Liberté vengée, Ode à la Convention nationale sur les évènemens du 10 thermidor et ses suites, et sur la nécessité de donner un gouvernement fixe à la France, pour emmener l'époque d'une paix glorieuse (La)
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Paratexte
O quisquis volet impius
Cædes et tabiem tollere civicam,
Si quœret pater urbium,
Subscribi statuis, indomitam audeat
Refroenare licentiam
Clarus post genitis.
Horace, Ode XXIV
Que le mortel jaloux de sauver sa patrie
Des maux des factions et d'une guerre impie.
S'il veut que son nom passe à la postérité,
Déjouer les complots, venger la liberté,
Écarter des cités le meurtre et le pillage.
De tous les conjurés qu'il réprime la rage ;
Alors de la licence étouffant le flambeau,
Le marbre l'offrira vivant sous le cizeau.
Texte
Quel homme, ambitieux, plus cruel que Mézence,
Affecta parmi nous, la suprême puissance,
Et du sang innocent cimenta ses projets,
Et changeant à son gré la France toute entière,
En vaste cimetière,
Peuple, même en ton nom, commit tous ses forfaits ?
Pardonnes, pour toi seul, je donnerois ma vie,
L'auguste vérité commande à mon génie.
Au dépens de mes jours, j'osai la dire aux rois.
Ta longue idolâtrie, et ton lâche silence,
Ont créé l'insolence
Du Néron qui voulut te courber sous ses lois.
Ainsi qu'on vit Circé déployant l'artifice,
Contre la lâcheté des compagnons d'Ulisse,
En animaux grossiers, changer leurs élémens.
Tel, en te caressant Peuple sensible et brave,
Pour mieux te rendre esclave,
Le tyran t'essayoit à l'aspect des tourmens.
Jettes partout les yeux, ce ne sont que Bastilles
Où gémissoient en vain d'innocentes familles !
Partout l'assassinat, partout des échafauds.
Les atteliers fermés à l'utile industrie,
Le commerce sans vie.
Le génie expirant sous le fers des bourreaux.
Mais dans quel antre affreux ? Chez quel peuple sauvage ?
Ce monstre a-t-il conçu le plan antropophage
D'immoler le Sénat, pour nous donner des fers ?
C'est parmi cette secte, à jamais trop célèbre,
Qui, d'un crêpe funèbre
Couvrit le sol français, et troubla l'Univers.
N'en vit-on pas sortir l'orgueilleux athéisme ?
La sanglante anarchie, et le fédéralisme ?
Le mépris de Dieu même, à la fois tous les maux ?
De concert avec Pitt, l'intrigue, l'ignorance,
Pour gouverner la France,
Y forgèrent cent fois, leurs projets infernaux.
Où naquit ce système inouï sur la terre
La famine le suit, et l'intestine guerre ?
Créé par Robespiere, il enfanta Carrier ;
Il livra la Vendée aux mains des Cannibales,
Tous nos arts aux Vendales.
Le colon est sans bœuf, le pauvre est sans métier.
Que de riches cités réduites au pillage !
Néron, Néron lui-même eût-il fait davantage ?
Les factieux ont nuit bien plus que l'ennemi,
Ils ont porté l'effroi dans nos villes désertes ;
Et les tombes ouvertes,
Pour venger l'innocent, réclament un ami.
Quand de la liberté transportant la bannière,
Et du Peuple français reculant la barrière,
Nos braves défenseurs la faisoient triompher,
Portant dans nos cités, et le fer, et la flamme,
Un proconsul infâme,
En régnant sur des morts, cherchoit à l'étouffer.
Ô Sénat ! Qu'attends-tu pour venger l'innocence ?
La patrie et Carrier seroient dans la balance !
Tu comptes ses forfaits ! A-t-il compté les morts ?
La Loire est teinte encor du sang de ses victimes ;
Et de ses noirs abîmes,
Neptune en frémissant, les vomit sur ses bords.
Frappe les factions, et sois inexorable,
De quelque rang qu'il soit, tout coupable est coupable.
Ce n'est point Scipion qui vainquit Annibal.
C'est le parti d'Hannon qui détruisit Carthage.
Français, deviens plus sage ;
Il te faut un Sénat qui n'ait point de rival.
Ainsi quand le soleil parcourant l'hémisphère ?
Rencontre une planète opposée à la terre,
Et dérobe un instant son disque lumineux,
Le pilote incertain ne connoît plus sa route,
Et tout mortel redoute,
De cette obscure nuit, l'horizon ténébreux.
Que sortant des débris d'un second despotisme,
Édifice élevé, malgré le fanatisme,
Légitime Sénat, à ta puissante voix,
La République enfin, prenne un corps, un visage !
Et, que ce bel ouvrage,
Se fasse reconnoître au type de ses lois.
Comme l'antique fable a feint que la sagesse,
Reçut de Jupiter les traits d'une Déesse,
Et toute armée enfin, sortit de son cerveau ;
Ainsi la Liberté, de ton sein doit éclore,
Et doit, dès son aurore,
Partout de la discorde, éteindre le flambeau.
Si sous ton nom, Français, on commit tant de crimes,
Si tu vis de sang froid tomber tant de victimes,
Ta générosité doit réparer ces maux.
Contre le Vendéen, ne portons plus la guerre,
Fertilisons sa terre.
Montrons-nous ses amis, et non pas ses bourreaux.
L'erreur nous est commune à tous tant que nous sommes,
Faut-il les égorger, pour éclairer les hommes ?
Est-ce fraterniser, que de donner la mort ?
Pour effacer le sang qui souille notre histoire,
Mille siècles de gloire,
Ne pourront acquitter la dette du remord.
Est-ce par tant de sang, qu'au pays helvétique,
Tell en vengeant son fils, fonda sa République ?
Rome fut toujours Rome, alors qu'elle eut Brutus ;
Dès qu'il eut immolé le sien à sa patrie,
Rome fut affermie ;
Et le fut sous Camille, et sous Cincinnatus.
Mais par ses alliés, le Congrès d'Amérique,
Ne s'affranchit-il pas du sceptre britannique ?
Tandis que Washington battoit ses ennemis,
Le modeste Francklin, par sa douce éloquence,
Se conquéroit la France ;
À la Cour des rois même, il cherchait des amis.
Que ton souffle, Sénat, enflammant le génie,
Ressuscite partout les arts et l'industrie.
Sans un régime fixe, un peuple est-il heureux ?
Qui réglera l'adulte et la foible jeunesse,
Si l'esprit de sagesse
Émané de nos lois, ne se répand sur eux ?
De penser librement, ne fais plus un problème ;
Ce droit de la raison nous vient de Dieu lui-même.
Gêner l'opinion, c'est créer des tyrans.
Mais vouons au mépris les intriguans Pygmées :
Leurs fausses renommées,
Pour en former des dieux, en ont fait des géans.
D'un peuple libre alors, nous aurons l'attitude,
Les rois même à nous voir se feront l'habitude ;
Nos conquêtes pour eux, deviendront des bienfaits.
Et nos propres succès, fixant leurs destinées,
Par tes mains fortunées,
À l'univers, Sénat, nous offrirons la Paix.