Ode nationale contre l'Angleterre
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Texte
Tandis que la Tamise, en ses mornes rivages,
Dans son perfide sein méditant les ravages,
Roule une onde infidèle et jalouse des lis ;
La Seine aux bords riants, nymphe tranquille et pure,
Porte son doux crystal, ennemi du parjure,
À l'immense Thétis.
Thétis voit accourir à son humide trône
Le Tibre, l'Éridan, et le Tage, et le Rhône,
Le Méandre incertain, le rapide Eurotas,
Et le Volga pressant son onde hyperborée,
Le Danube au long cours, le Rhin, l'Elbe, et la Sprée
Amante des combats.
Là, sous des bois vermeils inconnus aux dryades,
Erraient de toutes parts de bruyantes naïades ;
Tous les fleuves du monde y roulent leurs destins.
Tous, ceints d'algue et de joncs, s'inclinant sur leur urne,
Près du fils orageux de l'antique Saturne
Partagent ses festins.
La Tamise elle seule, ivre de sa fortune ;
Et dédaignant l'honneur des banquets de Neptune,
Entraînait aux combats ses perfides vaisseaux ;
Aux bords américains déjà soufflant la guerre,
Son orgueil affectait l'empire de la terre
Et le sceptre des eaux.
Sous les mers cependant les jeunes Néréides
Ont prodigué les fruits nés de leurs champs humides ;
Les coupes du nectar animent leurs banquets ;
Et l'ambroisie exhale une nue odorante
Qui parfume à longs flots la voûte transparente
Des liquides palais.
De l'Ohio[1] tout à coup la naïade lointaine
Les frappe de ses cris, pâle, et fuyant à peine
À travers l'Océan de barbares vainqueurs
Ses regards éperdus, sa tête échevelée,
De roseaux teints de sang horriblement voilée,
Attestent ses malheurs.
Vengeance ! Criait-elle ; ô Neptune ! Vengeance !
Quel forfait de mes bords a souillé l'innocence !
J'ai vu la paix trahie abjurer nos climats.
Et toi, Seine, frémis à mes accents funèbres !
La Tamise triomphe ; et ses exploits célèbres
Sont des assassinats.
Crédule à cette paix que l'infidèle atteste,
Hélas ! Je reposais dans un calme funeste :
Un cœur pur, de soupçons est rarement armé.
Mes fils, sans crainte errants, dans leurs concerts sauvages,
Chaque jour éveillaient l'écho de mes rivages
Au nom d'un peuple aimé.
Quand l'affreux ravisseur de la triste Acadie[2],
L'Anglais, que sur mes bords guide la Perfidie,
Fonde et voue un rempart à la Nécessité[3] ;
De là, son glaive impie et ses feux sacrilèges
Chassent les dieux, la paix, et de nos privilèges
Bravent la sainteté.
Le Français se réveille au bruit de cette audace ;
Il sait du noir rempart l'insolente menace,
Et son courroux vengeur suspend encore ses traits :
Avant de foudroyer le crime et son asile,
La sainte humanité confie à Jumonville[4]
Le rameau de la paix.
Il part : quinze guerriers, compagnons de son zèle,
Le suivent jusqu'aux bords de l'enceinte infidèle :
Il parlait ; il offrait l'olive à ces pervers.
Ô crime ! Il tombe aux pieds de l'assassin farouche :
Le doux nom de la paix expire sur sa bouche ;
Sa troupe est dans les fers.
Dieu des mers, tu l'entends ! dit la Seine éperdue ;
On égorge mes fils ; leur sang coule à ta vue ;
Et ce sang généreux ne serait pas vengé !
Ne suis-je plus ta fille ? Ô Neptune ! Et toi-même
N'es-tu plus souverain de ce trident suprême
Par l'Anglais outragé ?
Voilà cette Albion, ce peuple magnanime
Que le savoir éclaire, et que l'honneur anime !
C'est lui qui lâchement ensanglante la paix :
De la terre et des mers déprédateur avare,
Au Huron qu'il dédaigne et qu'il nomme barbare
Il apprend les forfaits.
Tu voulus que tes flots unissent les deux mondes ;
Et du libre Océan il enchaîne les ondes !
Le cri des nations redemande les mers[5].
Purge tes flots sacrés de ses voiles parjures ;
Venge le sang français, mes larmes, mes injures,
Toi-même et l'univers.
Elle dit ; et ses sœurs autour d'elle gémissent ;
Attendris, indignés, tous les fleuves frémissent ;
Tous craignent d'enrichir l'insulaire odieux :
La nymphe au lit d'argent, l'Orellane en frissonne ;
L'or du Tage pâlit ; et le Gange emprisonne
Ses cristaux radieux.
Fleuves, rassurez-vous, dit l'époux d'Amphitrite :
Au livre des destins la vengeance est écrite ;
Albion expiera les maux de l'univers.
Avant que la Tamise ait compté quelques lustres.
Elle aura vu changer ses triomphes illustres
En sinistres revers.
Vainement l'insolente, à sa noble rivale
Croit opposer des flots l'orageux intervalle ;
La perfide s'épuise en efforts superflus.
Tremble, nouvelle Tyr ! Un nouvel Alexandre
Sur l'onde, où tu régnais, va disperser ta cendre ;
Ton nom même n'est plus.
- ^ Les bords de l'Ohio furent le théâtre des hostilités des Anglais en pleine paix
- ^ Presqu'île de l'Amérique septentrionale, sur les frontières orientales du Canada, que les Anglais envahirent par une violation des traités
- ^ Les Anglais appelèrent de ce nom le fort qu'ils bâtirent sur un terrain usurpé, justifiant ainsi un attentat par une injure
- ^ Jeune officier français plein de talents et de vertus.Député vers les Anglais par M. de Contrecoeur, commandant le corps de troupes posté sur les bords de l'Ohio, il fut assassiné lâchement, au mépris des lois de l'humanité et des droits des nations
- ^ Ce vers, qui, par le privilège attaché aux beaux vers, a l'avantage de pouvoir voler de bouche en bouche, et de rester gravé dans la mémoire ; ce vers, qui né de l'enthousiasme l'enfantera à son tour, me paraît le plus éloquent et le plus laconique des manifestes. À ce titre ne devrait-il pas obtenir l'honneur de former la devise tracée sur les pavillons et les drapeaux de l'armée destinée à venger la cause de toutes les puissances continentales ?