Journaux d'à présent (Les)

Année de composition

1790

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Texte

Fatigué l'autre jour du caquet incommode
De deux petits abbés raisonnant à leur mode
Sur ces billets nouveaux qu'on appelle assignats,
De leurs mains je m'échappe et m'enfuis à grands pas
Vers un de ces réduits qu'habite le silence,
Où l'on vend de l'esprit à six sols par séance.
J'y rencontre Damis, qui jadis à la Cour
En poste allait porter la nouvelle du jour.
Le destin, me dit-il, ne m'est donc plus contraire,
Et dans ce cabinet prétendu littéraire
Nous jaserons au moins. – Non, daignez m'excuser.
Je viens ici pour lire, et non pas pour jaser.
Voyez-vous ces journaux épars sur cette table ?
Ils appellent mes yeux et je vais. – Comment diable !
Vous lisez ces chiffons ! Mais vous n'y pensez pas.
Ainsi donc le mensonge a pour vous des appas,
Et dupes des erreurs d'une plume honnie,
Vos regards, à longs traits, boivent la calomnie !
Que vous êtes à plaindre, et que votre raison
Doit souffrir quelquefois d'un si mortel poison !
Vous les cherchez, et moi je tremble à leur approche.
– Tous ces papiers, Monsieur, ne sont pas sans reproche :
Mais du coupable il faut distinguer l'innocent,
Et respectez l'écrit dont l'auteur est absent.
Les portillons hâtifs de l'auguste assemblée
Partent en même temps et s'élancent d'emblée
Pour aller informer les Anglais, les Germains
De ses discussions et de ses grands desseins.
Ils se trompent souvent : mais s'ils ne mentent guère :
Les décrets voltigeant sur leurs feuilles légères,
À force de passer de l'une à l'autre main,
Avant que d'arriver se perdent en chemin.
Le Moniteur les suit : véridique, sévère,
Il décrit longuement, longuement délibère :
Raconter est sa tâche, instruire est son destin,
Et c'est un répertoire et non un bulletin.
Plus d'un sage lecteur pour lui se passionne ;
Moi, je tremble à l'aspect de sa triple colonne
Où les raisonnements dans leur ordres rangés
Par l'article Francfort sont encore allongés.
J'aime mieux, j'en conviens, l'amusante Chronique ;
Elle aiguise avec grâce un style ironique,
Et son patriotisme agréable et joyeux
Sème souvent de fleurs le sentier épineux
Où nos législateurs marchent avec courage :
Elle me fait sourire au milieu de l'orage.
– Fabriqués à la hâte, à la hâte imprimés,
Ces ouvrages d'un jour sont rarement semés
De traits neufs et brillants dont le lecteur s'étonne :
Leur marche est bien négligée autant que monotone,
Et faut-il vous le dire avec sincérité ?
Du langage surtout j'aime la pureté.
– Eh bien, attachez-vous du prix à l'art d'écrire ?
Et sans être ennuyé, voulez-vous vous instruire ?
Du Journal de Paris suivez l'auteur brillant.
La raison dans sa feuille est unie au talent :
Il juge avec finesse ; avec grâce il raisonne,
Et, quoique bon critique, il n'offense personne ;
Son style est toujours pur, élégant et correct,
Et même pour les sots il montre du respect ;
Oui, Monsieur, pour les sots : de la philosophie
Telle est l'adresse heureuse, et tel est son génie :
Elle cache sa force, émousse tous ses traits,
Et recule parfois pour atteindre au succès.
L'impétueux C**, moins réservé sans doute,
Au même but arrive, et par une autre route ;
Son civisme brûlant qui ne connaît point l'art,
De la liberté sainte arbore l'étendard :
Il n'écrit que pour elle, et de Rome et d'Athènes
Il veut ressusciter les mœurs républicaines :
Son audace me plaît et m'éclaire souvent.
Les journaux autrefois étaient remplis de vent :
Il en sort aujourd'hui des éclairs, et la foudre
Va réduire par eux tous les tyrans en poudre.
– Vantez ceux d'aujourd'hui. J'aime ceux qu'autrefois
Voyait par privilège éclore chaque mois,
Et ceux qui, rédigés par des amis du Prince,
Étaient lus à la ville et surtout en province.
– Quoi ! Certain Genevois ne vous plairait-il plus ?
Épris, ainsi que vous, des antiques abus,
De l'aristocratie il fut toujours l'apôtre :
Il l'adore toujours, et son goût est le vôtre.
Ne l'admirez-vous pas, lorsqu'à tous les instants,
Il fond avec courroux sur nos représentants,
Et de sa noire bile il remplit ce Mercure,
Dont Piron si gaîment élisait : bonne lecture !
– On peut toujours le dire, et je l'estime fort.
– Mais je l'estime aussi, quand La Harpe ou Chamfort,
Au goût, à la patrie également fidèles,
Y dévoilent du beau les sources immortelles,
Analysent un drame, un poème, un roman,
Où l'ivraie est mêlée avec le pur froment,
Et savent à mes yeux charmés de leur adresse
Séparer l'un de l'autre et m'éclairer sans cesse.
J'aime enfin les auteurs dont les mâles écrits
Versent sur les tyrans la honte et le mépris,
Et qui ne prennent point la hideuse licence
Pour cette liberté qu'escorte la décence.
Ils sont mes bienfaiteurs. – Quoi ! Vous applaudissez
Au zèle furieux des auteurs insensés,
Dont la plume étouffant toute miséricorde
Est, pour la France entière, un tison de discorde.
Vous les encouragez ! – Et pourquoi, s'il vous plaît,
Verrais-je avec courroux circuler un pamphlet
Qui de lâches complots avertit la patrie ?
Quand les loups ravisseurs, près de la bergerie,
Rôdent incessamment et guettent les agneaux,
Ne faut-il pas des chiens pour garder les troupeaux ?
Je hais la calomnie et crains la médisance :
Mais je hais encor plus l'affreuse intolérance,
Et ce monstre odieux qui suit le préjugé,
Dans le fond des enfers tout à coup replongé
N'ira plus allumer les bûchers de Lisbonne.
La lumière s'étend jusque dans la Sorbonne,
Et, grâce aux écrivains que la France produit,
Le jour va triompher de la plus sombre nuit.
Mais de ces écrivains la foule est innombrable,
Et c'est un vrai fléau. Quel mortel est capable
De compter seulement tous les journaux divers
Dont les presses de France inondent l'univers ?
La Cour a son Journal aussi bien que la ville.
Connaissez-vous celui de Brissot de Varville,
Et celui de Tournon, et celui de Mercier ?
On se croit citoyen ; on n'est que gazetier.
Des journaux, en tous lieux, la fureur s'est glissée,
Et déjà du beau sexe elle emplit le Lycée.
L'ignorez-vous ? Déjà ce temple de Vénus
Fait ouïr des accords aux Grâces inconnus.
Les termes de décret, de motion, d'adresse
En ont chassé les mots d'amour et de tendresse,
Et l'on y voit Céphise, à côté d'un bureau,
Dicter sur la police un règlement nouveau.
– Oui, chaque heure du jour voit éclore une feuille.
Ainsi renaît la fleur sous la main qui la cueille.
Mais qu'importe ? Au printemps, dans le plus beau des mois,
N'êtes-vous pas charmé de pouvoir faire un choix,
Et de pouvoir cueillir, au gré de votre attente,
Ou l'humble violette ou la rose éclatante ?
– Quelle comparaison ! Les chardons, les pavois,
De vos journaux fameux voilà les vrais rivaux !
De la religion en proie à leurs atteintes
Entendez-vous les cris et les augustes plaintes ?
Autrefois, sous le nom de l'abbé Dinouart,
L'Église a d'un journal arboré l'étendard,
Et si vous regrettez ce journal de l'Église,
Courez chez l'imprimeur ; la sainte marchandise
Est encor toute entière au fond du magasin :
On y touche aussi peu qu'aux sermons de Cotin.
Prenez donc et lisez. Devant l'abbé Grégoire,
Devant l'abbé Fauchet, vrais amants de la gloire,
J'espère voir bientôt fuir le lâche escadron
De ces abbés poudreux, soudoyés par F**,
Qui d'orgueil enivrés, gonflés de fanatisme,
Dans leur chaire prêchaient l'odieux despotisme.
Qu'ils parlent à l'envi pour le camp de Jalès,
Du vieux A*** ces très dignes valets,
Et que renouvelant leurs funestes maximes,
Dans les fils de Calvin ils cherchent des victimes.
Moi, je ne veux servir qu'un Dieu plein de bonté ;
Je veux surtout qu'un prêtre aime l'humanité.
Un prêtre tolérant et qui hait l'esclavage,
De ce Dieu que je sers me présente l'image.
Le croiriez-vous, Monsieur ? L'an passé, de ma main
Je n'ai pas craint d'offrir au Pontife romain
Le signe tricolore de notre indépendance.
On peut être infaillible et manquer de prudence.
Le pape s'est fâché de mon empressement ;
Il m'a même honoré de son ressentiment ;
Et, sans un prompt départ de la belle Ausonie,
Au grand Cagliostro[1] je tiendrais compagnie.
Quel absurde courroux ! À Paris de retour,
J'en ai ri ; je veux même en rire plus d'un jour.
Le pape enorgueilli d'un triple diadème,
Croit-il garder toujours l'autorité suprême ?
Ah ! De son trône antique il est tout prêt à choir.
La France a, dès longtemps, méconnu son pouvoir.
Gémissant sous le pouls de la sainte tiare,
Le peuple avignonais contre lui se déclare,
Et vous blâmez à tort les bulletins nouveaux
Où gaîment quelquefois on siffle les dévots !
Qu'armés à la légère, au mortel incrédule,
Les dévots, à leur tour, lancent le ridicule,
Je ne m'en plaindrai pas. Allons, Monsieur Damis,
De la démocratie écrasez les amis,
Et que, de toutes parts la lumière se montre :
J'aime à lire le pour ; j'aime à lire le contre.
– Le contre : dites-vous ? Je vous attendais là.
L'Ami du roi, Monsieur, le lisez-vous ? Voilà,
Voilà ce qui s'appelle une feuille excellente,
Toujours très modérée et jamais violente !
Et la Gazette encor de Monsieur du Rosoi,
Émule ingénieux du noble Ami du roi,
Qu'en dites-vous ? Pour moi, je n'en lis jamais d'autres,
Et j'ai toujours sur moi les Actes des apôtres.
– Quel exemple charmant d'impartialité !
Que vous devez, Monsieur, aimer la vérité
Et, lorsque de Paris on a lu la Gazette,
Qu'on doit avoir de tout une opinion nette !
Que ce Monsieur R** ci-devant professeur,
Est du meilleur des rois un digne défenseur !
Élève de F** et son prévôt de salle,
Comme il doit pour la Cour s'escrimer sans scandale !
Le lire uniquement est le meilleur parti,
Et grâce à vous enfin, me voilà converti.
Monsieur l'abbé R** sera seul ma lecture.
Que je vais admirer sa candeur, sa droiture :
Et son intégrité ! J'irai même, je crois,
Jusqu'à penser du bien de Monsieur du Rosoi,
Et pour quelques raisons qui ne sont pas les vôtres,
J'aurai toujours sur moi les Actes des apôtres.

 

  1. ^ Enfermé et détenu au château Saint-Ange, pour des raisons qu'on ignore
 
 

Sources

Almanach des Muses de 1791, ou Choix des poésies fugitives de 1790, Paris, Delalain, 1791, p. 207-214.