec nous parcourt tous les climats ;
La victoire est partout sous mes yeux, sur nos pas.
Je suis en haletant son essor qui m'étonne…
Non, rien ne peut troubler un spectacle si beau,
Pas même les fureurs de l'affreuse Bellone.
Un saint enthousiasme, un transport tout nouveau
M'unit à nos guerriers que l'Europe contemple ;
Je m'élève avec eux, et, plein de leur exemple,
Je les vois sans frémir, entourés du trépas,
Ces tonnerres d'airain qu'ils ne redoutent pas,
Ces hauteurs de Jemmapes, de leur sang arrosées,
Que trois jours de bataille ont immortalisées,
Et Lille et ses remparts, ce peuple de héros,
Tranquille dans les feux qui creusent ses tombeaux,
Défiant de l'enfer les brûlantes machines ;
Et souriant sur des ruines !…
Et ce peuple, grand Dieu, ne serait pas vainqueur !…
Ils ont fui ces brigands, atteints du fer vengeur ;
Ils ont fui… De leur sang ne soyez point avares ;
Ils méritent leur sort, ils ont été barbares.
Les soldats des tyrans sont féroces comme eux.
Il est un terme à tout : la puissance impunie
De ses propres sujets réveille le génie ;
Et de leur servitude ils sont enfin honteux.
Allobroges, Germains, et Belges et Bataves,
Apprennent des Français à n'être plus esclaves.
Tous, ils ne veulent plus que le règne des lois ;
Les peuples sont pour nous : que craignons-nous des rois ?
Exemple trop longtemps ignoré sur la terre !
Nous avons les premiers sanctifié la guerre.
On s'armait pour les rois, pour leur rivalité,
Pour l'empire, pour l'or, nous pour l'humanité.
Comparez aux Français ces vieux héros du Tibre,
Ces conquérants altiers, de leur ardeur jaloux,
Ils disaient au vaincu, terrassé sous leurs coups :
Meurs, ou sois-nous soumis, nous lui disons : sois libre !
Ah ! Qui dit peuple-roi, dit peuple usurpateur.
Ce titre est odieux : que le nôtre est auguste !
Qu'il promet de soutiens d'une cause si juste !
C'est le peuple libérateur.
Et moi, par les neuf sœurs instruit loin des alarmes,
Si mes jours sont usés dans l'étude des arts,
Si ma main étrangère aux fatigues de Mars,
Est trop faible déjà pour le fardeau des armes ;
Du moins pour mon pays brûlant d'un saint amour,
Du moins je veux qu'on dise un jour,
Que chantant les vengeurs de la France insultée,
J'eus l'âme et la voix de Tyrtée.
Toujours de l'esclavage à nos yeux présenté
J'ai repoussé l'ignominie.
Mes derniers vœux seront contre la tyrannie,
Et mon dernier cri, liberté.