Ode républicaine sur les lois
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La Liberté m'appelle et son jour vient d'éclore.
À ses rayons vengeurs fuit le songe des rois,
Songe affreux dont la terre, hélas ! frémit encore.
Puissent tous les tyrans disparaître à la fois !
L'inaccessible Etna sur ses laves antiques
Ne cesse de verser des flots plus dévorants :
L'inaccessible orgueil des trônes despotiques
Ne cesse d'ajouter aux forfaits des tyrans.
Dans ses balances d'or, la Justice éternelle
Des peuples souverains a su peser les droits.
Son glaive a pu venger sur un Prince rebelle
La majesté du peuple et l'oubli de ses lois.
Ô France ! La vois-tu, cette horrible furie,
De ta reine barbare impitoyable sœur ?
La vois-tu, d'une main au carnage aguerrie,
Allumer le tonnerre à l'aigle ravisseur[1] ?
Lille ! Un Dieu vengera ta cendre et ton injure ;
Tes débris enflammés accuseront Louis.
La bombe, en t'écrasant, le déclarait parjure :
Thémis dut l'immoler à ses peuples trahis.
Oh ! Que Vienne aux Français fit un présent funeste !
Toi, qui de la discorde allumas le flambeau,
Reine, que nous donna la colère céleste,
Que la foudre n'a-t-elle embrasé ton berceau !
Combien ce coup heureux eût épargné de crimes !
Ivre de notre sang, désastreuse Beauté,
Femme horrible ! Tu meurs après tant de victimes :
Le glaive expie enfin ta lâche cruauté.
Et Philippe[2] vivait en dépit de la foudre,
Artisan insensé de crimes superflus !
Ton peuple, ton Sénat, ton Dieu vient de s'absoudre,
France ! La hache tombe, et Philippe n'est plus.
Sur leurs restes sanglants la monarchie expire.
Siècles de servitude, un jour brise vos fers !
Au sceptre usurpateur succède un juste empire.
République ! Tu nais pour venger l'univers.
La Bastille, en tombant, ébranla tous les trônes :
Tu vis de ses cachots sortir la Liberté,
Et la pâleur des rois sous leurs frêles couronnes
Des peuples souverains subir la majesté.
Ah ! Pour être à jamais triomphante et paisible,
Donne au mérite seul les rangs et les emplois :
Mère d'enfants égaux, sois une, indivisible ;
Mais que ta liberté soit esclave des lois.
L'orgueil au désespoir, la rage fanatique
Tenteront d'ébranler tes nouveaux fondements.
Pour vaincre de cent rois l'active politique,
C'est peu de tes amis, il te faut des amants.
Il te faut de ces cœurs dont la brûlante ivresse
Au devant des périls s'empresse de courir ;
Et fière de lancer ta foudre vengeresse,
Sois fidèle au serment de vaincre ou de mourir.
Oui ! De leur sang impur qu'ils rougissent la terre !
Qu'ils meurent sous le glaive au bruit de nos succès,
Les traîtres qui, votant la famine et la guerre,
Brûlent d'anéantir jusqu'au nom des Français !
Oui ! Consacrons nos mains dans le sang des perfides.
Pour venger son pays tout Français est soldat ;
Mais laissons aux tyrans les poignards homicides,
Et d'un peuple égorgé le vaste assassinat[3].
Un roi de ces horreurs peut seul être capable.
Tel fut ce roi bourreau[4] qu'on nomme en frémissant ;
Mais un peuple ! Sa loi doit punir le coupable.
Le frapper sans Thémis, c'est le rendre innocent.
Ah ! De sang et de pleurs soyons du moins avares :
Vengeons-nous justement d'un injuste pouvoir.
Est-ce à des malheureux à devenir barbares ?
Hommes, soyez humains ; c'est le premier devoir[5].
Du sauvage effréné la vengeance est atroce ;
Sa haine boit le sang dans des crânes affreux.
L'esclave révolté peut devenir féroce :
Le vrai républicain fut toujours généreux.
La force courageuse exclut la barbarie.
On peut à la clémence instruire des lions ;
Mais comment l'inspirer aux tigres en furie,
À ces rois altérés du sang des nations ?
D'un faux républicain si le vœu téméraire
S'égarait vers le trône après l'avoir brisé ;
S'il abreuvait de sang sa Thémis arbitraire,
Frappe-le, glaive affreux, par lui-même aiguisé.
Son trône est l'échafaud : là, que de ses victimes
Les mânes indignés lui déchirent le flanc !
Que leur cri le poursuive au fond des noirs abîmes !
Qu'il y tombe plongé dans un fleuve de sang !
Périsse comme lui tout despote sinistre
Qui, sous le nom de loi dictant sa volonté,
D'un avare délire exécrable ministre,
Enivre sa fureur d'un or ensanglanté.
Eh quoi ! Sage Rousseau[6] ! Ton élève adorée
A subi les horreurs d'une infâme prison !
Quel coup frappait encor leur main dénaturée !
Ah ! Je t'entends gémir, ombre du grand Buffon[7] !
Noble enfant de Byzance, espoir du docte empire,
Chénier ! Toi qu'un tyran précipite au tombeau,
Jeune ami, ne crains pas que ta mémoire expire !
Dans mes vers, dans mon cœur survis à ton bourreau.
Des lois et non du sang, dit ton généreux frère,
Qui défendait ta vie au péril de ses jours :
Mais il fallait du sang à ces fils de Mégère,
Et le cygne expiré fut en proie aux vautours.
Ô Loi ! Fille du Ciel, seul frein de la licence,
Que l'ordre et le bonheur renaissent à ta vois !
Le Ciel instruit la terre à bénir ta puissance ;
Et lui-même obéit à d'immuables lois.
- ^ L'aigle d'Autriche. Christine de Saxe mit le feu aux premières bombes qui foudroyaient Lille. Et Louis, qui la faisait assiéger, nous pressait de l'aller défendre !
- ^ Philippe d'Orléans
- ^ L'exécrable Saint-Barthélemy
- ^ Charles IX
- ^ Cette ligne sacrée est de J.-J. Rousseau
- ^ On appelait Rousseau le Dieu de la Révolution, et devant le plus humain des hommes, on professait l'inhumanité
- ^ L'auteur, ami intime du grand Buffon, devait cette strophe à l'historien de la Nature, à son fils unique, à la justice, à l'humanité et à sa nation qu'il venge