Journée du 9 thermidor (La)

Auteur(s)

Année de composition

1794

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Paratexte

Poème historique, contenant des détails sur la conspiration de Robespierre, Couthon, Saint-Just, Henriot et de tous leurs complices.

Précédé d'un épître dédicatoire aux vrais sans-culottes.

Lu à la Convention nationale et prononcé sur différens théâtres de Paris.

Un épître dédicatoire ! (dira-t-on). Eh ! Sans doute ; mais non pas comme dans l'Ancien Régime pour supposer à un (soi-disant) grand, des vertus qu'il n'eut jamais ; mais, au contraire, pour rendre justice à celles des vrais sans-culottes : c'est à eux seuls que je m'adresse, et c'est en frère que je leur parle. Oui, mes camarades, c'est à vous que je dédie mon ouvrage ; à vous, que l'amour de la liberté a toujours animé, et qui me saurez gré de mon intention, sans vous appesantir sur mes défauts. Après avoir surveillé dans la journée du Neuf au Dix Thermidor ; après avoir rempli ma tâche de républicain, en travaillant pendant ce temps à déconcerter les projets de nos ennemis en prouvant, à mon poste avec ma compagnie, mon entier attachement à la Convention nationale et à la République française, une et indivisible, je devois, comme fidèle observateur des particularités de cette journée mémorable et comme auteur patriote, un récit instructif qui puisse faire connoître aux vrais sans-culottes qui n'ont pas été les témoins de cette horrible conspiration, la scélératesse et l'hypocrisie de ceux qui en étoient les chefs. Il est impossible de songer à leurs infâmes complots sans frémir d'horreur et d'épouvante. Un Robespierre qui s'étoit assuré la confiance du peuple, par un faux patriotisme ; un Couthon privé de l'usage de ses membres, qui ne conservoit sa tête et son esprit que pour conspirer contre la liberté ; son extérieur honnête ne présentoit à nos yeux éblouis qu'un exemple de sagesse, de modération, et son cœur receloit la cruauté et les d'un tyran. Un Saint-Just, dont l'éloquence et les rapports prononcés avec feu nous en donnoient à croire aussi bien que les autres. Un Henriot, commandant de la force armée, nouveau patelin, revêtu de l'habit d'uniforme qu'il déshonoroit et dont les projets liberticides tendoient à détruire la représentation nationale : ces Catilina modernes vouloient cimenter par le sang, le règne affreux des tyrans ; alors l'ouvrage de cinq ans de révolution était perdu pour nous : nous retombions dans l'esclavage, nous répandions tout notre sang pour sauveur la liberté, sans pouvoir y parvenir car il n'est pas un bon républicain qui, dans cette occasion, n'eut sacrifié sa vie plutôt que de porter de nouveaux fers ; mais la prudence, le courage et l'activité de nos représentans, ont retenu les projets criminels de ces audacieux et cette journée, qui devoit être le triomphe du despotisme, devint l'époque de la chute des tyrans : en vain les arrêtés de la Commune (repaire de nos cruels ennemis) avoient prononcé notre perte ! Ces scélérats pensoient nous séduire mais les sections de Paris toujours à leur poste, toujours prêtes à défendre la Convention, au lieu d'écouter les conseils perfides des agens de la tyrannie, les mirent en état d'arrestation, et ne répondirent a leurs propositions que par les cris mille foi redoublés de Vive la République ! Vive la Convention ! Périssent les ennemis de la Patrie ! C'est la réponse que nous opposons à toutes les trahisons. Mes frères, rendons grâces à l'Être suprême, qui nous a sauvé d'un aussi grand danger. Oui, sans doute, son existence nous est prouvée dans cette occasion ; vingt quatre heures nous ont suffi pour découvrir un complot qui se formoit depuis un an ; dans vingt-quatre heures les conspirateurs sont punis, et la patrie est sauvée : voilà l'ouvrage de l'Éternel. Quel exemple pour les peuples de l'univers ! Quelle leçon pour les traîtres ! Que les tyrans apprennent enfin à connoître le peuple français ; qu'ils sachent que la République est impérissable ; que le glaive de la loi est suspendu sur leurs têtes ; que la justice nationale ne les épargnera pas, et que pour déconcerter leur infâme complot, rien n'égalera le courage le zèle, la surveillance, l'activité des représentans du peuple français et des vrais sans-culottes.

VIVRE LIBRE OU MOURIR.
Salut et fraternité. BELLEMENT.

Texte

Poème sur la conjuration du 9 thermidor

Quel tumulte ! Quel bruit soudain se fait entendre !
À quelques trahisons faut-il encore s'attendre ?
J'entends crier par-tout : aux armes ! Le tambour
De la guerre civile annonce le retour :
Pourquoi ce mouvement ?… Ô ma chère patrie !
Contre toi dans ce jour, l'affreuse tyrannie
Se lève donc encore, et voudroit te ravir
Le seul bien pour lequel on doit vivre et mourir ?
La liberté. Je vois le peuple magnanime,
Se soulever encor pour terrasser le crime ;
Je vois les citoyens les bataillons nombreux,
En se réunissant s'interroger entr'eux :
« Par quel nouveau complot veut-on donc nous surprendre ?
Quels sont nos ennemis, quel sang faut-il répandre ? »
Eh quoi ! Lorsqu'au dehors les plus brillans succès
Assurent la victoire à nos soldats français
Quand l'esclave vaincu s'enfuit de la frontière,
À d'autres ennemis faut-il faire la guerre ?
Oui sans doute, il le faut ; d'affreux conspirateurs
Avec impunité méditent nos malheurs :
On nous apprend enfin quels sont nos adversaires ;
Pouvions-nous soupçonner que ce seroit-nos frères !
Des Français, qui chargés des plus nobles travaux,
De leurs concitoyens deviendraient les bourreaux.
Ô notre unique espoir ! Glorieuse Montagne !
Toi, que l'amour des lois, la justice accompagne ;
Vous, vrais républicains, intègres Montagnards ;
Sur le peuple toujours vous fixez vos regards :
Vous cherchez les moyens d'adoucir sa souffrance ;
Et vous ne travaillez qu'au bonheur de la France ;
Mais malgré vos efforts, l'infâme trahison,
Jusques dans votre sein distiloit son poison.
Sur la Montagne même il existoit des traîtres,
Qui conservoient l'espoir de nous donner des maîtres ;
Des lâches intrigans dont la perversité,
En l'anéantissant chantoient la liberté.
Vous les méconnoissiez, et leur tranquille rage,
Paroissant l'approuver, détruisoit votre ouvrage.
Alors tous vos travaux devenoient superflus ;
Cet heureux équilibre, hélas ! n'existoit plus
Et c'est en divisant l'opinion publique,
Que les conspirateurs perdoient la République :
Robespierre l'aîné, Saint-Just, Couthon, Lebas,
Le perfide Hanriot et le traître Dumas ;
Voilà les premiers chefs d'un complot sanguinaire,
Qui devoit dans les fers mettre la France entière ;
Dès qu'ils furent connus, par de sages décrets,
On vous vit arrêter leurs coupables projets.
Courageux députés, espoir de la patrie
En tous tems, en tous lieux, frappez la tyrannie,
Le peuple apprend enfin qu'on menace vos jours,
À ses libérateurs il devoit ses secours ;
En vain, les intrigans cherchoient à le surprendre,
Voyez-le avec ardeur songer à vous défendre :
Sur la Convention il jette son regard,
Il court, et de son corps il lui fait un rempart ;
C'est là son poste, là que de la tyrannie,
Il brave sans effroi la cruelle furie :
C'est là que résolu de terminer son sort,
Plutôt que d'être esclave, il recevra la mort.
Dans les dangers publics, dans les moindres allarmes,
Si le peuple est forcé de recourir aux armes,
C'est pour déconcerter les projets des tyrans,
Et pour servir d'égide à ses représentans.
Quel complot, quel projet inventé par le crime,
Dont un moment plus tard nous étions la victime,
Si l'intrépidité de nos législateurs,
N'eût dans ces grands dangers, prévenu nos malheurs !
Hélas ! Ç'en étoit fait, et notre République,
Alloit être soumise au pouvoir despotique ;
Sur des monceaux de morts, sur des débris sanglans,
On devoit élever le trône à trois tyrans :
Robespierre, Saint-Just, Couthon dans leur démence,
Entr'eux s'étoient déjà distribué la France ;
Et le traître Henriot, pour servir leurs desseins,
Devoit donner la mort aux vrais républicains ;
Pour lui ce jour de sang devoit être une fête,
De réussir en tout il jura sur sa tête ;
Et l'épée à la main, croyant tout ravager,
Attendoit le moment de pouvoir se venger :
Il le croit arrivé, et le traître en furie,
Part, dans l'affreux dessein de perdre sa patrie ;
Résolu d'employer près d'un peuple si bon,
Tous les ressorts secrets de la séduction ;
Partout les partisans de son indigne rage,
Attendoient ardemment le signal du carnage :
Égaré, furieux, il couroit dans Paris,
Au peuple il supposoit les plus grands ennemis,
S'emparoit des canons par-tout : vengeance,
Nous allons assurer les destins de la France
 ;
Et chacun ignorant dans ce piège tendu,
Qu'un décret contre lui venoit d'être rendu,
Auroit pu, supposant son motif légitime
Se rendre en le suivant, complice de son crime ;
S'il n'étoit pas prouvé que dans la trahison,
On ne peut en entier conserver sa raison,
Et si le traître enfin dans sa fureur extrême,
N'eût, par d'affreux propos, tout découvert lui-même :
Ce scélérat payé, ce chef de faction,
Crioit : tombez, tombez sur la Convention ;
Ces mots ont dévoilé son affreux caractère,
Ces mots aux yeux du peuple ont porté la lumière,
On ne vit plus en lui qu'un traître, un criminel
Dont l'existence seule offensoit l'Éternel.
Le cruel ennemi de notre République,
Ce nouveau partisan du pouvoir despotique,
Fut arrête soudain, et l'on remit son sort
Entre les mains de ceux dont il jura la mort.
De son état-major, les odieux complices,
Prétendoient vainement le soustraire aux supplices.
Sur des monstres chargés de si cruels forfaits,
La justice éternelle a lancé des arrêts ;
Rien ne peut les sauver, et la mort légitime,
Des plus grands scélérats, suivit toujours le crime.
Ainsi que Robespierre, et tous ses partisans,
Ceux qui voudroient encore protéger les tyrans,
Frémissant en secret du sort qu'on leur apprête,
Sur le même échafaud iront porter leur tête.
La mort n'a pas pour eux d'assez terribles maux,
Puisque de tout un peuple ils étoient les bourreaux.
Je dis plus, pour celui qui trahit sa patrie,
Le plus grand des bonheurs est de perdre la vie.
L'homme, malgré son crime, en conservant son cœur,
Ne peut qu'avec regret survivre à son honneur :
Ô mes concitoyens ! Pour sauver la patrie,
Croyez-moi, renonçons à toute idolâtrie,
Rendons à l'homme enfin toute sa dignité.
N'adorons qu'un seul Dieu, les lois, la liberté ;
Soyons toujours égaux : pour éviter l'extrême,
N'élevons jamais l'homme au-dessus de lui-même ;
D'un vrai républicain le plus flatteur espoir
Est d'entendre avouer qu'il a fait son devoir.
Tel est d'un Montagnard la superbe espérance,
Son bonheur est placé dans celui de là France ;
De l'adulation tous les lâches moyens,
N'ont jamais été faits pour des républicains :
Rien n'est plus dangereux, et c'est la flatterie,
Qui de l'ambition mène à la tyrannie ;
Celui que nous croyons notre libérateur,
Est souvent en secret notre persécuteur,
Et des conspirateurs la criminelle rage,
Sait, pour nous abuser mettre tout en usage ;
On peut être invincible en demeurant uni :
Mais sur-tout parmi nous point d'esprit de parti.
Par là nos ennemis ont pensé nous séduire ;
À quitter notre poste on pourroit nous réduire !
La Montagne est pour nous le point de ralliement ;
À la Convention nous faisons le serment
De ne connoître qu'elle ; et dans telles allarmes,
Qui puisse nous contraindre à recourir aux armes :
De tous nos ennemis en bravant les fureurs,
Nous répondons des jours de nos législateurs ;
Autour d'eux nous ferons une triple barrière,
Là, bravant des tyrans la haine et la colère,
Plutôt que de céder, terminant notre sort,
Les armes à la main nous recevons la mort.
Tel sera du Français le courage héroïque ;
Tels sont nos premiers vœux : Vive la République !

 
 

Sources

BNF, Ye 35257.