Immortalité de l'âme (L')
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J'ai vu l'impie enflé d'une vaine science,
Arracher aux vertus leur dernière espérance ;
L'impunité du crime a flatté son orgueil ;
Il a dit dans son cœur : « Tout finit au cercueil. »
Son âme n'est pour lui qu'une vapeur légère,
Qui doit rendre au néant sa clarté passagère ;
Tu crois donc, vain savant, dans tes songes trompeurs.
De la terre et des cieux sonder les profondeurs.
Vas, vas ! Tu n'as pu lire en ton erreur profonde,
Qu'un feuillet abrégé du grand livre du monde.
Vois de cet univers l'ensemble harmonieux ;
Interroge la terre et les mers et les cieux ;
Des êtres et des temps suis la chaîne éternelle :
Tout répond à ta voix : « Oui, l'âme est immortelle. »
Le fleuve s'engloutit dans l'abîme des mers ;
Mais son onde en vapeur retourne dans les airs.
L'astre du jour dans l'ombre a plongé sa lumière ;
Mais il rendra le monde à sa clarté première.
Déjà du sein des nuits il sort plus radieux ;
Et bientôt l'univers brûle de tous ses feux.
Qu'as-tu fait, Prairial, de ta riche parure ?
Thermidor a flétri l'éclat de ta verdure ;
Vendémiaire arrive, et voit d'un œil serein
Briller sur nos coteaux le pourpre du raisin ;
Frimaire dont le front se couvre de nuages
S'avance tristement au milieu des orages ;
Les bois en ont gémi, les monts en ont tremblé,
Et l'effroi plane au loin sur le monde ébranlé.
Mais bientôt des zéphyrs les fécondes haleines
Vont réveiller la terre et rajeunir nos plaines ;
Floréal règne en paix dans les airs épurés,
Et répand sur nos champs ses parfums éthérés.
Tout s'anime au flambeau de la saison nouvelle ;
Tout renaît, tout fleurit et tout change avec elle :
L'être prend à nos yeux un mode différent,
Mais la substance échappe à la faux du néant.
Tu créas l'univers : ta sagesse suprême,
Dieu juste ! Dieu puissant ! Le conserve de même ;
Et par d'heureuses lois chaque arôme emporté
Marche à travers les temps à l'immortalité.
Sur ce globe éternel notre âme abandonnée,
À la nuit du néant seule est donc condamnée !
Non, le trépas pour elle est un nouvel essor,
Par-delà les tombeaux elle doit vivre encor :
Ô divine amitié ! Tu n'es point un fantôme ;
Si la vile poussière, et si le faible atome,
Tour à tour réunis, dispersés par les vents,
Surnagent, immortels, sur l'abîme des temps ;
Doux charme des humains ! Oui, ta flamme sacrée,
Doit des ans destructeurs suspendre la durée ;
Et tu dois réunir, par tes nœuds bienfaisants,
Les siècles avenirs et les siècles présents.
Je te pleure, ô mon père ! Et quand ton corps succombe,
Ton âme se réveille et revit sur ta tombe ;
Tu descends au cercueil, et voles vers les dieux ;
La mort ouvre pour toi les tombeaux et les cieux.
Sur la rive de l'Ain par mes pleurs arrosée,
De l'auteur de mes jours la cendre est déposée :
J'irai quand les hivers, images du trépas,
Porteront loin de nous le deuil de leurs frimas,
J'irai dans le vallon où repose sa cendre,
Épancher les regrets d'un cœur sensible et tendre :
Là, son âme changée en parfums enchanteurs
Embaumera pour moi le calice des fleurs :
J'entendrai ses accents dans l'onde qui murmure.
Le tendre azur des cieux, le cristal d'une eau pure
Offriront à mes yeux l'image de son cœur ;
Le peuplier sauvage et le saule pleureur,
Doux monuments formés d'une cendre si chère,
Prêteront à mon deuil leur ombre hospitalière.
Ainsi de l'univers l'ordre toujours constant,
Des débris du chaos sans cesse renaissant,
Montre partout des dieux la sagesse suprême :
C'est un cercle infini qui roule sur lui-même ;
Et de l'éternité rapprochant les instants,
Il entraîne avec lui les êtres et les temps.
La mort sème partout les germes de la vie ;
La fleur tombe et renaît sur la terre embellie,
Et l'enfant réveillé dans un monde nouveau,
Sur la tombe des morts voit placer son berceau.
Où sont-ils, ces guerriers soutiens de la patrie,
Et ces sages, l'honneur de la philosophie,
Et ces législateurs dont les noms immortels
Chez nos derniers neveux obtiendront des autels ?
Aux générations le butin de l'histoire
A-t-il donc vainement retracé leur mémoire ?
Du Panthéon français l'auguste monument
Sera-t-il donc pour eux le temple du néant ?
Sur eux, la renommée appela les tempêtes ;
Les foudres de l'envie ont grondé sur leurs têtes ;
Martyrs de la vertu, proscrits et malheureux,
Les fers qu'ils ont brisés se sont tournés contr'eux :
Ainsi d'un sort cruel ils furent les victimes ;
Et la mort fut le prix de leurs efforts sublimes :
Un dieu doit consoler ces victimes du sort,
Et l'immortalité doit absoudre la mort.
Oh ! Si jamais des rois et de la tyrannie
Mon front républicain subit le joug impie ;
La tombe me rendra mes droits, ma liberté,
Et mon dernier asile est l'immortalité.
Oui, si le despotisme, opprime encor les hommes,
Rappelle-moi, grand Dieu ! De la terre où nous sommes,
Et parmi les Caton, les Sidney, les Brutus,
Fais-moi goûter encor le charme des vertus…