Ode républicaine sur les arts
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Des insensés ont dit : l'ignorance est guerrière ;
Enseignons l'ignorance, elle fait les héros :
Éteignons le génie. Éteindre sa lumière,
Barbares, c'est rentrer dans la nuit du chaos.
L'ignorance créa vos despotes, vos prêtres,
Tous ces rois, tous ces dieux rêvés par la terreur.
Vos pères héritaient du joug de leurs ancêtres ;
Ils naissaient, ils mouraient condamnés à l'erreur.
Le jour luit ! Trop longtemps l'aveugle fanatisme
De fantômes sacrés peupla les cieux déserts :
Trop longtemps l'huile sainte, offerte au despotisme,
A coulé sur des fronts stupides ou pervers.
Au nom d'un dieu qui meurt, un prêtre ridicule
Consacra trop souvent le vice couronné :
Ainsi trois imposteurs, ô peuple trop crédule !
Fêtaient le jour impie où tu fus détrôné.
De ce jour insensé, de ces pompes frivoles,
Reims ! Tu ne viendras plus insulter nos regards.
Je les ai vu tomber, nos superbes idoles,
Et le peuple s'asseoir sur leurs débris épars.
Il est, il est sans doute une fête sacrée,
La plus digne en effet d'un peuple souverain,
Et qu'un sage inventa dans l'heureuse contrée[1]
Où l'homme osa d'un roi briser le joug d'airain.
Après avoir banni les tyrans et la guerre,
Implorant le grand Être en fils respectueux,
Dans un champ, sous un Ciel qui sourit à la terre,
Accourt et se rassemble un peuple vertueux.
Là, s'élève un autel, et sur l'autel un trône :
Sur ce trône est placé le livre de la loi :
Près de ce livre auguste on pose une couronne ;
Ces mots y sont gravés : Peuple ! Il n'est plus de roi.
Au nom du Dieu vivant, un mortel vénérable
La prend, la rompt, la donne en fragments précieux.
Peuple ! Tu la reçois dans ce jour mémorable ;
Ton hymne, ô Liberté, fait retentir les cieux.
Que Paris soit rival de la ville des Frères !
Hâtons-nous d'écraser les despotes jaloux ;
Et paisibles vainqueurs des tyrans sanguinaires,
Français ! Renouvelons un spectacle si doux.
La sagesse a parlé : silence, vains oracles !
Temple de l'Éternel, sois pur à ses regards !
Martyrs de la patrie, enfantez des miracles !
Mânes encor sanglants, guidez nos étendards !
Qu'entends-je ? Muse, écoute ! Un dieu venge l'empire.
Cobourg a reculé dans ce moment fatal[2].
Un long cri de victoire excite encor ma lyre :
Un nouveau Scipion est vainqueur d'Annibal.
Qu'importe des Germains la tactique savante,
Les chefs jadis fameux, les centaures guerriers ?
La fuite est leur espoir, leur chef est l'épouvante,
Quand nous armons de fer nos tubes meurtriers.
Que ne peut le Français et sa valeur rapide !
Il se rit de l'obstacle ; il triomphe en courant.
C'est l'aigle qui dans l'air fond sur l'oiseau timide ;
C'est un fleuve indompté ; c'est un feu dévorant.
Comme on voit l'Apennin qu'assiège un long orage,
Rompre tous les efforts des bruyants aquilons ;
Ainsi de nos guerriers l'indomptable courage
Repousse tous ces rois, complices des Bourbons.
Vos destins sont de vaincre, ô Français magnanimes !
L'Anglais fourbe et cruel qui, cent fois contre vous,
Arma tout ce que l'or peut acheter de crimes,
Dans Toulon reconquis tombera sous vos coups[3].
Neptune est fatigué de leur île parjure.
Qu'ils tremblent, ces tyrans de l'empire des eaux !
De nos ports insultés Londre expiera l'injure ;
La Tamise en frémit dans ses mornes roseaux.
Je n'irai point alors, comme autrefois Malherbe,
Chanter de vains exploits sous les murs de Memphis.
Albion, je dirai, sur ma lyre superbe,
Tes veuves dans nos fers pleurant leurs derniers fils.
Dans les bras de l'oubli la victoire étouffée
N'aurait point d'avenir sans le charme des vers.
Il nous faut un Pindare, un Linus, un Orphée ;
Cygnes ! Il en est temps, commencez vos concerts.
C'est à Minerve seule à consacrer l'audace ;
Qu'elle apaise de Mars les féroces clameurs :
Vainement d'un empire il eût changé la face ;
Il faut des lois, des arts, des vertus et des mœurs.
Seuls, d'un pouvoir durable ils fondent l'assurance.
Animons le burin, la lyre, le pinceau :
Chassons comme des rois le vice et l'ignorance ;
Du peuple qui va naître éclairons le berceau.
Renaissons dans nos fils ! Ô vous ! Race nouvelle,
Qu'instruira de nos maux le fatal souvenir,
Espoir de la patrie, ah ! mon cœur vous appelle :
Jeunes républicains, sortez de l'avenir !
L'instruction fait tout. Enfants de la lumière,
Vous rendrez aux mortels les arts consolateurs ;
Vous foulerez des rois l'orgueilleuse poussière ;
Vous redirez en paix mes vers législateurs.
Fils de la Liberté, fille du Dieu suprême,
Que le monde par vous s'épure à son flambeau !
Rendez républicains la terre et le ciel même :
Que les jours, que les ans soient fiers d'un nom si beau !
Thémis qui, parmi nous, terrible, inévitable,
D'une morne frayeur nous fit souvent frémir,
Voilera devant vous son glaive redoutable,
Et la douce pitié n'aura plus à gémir.
Ils cesseront, ces jours de terreur politique ;
Le sang aura coulé pour la dernière fois.
L'or n'ira plus corrompre et marchander l'Afrique[4] ;
La terre n'aura plus d'esclaves ni de rois.
Moins nombreux par le crime ou l'erreur de vos pères,
Vos soins effaceront ces vestiges sanglants.
La vertu bannira de vos fastes prospères
L'exécrable Vendée et l'horrible Coblentz.
Aussi braves que doux, vrais amants de la gloire,
Si des lauriers de Mars il faut vous couronner,
La clémence naîtra du sein de la victoire,
Et, la foudre à la main, vous saurez pardonner.
L'abus de la puissance usa le diadème :
Vous rendrez tous les cœurs heureux de vos succès.
La liberté périt par la liberté même ;
Du plus juste pouvoir vous craindrez les excès.
Vos jeunes fronts, couverts de palmes et d'olives,
S'embelliront encor du myrte des amours,
Et la Seine par vous reverra sur ses rives
La Victoire et la Paix s'embrasser pour toujours.
Fidèle à cet espoir d'une âme fière et tendre,
Arbre de liberté ! Croîs toujours avec eux :
De l'une à l'autre mer tes rameaux vont s'étendre ;
Prête encore ton ombre à nos derniers neveux.
- ^ Franklin
- ^ Première victoire remportée sur Cobourg, que nos braves républicains forcèrent de repasser la Sambre
- ^ Le poète écrivait en brumaire : la prophétie s'est accomplie
- ^ Voyez ce beau décret qui défend la traite des nègres et abolit l'esclavage. La République a fait ce que les rois se sont bien gardés de faire