Hymne à la Raison
Auteur(s)
Paratexte
Dédié à mon ami Pourtier-Larnaud
Texte
Musique de Rouget de Lisle
Quand déchirant les voiles sombres
Dont la nuit couvrait l'univers,
Le Soleil à travers les ombres
Monte sur le trône des airs,
Reste impur des vapeurs funèbres,
Quelque fois d'épaisses ténèbres
Arrêtent ses traits radieux,
Il roule bientôt sa lumière
Et dissout la masse grossière
Et lui seul règne au haut des cieux.
Ainsi la raison triomphante
A terrassé le préjugé ;
De l'orgueil, des maux qu'il enfante
Le monde par elle est vengé.
Astre éclatant, je te salue !
Ta clarté longtemps attendue
Brille enfin aux yeux des Français ;
Ô divinité tutélaire,
Puisse leur hommage te plaire !
Ils sont dignes de tes bienfaits.
Fille auguste de la Nature !
Sœur de la douce égalité !
Aux rayons de ta flamme pure,
L'homme connut sa dignité.
Ta main dans son cœur magnanime
Grava le sentiment sublime
De ses impérissables droits :
Tu soumis tout à son empire,
Et roi de tout ce qui respire,
De toi seule il reçut des lois.
Porté sur ton aile rapide,
Je m'élance aux portes du jour :
Je franchis d'un vol intrépide
Le seuil de l'immortel séjour.
Sous tes auspices je pénètre
Jusqu'à la source de mon être,
Jusqu'au bien trois fois redouté,
Où Dieu dans une paix profonde
Veille sur les destins du monde
Et lui dicte sa volonté.
Dans notre âme docile encore
Par toi le vice est combattu ;
Tu nourris et tu fais éclore
Tous les germes de la vertu.
La gloire te doit tous ses charmes,
C'est toi qui fais couler les larmes
De l'aimable et tendre pitié ;
Tu fis l'amour pour la jeunesse,
Et pour consoler la vieillesse
Tu créas la sainte amitié.
Triste victime du mensonge,
Qui toujours l'obsède et la suit,
Dans l'abîme où l'erreur la plonge,
Sans toi la vérité languit.
Parais… Le monstre s'humilie
Devant la déesse avilie
Dont il usurpait les autels :
Pour toi libre et victorieuse,
Elle revient plus glorieuse
S'offrir à l'amour des mortels.
Qui renversa dans la poussière
Ces colosses audacieux ?
Qui de leurs pieds foulaient la terre
Et dont le front touchait aux cieux ?
Où sont ces coutumes barbares ?
Où sont ces trônes, ces tiares,
Fléaux des peuples asservis ?
Hier de leur pompe dissolue
Ils affligeaient encor ma vue…
Je ne vois plus que leurs débris.
Ô raison ! Ces honteux prestiges,
Ton souffle les a dispersés :
Bientôt leurs douloureux vestiges
Pour jamais seront effacés.
Telle de sa tige arrachée,
La feuille morte et desséchée
Dans la fange s'ensevelit :
Ainsi la trombe menaçante
Qui pressait la mer mugissante
Au gré des vents s'évanouit.
Poursuis, déité protectrice !
Consomme ces grands changements ;
Soutiens, couronne l'édifice
Dont tu posas les fondements.
Des tyrans et de leurs ministres
Confonds les intrigues sinistres
Et les sanguinaires desseins ;
Pour prix de leurs fureurs stupides,
Que leurs armes liberticides
Se plongent dans leurs propres seins.
Mais alors que leur chute expie
Tes outrages et nos malheurs,
Déesse, d'une guerre impie
Éteins les flambeaux destructeurs.
Rends nos frères à la Nature,
Arrache-les à l'imposture,
Désarme leurs bras égarés ;
Que l'univers enfin contemple,
Unis dans ton auguste temple,
Tous les Français régénérés.