Ode sur l'union nécessaire des talens, & des vertus pour le bonheur de la société
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Apprends, mortel ! Ta destinée,
Sois pénétré de ta grandeur ;
Si pour les arts ton âme est née,
Pour les vertus est né ton cœur.
Sors donc de ta langueur profonde,
Cultive-toi : consacre au monde
De tes travaux l'utilité ;
Mourir, sans avoir dans sa vie
Servi les siens & sa patrie,
C'est être loin d'avoir été.
Qu'importent tes talens sublimes,
Et ces brillantes qualités,
Dont les abus illégitimes
Flattent si fort tes vanités ?…
Mortel ! Si la vertu n'anime
Par un sentiment magnanime
De ton esprit l'essor heureux ;
C'est un jour trompeur qui t'égare,
Et qui peut-être te prépare
La honte, ou des traits douloureux.
Encor, de ton écart funeste
Si seul tu sentois les malheurs !
Mais le public souvent déteste
En toi l'instrument de ses pleurs ;
Aussi s'écrioit la Sagesse
À Thémistocle en sa jeunesse :
« Veille, mon fils, sur tes talens ;
Si par eux honorant ta vie,
Tu n'es l'appui de ta patrie,
Tu seras un de ses tyrans. »
Et toi, Coriolan illustre !
Pourquoi, dans un courroux vengeur,
De tes hauts faits ternir le lustre,
Et livrer Rome à ta fureur ?
En vain le Sénat, les ministres,
Pour détourner tes coups sinistres,
Réclament ton humanité ;
Sans Véturie & sans ta mère,
Tu plongeois le fer sanguinaire
Dans le sein qui t'avoit porté.
Vois, ô César !… Vois du haut faîte
Où tes exploits t'avoient placé,
La honte flétrir sur ta tête
Les lauriers qui t'avoient orné !
L'intrigue & la soif de l'Empire
Par un ardent & long délire,
Toujours avoient sçu t'agiter ;
À ton pays tu deviens traître,
De citoyen tu te rends maître…
Mais un Brutus va t'immoler.
Jeunesse imprudente & volage !
Combien d'écrivains séducteurs
Ont sur la candeur de ton âge
Versé leurs poisons corrupteurs ?
L'adroit talent de l'imposture,
Aux yeux de la simple Nature,
Cacha l'abyme sous des fleurs ;
Sans te douter du précipice,
Tu perdis, par cet artifice,
L'aimable trésor de tes mœurs.
Mais la vertu la plus touchante,
Si le talent n'est son soutien,
N'est pas non plus toujours puissante
Pour faire ou diriger le bien.
Foible, timide, ou trop crédule,
Souvent par crainte ou par scrupule
On vient à bout de l'égarer ;
C'est un roseau qu'un rien balance,
Ou que, malgré sa résistance,
Le choc des vents fait succomber.
La vertu douce, bienfaisante,
Peut sans doute, au cœur vertueux
Donnant une paix consolante,
Par ses attraits le rendre heureux.
Mais si le méchant nous opprime,
Si quelqu'un veut, au prix du crime,
Rompre ou trahir des droits sacrés ;
Comment, sans un grand caractère,
Sans du talent le frein sévère,
Réprimer ces atrocités ?
Tu m'es témoin, ô ma patrie !
Qu'aux jours affreux de tes douleurs,
La vertu, sans l'art du génie,
N'eût point réparé tes malheurs.
De vingt tyrans la ligue impie,
Par la force & la perfidie,
Vouloit ravir ta liberté ;
Ton honneur parle… Tu t'avances,
Bientôt tes succès, tes vengeances,
Font respecter ta dignité.
Vous seuls pouvez, vertu, génie !
Par l'union de vos travaux,
Créer le bonheur de la vie,
Et préparer les vrais héros.
Ainsi l'astre qui nous éclaire,
Fécondant le sein de la Terre,
Fait naître la fertilité :
Par là les fruits & la verdure
Sont l'ornement de la Nature,
Et des mortels la volupté.
Nous traversons la mer du monde,
Notre boussole est la vertu ;
Par elle, dans la nuit profonde,
Toujours le pôle est reconnu :
Mais le génie est l'œil sévère,
Dont le procédé salutaire
Met à profit ce signe heureux ;
Au point tracé restant fidelle,
Il conduit au port la nacelle,
Triomphante des flots fougueux.