Ode sur la campagne de 1793
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Tel sur le sol brûlant de ces climats arides,
Vastes déserts, peuplés d'animaux homicides,
On voit d'un fer mortel le lion renversé ;
Il rugit, il écume, en mordant la poussière,
Et sa dent meurtrière
Menace encor la main dont le trait l'a blessé.
Tel l'habitant du Rhin, fuyant vers le Tartare,
Vaincu, mais indompté, de sa valeur barbare
Exhale en vains efforts le désespoir affreux.
Sa voix, qui retentit dans les cavernes sombres,
Semble annoncer aux ombres
Qu'on va porter la guerre au séjour ténébreux.
« Ô de l'aigle abattue éternelle infamie ! »
S'écrie, en frémissant, cette horde ennemie
Qu'à longs traits (?) abreuva de poison.
« Ô honte ! Le Français est partout invincible,
Son ardeur impassible
Pour vaincre n'attend pas le retour des saisons.
Nous avons vu tomber Worms et Mayence et Spire,
Liège, nouveau sujet d'un sacrilège empire,
Voit le vainqueur de Mons au trône épiscopal.
Ni les feux du Midi, ni les glaces de l'Ourse
Ne suspendent sa course,
Et le Tybre déjà craint un autre Annibal.
Eh quoi ! Du Vatican la puissance assoupie
Ne fulminera point contre une secte impie
Qui par la Liberté prétend tout enchaîner !
Ah ! Que l'enfer s'allie aux princes de la terre
Pour lui livrer la guerre,
Puisque le Ciel muet n'ose la condamner.
Anglais, Germains, Saxons, soldats du grand Gustave,
Peuples de l'Ibérie, et vous, peuple batave,
Tout ce qui dans l'Europe est soumis à des rois,
Unissez-vous ensemble, et qu'une noble ligue
Repousse vers sa digue
Ce torrent débordé qui menace vos droits. »
C'est ainsi que sur nous le démon de la rage
Conjure par ses vœux la chûte de l'orage
Suspendu trop longtems sur les fronts couronnés.
La misère, la faim dévorent les campagnes,
Pan fuit dans les montagnes,
Palès voit ses troupeaux au fer abandonnés.
Des voiles nébuleux l'obscurité profonde
S'étend sur l'horison pour annoncer au monde
Le déluge des maux dont il va se couvrir.
Le trident de Neptune ébranle au loin les îles,
Cybèle est sans aziles,
On se demande, où fuir ? Où plutôt, où mourir ?
Là des brûlans canaux la sulphurente écume
De leurs lits souterrains que le salpêtre allume
S'élève en flots de feu sur les toits embrasés.
Là de l'airain tonnant l'épouvantable foudre
Frappe pour tout dissoudre,
Et rappelle au cahos les élémens brisés.
Ainsi, lorsque des dieux l'altière souveraine
Tourmentait l'Achéron pour seconder sa haine,
Et ne dédaignait point d'implorer Alecton,
Le monstre, tout gonflé de la triple Gorgone,
De l'ardente Bellone
Entretenait la torche aux feux de Phlégéton.
Mais combien plus cruels ces titans téméraires,
Insolemment honteux d'être égaux à leurs frères,
Qui des peuples trompés épuisant le trésor,
Dans les emportemens d'une aveugle furie,
Déchirent la patrie
Dont le sein maternel pour eux s'ouvrait encor.
De leurs propres complots nous accusant nous-mêmes,
Leur incivique audace, en ses momens suprêmes,
Des forfaits avortés brûle de se venger ;
Et, parmi les poignards, affectant la clémence,
Leur féroce démence
Prend un air séduisant pour nous mieux égorger.
Quel sang peut assouvir tous ces cours de vipères
Enfans dénaturés, impitoyables pères,
Leurs plus nobles exploits sont des assassinats.
Mais jusqu'en ses revers un peuple vraiment libre
Sait garder l'équilibre
Qui seul peut assurer le succès des combats.
Chaque instant de la vie aboutit à son terme.
Le héros vers le but s'avance d'un pas ferme,
Sans craindre de la mort l'inévitable écueil.
Sous un perfide fer il cède ainsi qu'Achille
Dont la valeur agile
A déjà d'Ilion préparé le cercueil.
Traîtres, n'espérez point jouir de nos allarmes.
En vain vous aiguisez vos plébicides armes
Pour les tremper du sang de nos jeunes guerriers.
D'un cœur impénétrable à vos traits infidèles,
Vers des palmes nouvelles
Ils marchent ombragés de leurs premiers lauriers.
Je me trompe, ou déjà la fierté britannique
Abjure dans nos ports ce pouvoir tyrannique
Que sur les nations elle avait usurpé.
Et trop heureux encor le farouche insulaire,
S'il peut dans sa colère
Punir l'audacieux dont la voix l'a trompé.
Tremble, ministre aveugle en ta folle sagesse.
Le fer républicain sait vaincre la richesse.
Voi Thétis triompher, libre par tes revers ;
Et son onde autrefois docile sous un maître
Qu'elle ose méconnaître,
Refuser de porter l'antique roi des mers.
Ainsi le cèdre altier s'élève des montagnes.
Mais que des aquilons les humides compagnes
Viennent déraciner ses replis tortueux,
Lorsqu'armé du trident qu'un long calme importune,
L'impérieux Neptune
Fait bondir l'Océan par flots tumultueux :
C'est alors qu'entraîné sur la liquide plage,
Sa chûte fait au loin retentir le rivage,
Il cherche en vain l'appui des plus faibles roseaux,
Son tronc flotte agité sur les mers vagabondes,
Et bientôt sous les ondes
Par son poids engloutit l'orgueil de ses rameaux.
Pour lui, peuple français, l'univers te contemple.
Achille eut un tombeau, ta gloire veut un temple.
L'Europe délivrée aspire à t'en servir.
Le Ciel entre tes mains a remis son tonnerre
Pour affranchir la terre
Du sceptre injurieux qui l'osait asservir.
Que ne puis-je, d'Alcée imitant l'harmonie,
Comme lui, par mes vers bannir la tyrannie,
Et par la Liberté faire fleurir les arts !
Ma voix républicaine animerait ta fête
Que la victoire apprête
Aux destructeurs heureux du trône des Césars.
Qu'à l'aspect imposant des conquêtes sublimes,
Qui des peuples divers épurant les maximes
Ne feront plus qu'un peuple uni par les vertus,
Il fera beau chanter cette philosophie
Par qui se fortifie
Le sentiment des droits que l'Homme avait perdus !
Le faible subjugué par la reconnaissance,
À des chefs généreux confia sa puissance
Qui le soutint d'abord par le maintien des loix.
Mais l'exemple fatal de plus d'un Périandre
A trop su nous apprendre
Que le malheur du monde est le crime des rois.
Des serviles erreurs la Raison rompt le câble.
L'homme n'est plus qu'un homme aux yeux de son semblable.
L'encens ne fume plus pour l'orgueil des mortels.
Et la terre rendue aux mœurs du premier âge,
Par un plus digne hommage,
À la Liberté seule élève des autels.