Jeux de l'enfance (Les)

Auteur(s)

Année de composition

1794

Genre poétique

Description

Huitains de décasyllabes en rimes croisés

Paratexte

Vaudeville républicain

Texte

Air : Mon petit cœur à chaque instant soupire

Mes chers enfants, mon plaisir est extrême
De vous trouver en récréation ;
Je ne viens point vous ennuyer d'un thème,
Ni vous troubler par une version.
Comme Socrate, en père et non en maître,
Je viens aux noix m'amuser avec vous :
Mais en passant, je vous ferai connaître
Un sens moral caché dans vos joujoux.

Contre les flancs de ces sabots rapides,
Si vous voulez qu'ils tournent sans repos,
Dirigez tous vos lanières rigides ;
Frappez, fouettez, et dîtes-vous ces mots :
« C'était ainsi qu'à grands coups de houssines,
Le pédantisme osait nous gouverner ;
Mais des enfants n'étant point des machines,
Doivent au bien d'eux-mêmes se tourner. »

Carte sur carte, ils dominaient sur table,
Et les voilà par mon souffle aplatis,
Ces vains châteaux, modèle véritable
De ceux qu'en pierre on a jadis bâtis.
Les ci-devants, pour en couvrir la terre,
Se consumaient en efforts superflus ;
La liberté riait de les voir faire :
Elle a soufflé, les châteaux ne sont plus.

Ce cerf-volant, qui, malgré sa ficelle,
La tête en haut s'élance dans les airs,
Et qui, tout près de la voûte éternelle,
Plane en repos sur le vaste univers,
C'est le Français, dans sa sphère nouvelle,
Le front levé jouissant de ses droits,
Mais aux vertus, mais aux mœurs trop fidèle
Pour n'y pas être attaché par les lois.

Sur les deux bouts de cette balançoire,
Puissiez-vous suivre un égal mouvement !
Vous offrirez à qui voudra m'en croire,
Le vrai tableau d'un bon gouvernement.
Par son poids seul, il faut que le mérite
S'élève en place, alternativement ;
Et que la loi puisse observer de suite
Celui qui monte et celui qui descend.

Les voyez-vous ces quilles indolentes,
Que le hasard se plut à disperser ?
Sur trois de front, ces neuf sœurs arrogantes
Vont, si je veux, tour à coup se dresser.
Tels les tyrans qui dormaient à la ronde,
Se sont en bloc réunis contre nous ;
Mais cette boule est l'image du monde,
Qui, tôt ou tard, les renversera tous.

Que dirons-nous de ce ballon volage
Que l'un à l'autre ici vous vous lancez ?
Tant qu'il bondit, il prête au badinage ;
S'il se déchire, alors vous le laissez.
C'est l'émigré dont se rit maint despote,
En ayant l'air d'accueillir son besoin :
Il s'enfle, il saute, et puis on le ballotte,
Et puis il crève, oublié dans un coin.

Un savon trouble a formé les bouteilles
Que cette paille enfante tour à tour ;
En grossissant, elles sont plus vermeilles :
Mais un instant les détruit sans retour.
Tel, dans la fange un complot peut éclore,
Et même en beau d'abord se colorer :
Mais il grossit et d'encore en encore,
L'air, par bonheur, le fait s'évaporer.

Mais le tambour s'unit à la trompette ;
Je vois briller des fusils, des drapeaux.
J'entends déjà sur la terre indiscrète,
Vingt petits pieds marquant leurs pas égaux.
Ah ! Voilà bien l'espoir de la patrie !
Continuez, mes petits citoyens ;
Par de tels jeux, votre enfance aguerrie
Pour l'avenir lui promet des soutiens.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an III de la République, ou Choix des poésies fugitives de 1794, Paris, Louis, an III, p. 179-181.