Ode sur la situation de la République en prairial an VII / Ode sur les dangers de la patrie
Auteur(s)
Texte
Musique de Eler
Quel est ce vaisseau dont les voiles
Maîtrisaient les vents ennemis ?
Sur la foi des mers, des étoiles,
Ses nochers sont-ils endormis ?
La fortune enfle son courage ;
Il ne soupçonne point l'orage
Qui veille dans les flancs du Nord ;
Un zéphyr trompeur le rassure,
Et son insensé Palinure
Rêve les délices du port.
Sécurité folle et coupable,
C'est trop suspendre ton réveil,
Les maux d'une guerre implacable
Sont les crimes de ton sommeil.
France, qu'as-tu fait de ta gloire ?
Toi-même as trahi la victoire
Fidèle à tes nobles drapeaux.
Quand le Nord vomit ses esclaves,
En vain elle cherche tes braves :
Es-tu veuve de tes héros ?
De la Seine aux rives du Tibre,
Des Alpes au double Apennin,
Ton peuple belliqueux et libre
Partout enchaînait le destin ;
Mars précipitait nos armées
Comme ces laves enflammées
Qu'Etna lance dans sa fureur ;
Partout sur tes vastes frontières
Devant nos légions altières
Veillaient la foudre et la terreur.
Et les enfants glacés du pôle
Osent menacer tes remparts !
Et leur féroce espoir t'immole
Loin de tes défenseurs épars !
Et cette paix, vierge céleste,
Que l'infâme Albion déteste,
Qu'égorge son or assassin,
Cette douce paix qu'avec gloire
Nous avait conquis la victoire,
Aurait fui pour jamais ton sein !
Pourquoi sur des rives lointaines
Semblas-tu bannir tes guerriers,
Et pour des palmes incertaines
Perdre d'infaillibles lauriers ?
Pourquoi fendre les champs humides ?
Que t'importent les pyramides,
Et des arts le berceau vanté ?
Repousse des hordes sauvages ;
Défends sur tes propres rivages
Le berceau de ta liberté.
Tandis, hélas ! Que, trop loin d'elle,
Bonaparte, guidant tes fils,
Dispute au Croissant infidèle
La poussière qui fut Memphis ;
Tandis que sa course égarée
Jusqu'aux bords de l'onde Érythrée
Fatigue la nymphe aux cent voix,
Et que le vainqueur italique
Plonge dans les sables d'Afrique
Tes bataillons et ses exploits ;
Vois-tu de l'Autriche insolente
Croître les nombreux attentats ?
Quelle dérision sanglante
Suit de fallacieux débats :
La faiblesse invite l'outrage ;
La prévoyance et le courage
Eussent maîtrisé les hasards.
Mais un Varus fut ton Alcide ;
Et ta Minerve sans égide
Tomba sous de lâches poignards.
Jouets du crime et loin des armes,
Nous dormions, vainqueurs dédaignés.
Vienne, tes fils paieront nos larmes
Dans tes murs de leur sang baignés !
Némésis trop longtemps sommeille.
France, que ton lion s'éveille :
Que l'aigle altier soit abattu.
Triomphe, ô ma chère patrie !
Répare ta gloire flétrie,
Et règne encor par la vertu.
Laisse au temps briser les couronnes
Sur la tête des potentats.
C'est peu d'ébranler tous les trônes,
Si tu n'affermis tes États.
Sage dans ses courses fécondes,
La Seine, rassemblant ses ondes,
Porte sa gloire aux flots amers :
Et le Rhin, si fier à sa source,
Divisant ses eaux et sa course,
Se jette, inconnu dans les mers.