Parisiade, poème héroï-tragi-comique dédié au Comité d'inquisition (La)
Auteur(s)
Mots-clés
Paratexte
Audax omnia perpeti
Gens humana ruit per vetitum nefas.
Hor., Ode III
Messeigneurs,
Les Condé, les Turenne, les Chevert, par des attaques rapides, des positions imposantes, & des retraites quasi miraculeuses, n'auroient jamais illustré la France & éternisé sa gloire, s'ils n'eussent opposés des essaims d'Inquisiteurs aux nuées de Croates & de Pandoures, destinés, par état, à harceler les armées, à éventer & déconcerter les projets des généraux. De même, les Chapelier, les Sieyès, les Mirabeau, n'auroient jamais travaillé efficacement au grand œuvre de la constitution, sans l'établissement d'un Comité d'Inquisiteurs.
C'est donc à votre infatigable vigilance, Messeigneurs, que la France doit la célérité des travaux de nos modernes Législateurs. Ces trois têtes de poids opèrent maintenant en paix sous votre égide, & votre nationale légèreté fait évanouir les entreprises des Pandoures aristocrates.
En attendant que la France s'acquitte envers vous, Messeigneurs, je dépose à vos pieds, mes hommages & ma reconnoissance. Ma conscience me force à vous dénoncer un petit ouvrage, que mon étourderie ma fait entreprendre. Il a pour titre : La Parisiade, Poëme héroï- tragï-comique. J'ose espérer que ma bonne-foi trouvera grâce devant vous : c'est l'amour de la gloire qui m'a fait auteur, & ma vanité est une fuite de la révolution. Ce tact fin qui caractérisoit si bien l'esprit français, ayant pris une physionomie toute contraire, je n'ai pu résister à l'envie d'avoir part à la célébrité qui est devenue un vaste communal.
Voilà, Messeigneurs, une foible excuse. Vous verrez cependant que ma plume ne s'est jamais écartée de la justice la plus scrupuleuse. Combien n'ais-je pas été indigné de voir ridiculiser dans le public l'affaire de Meudon & celle des Annonciades. Dans deux épisodes de mon ouvrage, j'ai manifesté l'enthousiasme que m'ont causé ces deux expéditions : je les ai supprimées, parce qu'il est maladroit de prendre la défense d'une réputation invulnérable. Je prouve que le général Lameth s'est conduit en militaire consommé. Il n'ignoroit pas qu'il pouvoit trouver un grenadier sous chaque guimpe de none, & l'auteur de la prise des Annonciades, ne savoit pas sans doute qu'un de nos grands partisans a surpris une forteresse en cachant ses soldats sous des chasubles & des surplis. Le chantre de ces deux campagnes finit par nous apprendre qu'on n'a trouvé dans les deux monastères, qu'un jardinier à la voix de Stentor, & une femme de basse cour, fraîche & potelée, comme si nous ne savions pas que des capucins ne peuvent pas plus se passer de pondeuses, que des religieuses de carottes.
J'attends vos ordres, Messeigneurs, pour publier la défense du général Lameth, à moins que vous ne jugiez comme moi, qu'il est au-dessus de toute atteinte.
Il ne me reste plus pour completter ma justification, qu'à vous motiver les raisons qui m'ont déterminé à faire dominer le ton burlesque dans le petit ouvrage que j'ai l'honneur de vous adresser. D'abord, j'ai dû me conformer à l'esprit du jour ; en second lieu, je voulois me faire lire par mes héros. Je sais bien que j'aurois pu mettre mon sujet en opéra ; un grand homme nous a appris que ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante ; mais pouvois-je, vu le déficit de l'Académie de musique, l'induire aux dépenses exorbitantes qu'auroient entraîné la nouveauté & la variété des costumes & des décorations. Pouvais-je mettre la Révolution en tragédie ? Eh ! Qui n'auroit pas ri, en voyant sous les murs de la Bastille, le savetier du coin, revêtu de l'armure de François premier, le casque à la main, demander poliment aux passans, qui va-là, s'il vous plaît ! Il faudroit être une abeille littéraire, pour extraire quelques traits héroïques d'un cahos de rivalités. Pouvois- je d'ailleurs entrer en concurrence avec l'auteur de Charles IX, qui a obtenu le privilège exclusif de ce genre de poësie. Il me restoit à la vérité la carrière comique, mais je l'avouerai, à ma honte, je travaille en vain depuis six mois, à trouver plaisant le massacre de M. de Launay. Si ces motifs, Messeigneurs, ne désarment pas votre justice, & que mon supplice vous paroisse nécessaire pour intimider nos
écrivains modernes, je consens à mourir, mais que ce soit par la guillotine.
Le choix de ce genre de mort, prouvera du moins mon respect pour tout ce qui émane de l'auguste Assemblée.
J'ai l'honneur d'être avec respect,
Messeigneurs,
Votre très-humble, & très obéissant serviteur
Texte
Table des matières
Chant premier
Chant deuxième
Chant troisième
Chant quatrième
Chant cinquième
Chant sixième
Chant septième
Chant huitième
Chant neuvième
Chant dixième
Chant onzième
Chant douzième
Ouvrez-moi le parvis du temple de mémoire :
Des héros du Pont-neuf, je vais chanter la gloire ;
Peut rire qui voudra d'un si noble projet,
Car je suis des rieurs le très humble valet,
Et l'on peut aujourd'hui, sans être ridicule,
Dévouer ses crayons à l'illustre crapule
Aux porcherons, Vadé choisit plus d'un tableau
Traiter sujets pareils ne fera pas nouveau,
Et du chantre d'Henri, la célèbre héroïne,
N'étoit, on le fait bien, qu'un torchon de cuisine.
Louis régnoit encor la nuit nuit du samedi,
Et ne prévoyoit pas que dimanche à midi,
Des doctes du café la cohorte infernale
Eût soufflé son esprit aux savans de la halle :
Toutefois au Palais, sur les ponts & dans l'air,
On n'entend que le nom du financier Necker.
Aux armes, disoit-on, il a fait la culbute,
Par un coup de Jarnac, on a hâté sa chute.
Accourons le venger : mais au Palais-Royal
Si l'on parle beaucoup on se bat assez mal.
Les prudens harangueurs montent à la tribune
Pour engager la halle à la cause commune.
Ils tonnent, & déjà leurs chaleureux discours
À tous les porte-faix mettent l'âme au rebours
Et pas une catin, pas de Judith moderne,
Qui ne promette alors la tête d'Holopherne.
Le malheureux badaud qu'on exile aux combats,
Approuve aveuglément ce qu'il ne conçoit pas ;
Car le peuple toujours, par celui qui le flatte,
Pour ôter les marrons, laisse prendre sa patte.
Le lecteur doit savoir qu'il existe un jardin,
Où l'on voit à midi, le soir & le matin,
La foule des oisifs s'empresser de se rendre,
Prodiguer les bravo, souvent sans rien comprendre
À ce qu'un forcené lit d'un ton absolu ;
Car d'applaudir ainsi, l'usage a prévalu,
Et l'on verra bientôt cette noble cohue,
Vouloir tout égorger au premier cri de tue.
Le quartier de réserve est au Palais-Royal ;
C'est du café de Foi, qu'est parti le signal ;
Mais des loix du combat les chefs ont peu d'usage,
Puisqu'ils ont au début toléré le pillage.
Le soleil effrayé des apprêts du trépas,
Courut s'ensevelir dans ses limpides draps,
Laissant ses substituts, messieurs les réverbères ;
De toutes ces horreurs les témoins oculaires,
Les héros vers le camp avoient porté leurs pas,
Ils y bravoient la mort qu'on ne leur donnoit pas.
Ah ! Qu'il est généreux ce mépris de la vie,
Lorsque de nous l'ôter on n'a pas eu l'envie !
Pour moi je volerois au feu comme un éclair,
Si l'on me promettoit de ne tirer qu'en l'air :
Cette fois cependant autre zèle m'emporte,
Et je cours bravement m'affurer de ma porte ;
J'allois passer la nuit pour la postérité,
Et chanter les appuis de notre liberté ;
Mais j'avois près de moi ma maîtresse fidèle,
Vous osez disposer de ma nuit me dit-elle ?
Vos héros valent-ils la peine d'un récit ?
Couchez-vous ? J'obéis, & je me mis au lit.
Tandis qu'on menaçoit de faire une compote
Des Bourgeois assemblés chacun dans leur District.
Faux ou vrais dans Paris ; c'étoit le cri public,
Quelques-uns s'écrieroient, Messieurs, à la moutarde ;
C'est assez s'amuser, assemblons une garde ?
Depuis peu de nos murs on a fait le blocus,
Convoquons dès ce jour nos frères les cocus.
On peut être guerrier, & mari pacifique,
La Cour le prouve assez, c'est un fait authentique,
Cet essaim de cocus nous suivant aux combats,
Plus que Sa Majesté nous aurons des soldats,
Et la braverons jusques en sa demeure ;
Car la loi du plus fort est toujours la meilleure.
Quelques autres disoient, messieurs, soyez prudens,
Que diable serez-vous contre des régimens ?
Avant de vous livrer au plus affreux désordre,
Il faut de leur départ qu'on sollicite l'ordre.
Les braves électeurs adoptent ce projet ;
Le peuple opine aussi du geste & du bonnet.
Sourdement se forma la bande martiale,
Qui doit à nos moulins devenir si fatale,
Montmartre pour vous mettre à l'abri de ses coups,
Il n'est qu'un seul moyen, tombez à ses genoux,
J'ai vu ces demi-dieux ou bien ces demi-diables
Vouloir pour coup d'essai bloquer les incurables.
J'ai vu leurs généraux, messieurs les échevins,
Proposer de livrer l'assaut aux quinze-vingt.
L'intrépide valeur partout les accompagne
Parbleu je le crois bien, le fer de Charlemagne
D'un de ces vils gredins a décoré le bras :
Ils pourront tout braver, je ne m'étonne pas
Si dix mille d'entreux de leurs bras homicides,
Ont osé désarmer quinze ou vingt invalides.
On voit de tous côtés s'élancer des torrens,
Les bataillons épars semblent des juifs errans ;
L'honnête homme en secret forme des vœux peut-être,
Pour que ces malheureux soient logés à Bicêtre.
On couvre d'autres noms cette infidélité,
Les mutins sont nommés piliers de liberté,
Et l'honnête bourgeois sera forcé de suivre
Le mercenaire vil que lui seul faisoit vivre.
Mais il est dangereux d'élever trop la voix,
Tant que les porcherons nous dicteront les lois.
Qui nous dit que d'ailleurs la volonté suprême
À ces héros crottés n'a pas dicté le thème ?
Ayons pour cet instant la foi du charbonnier,
Car la perle est ici dans le tas de fumier ;
Et l'on sait depuis peu, le fait est véritable,
Que de l'air méphitique on fait l'air inflammable.
Pendant que mon phœbus s'endort sur le rôti
Des cris tumultueux partout ont retenti.
Les gens de Saint-Antoine & ceux de la Courtille
Ont promis d'enlever la tour de la Bastille ;
Ce fort n'a résisté plus de quatre cents ans
Que pour couvrir de gloire un troupeau de manans.
On le prend en effet, car le portier le donne ;
Il eût intimidé cette bande poltrone,
En disant seulement, messieurs, on n'entre pas !
Mais le chien a fait là le métier de Judas,
Cependant on a vu le chef de cette clique
Porter sur un vil front la couronne civique ;
Du triomphe à Paris on a rendu l'honneur
Et dressé des autels au soldat déserteur,
Qui ne méritant pas une pareille aubaine
Avoit pris son parti pour aller à la chaîne.
J'ai dit un peu plus haut comment le magistrat
Crut devoir se servir de la patte du char.
Ce sujet convenoit à ma muse caustique ;
Mais quand il faut quitter une scène comique
Et peindre la fureur d'un peuple de bourreaux,
Je détourne la vue & brise mes pinceaux ;
Malheur au forcené dont la main ennemie
A semé sur Paris la honte & l'infamie,
Et périsse à jamais la foule d'écrivains,
Qu'on voit depuis six mois étayant ses desseins,
Abreuver le public du fiel des Euménides,
Et souffler dans les cœurs ses projets homicides
Au mépris de son âge, au mépris de son rangs
Du malheureux Launay vous déchirez le flanc,
Et son crime à vos yeux, populace rebelle,
Fut d'avoir respecté dans son âme fidelle
Ses sermens à l'honneur, ses sermens à son Roi
Et de tous ses devoirs fait sa suprême loi.
En vain me direz-vous que par sa perfidie
Il mérita le nom de traître à la Patrie ;
Vous osez prononcer avec témérité,
Ce nom que vos pareils ont si bien mérité,
Qui ? Vous, a (répondez race dégénérée)
De l'imprenable fort facilité l'entrée ?
Vous n'avez abordé ce brave chevalier,
Qu'en portant à ses pieds le rameau d'olivier,
Et de la trahison voilant la sourde trame,
Ce symbole de paix fut un signal infâme ;
Car le juste n'a vu dans ce coupable assaut,
Qu'un échelon de plus pour gravir l'échafaud.
Un moment s'il vous plaît, populace royale,
À vos succès brillans, mettez quelque intervalle,
Et donnez le loisir à mon foible crayon
De passer avec vous du tragique au bouffon,
Hélas ! Vœux superflus ; les héros de la grève,
Sembarrassant fort peu que mon pégase en crève,
Ne sont-ils pas certains que leurs vaillans exploits
Se trouveront un jour dans les fastes des Rois.
Il faut en attendant cette noble trouvaille,
Dire ce que pensoit le seigneur de Versailles.
Ce bon prince, dit-on, parut un peu surpris
De voir tant de Césars dans les murs de Paris,
Partons s'écria-t-il, volons de rue en rue,
Sans cela je vois bien ma couronne tondue ;
Vite mon tape-cul, mais non. Prenons le pot,
Et nous le laisserons à la Grille Chaillot.
Une fois au fauxbourg nous monterons en fiacre,
Car je veux arriver fier comme un archidiacre,
Et puisque je fais tant que d'en faire les frais,
Pour quelques sols de plus je veux qu'il soit anglais.
Antoinette, dit-on, avertit le monarque
Qu'il alloit affronter le ciseau de la parque,
Et que l'on pourroit bien du coin d'un carrefour…
Vous ôsez, dit le roi, suspecter leur amour ?…
Vous mériteriez bien que cinq ou six taloches…
Il se tut, & partit par le bureau des coches
Chemin faisant, dit-on, il marmotoit tout bas
C'était apparemment son in manus tuas.
Henri quatre & César trotoit dans sa mémoire
Car en bon roi possède un tant foi peu d'histoire.
Ô toi docte Apollon, mon maître & mon seigneur
Ne m'abandonne pas, j'ai besoin de souffleur ;
Fais que de Jupiter le femelle trompette,
Apprenne à l'univers l'attendrissante fête,
Où J'ai vu les badauds, le fait est bien certain
De pair à compagnon avec leur souverain :
Je l'ai vu ce bon roi déposant toute pompe,
Venir leur confesser qu'aisément on le trompe ;
Je sçais que ma cour fut celle du roi petau,
Et qu'on me prit souvent pour le roi de carreau,
Mais je promets, dit-il, & de plus vous le jure
Que je ne ferai plus un monarque en peinture.
Je dois vous prévenir, Messieurs, qu'il n'est pas beau
De faire dans Paris le métier de bourreau.
Vous osez menacer ma moitié de la corde ?
Mais comme à ses bourreaux dieu fit miséricorde
Elle pardonne aussi, mais n'y revenez pas,
Car je ferois tuer tout ce qui seroit gras.
Il dit… se retira… Mesdames les poissardes
Lui servirent, dit-on, & d'escorte & de gardes,
Tandis qu'on le montroit comme un ecce homo,
Le roi se pavanoit dans un vieux berlingo ;
Des pages savoyards étoient à la portière,
Et quelques porte-fais huchés sur le derrière.
Qu'il est grand le héros qui, fier d'un pareil train
Choisit un serrurier pour écuyer de main
On prétend à Turin, en Prusse, en Allemagne
Qu'on l'a nommé depuis souverain de Cocagne.
Tout autre en pareil cas eût fait comme le roi,
Car la nécessité ne connoît pas de loi.
Le roi s'acheminoit du côté de Versailles
Toujours environné d'une énorme canaille,
On entendoit les cris de trois cents mille voix
Qui le félicitoient de s'être fait bourgeois,
Car le chef orgueilleux de la nouvelle garde
L'avoit presque forcé d'arborer la cocarde ;
Sur ce fait à l'instant Cherin interrogé,
Avoue que Louis avoit fort dérogé.
La noblesse à ces mots éclatant en murmures,
Dit qu'il ne pouvoit plus monter dans ses voitures ;
Et Cherin sur ce point, homme fort délicat
Promit de réfuter preuve & certificat.
Je me ris dit le roi de cette facétie,
La noblesse de France est à son agonie
Tous ses beaux préjugés n'ont pas le sens commun ;
Et je suis du parti de quatre-vingt contre un.
Ce discours fut trouvé tout à fait populaire
Il produisit aussi l'effet qu'il devoit faire.
Vive un roi pacifique, un monarque prudent
Et non ce courageux, ce fier Louis-le-Grand,
Qui bien loin de venir s'offrir en holocauste
Fit passer ses édits à coups de fouet de poste.
On a vu battre aux champs pendant tout ce mic-mac,
D'Artois, Conti, Bourbon, & la gent Polignac.
Mais pourquoi du Dauphin, l'intrigante soubrette
A-t-elle abandonné son prince à la bavette ?
Pour supplanter les gens on est assez expert,
Et qui quitte sa place en tout pays la perd.
C'est un petit malheur, pour moi j'irais au diable
Si je m'étois fourré dans quelque cas perdable.
En dépit des censeurs d'aujourd'hui je me pique
D'être mauvais plaisant & très-bon politique
Et dusse-je tomber sous le fer des bourreaux
Je prétends rire aussi des États généraux.
C'est l'arche du seigneur, dira-t-on, téméraire !
Dans cette arche en ce cas il est plus d'un corsaire ?
Leur chef est l'amiral qu'on vit au près d'Ouessan.
Des moyens de douceur le zélé partisan,
Et qui vient d'encourir le mépris de son ordre
En croyant lui donner quelque fil à retordre
Le ciel sur le coupable appesantit son bras
Et la barque à vau l'eau va bientôt couler bas
L'enfer en a frémi, chaque enragé trépasse,
Tant va la cruche à l'eau qu'enfin elle se casse,
Chapelier, du parti le vertueux support,
Avec son général, a fait naufrage au port ;
Mais le duc généreux, des bords de la Tamise,
Veille sur son ami dans cet instant de crise,
Parlez-lui, mande-t-il, & je vais sans délai
Solliciter, pour vous, un brevet de jockay ;
Il n'est que ce métier pour brusquer la fortune,
Et dans tous les Paris faisant cause commune,
Par mon exemple, instruit, vous apprendrez encore
Que l'unique vertu gît dans la soif de l'or,
Du brave Mirabeau, la légère éloquence,
Peut balancer longtemps le destin de la France,
Mais s'il succombe enfin, Limon lui donnera
La charge d'aboyeur au nouvel opéra.
On ne le plaindra pas, & c'est là le vrai gîte
Où des larges poumons on connoît le mérite.
Mon pinceau, je le vois, a ralenti son train.
Ma mure va bientôt me péter dans la main :
Je le sens s'apaiser. L'original délire
Qui m'a fait depuis peu rimeur à faire rire.
Le bon goût vient enfin corriger cet abus,
Et briser sous mes doigts, le fifre de Phœbus
Un autre entonnera sur la troupe héroïque
Les exploits merveilleux du héros d'Amérique.
Les districts réunis brigueront cet honneur,
Et nous serons forcés de croire à sa valeur.
Sa valeur est un mot, sa gloire est un problème.
Eh ! Pourquoi lui vit-on la face de carême
Le jour que malgré lui les farouches soldats
Lui firent précéder leurs régicides pas ?
L'appareil du combat lui troublant la cervelle
Il fit comme le bon chien de Jean-de-Nivelle.
On pourra m'opposer son amour pour son roi :
L'amour d'un renégat n'est pas de bonne aloi ?
Tu vas bien déchanter malheureuse Patrie,
C'est pour sauver l'État une planche pourrie.
Un grenadier pourtant piqua sa vanité :
Il partit… Rien de tel qu'un poltron révolté,
Mais sa position étoit fort délicate,
Que vouloit-on qu'il fit, qu'il fit comme Pilate.
Un loyal chevalier auroit plus fait encore,
N'avoit-il pas le choix, ou l'opprobre, ou la mort.
J'entends ses sectateurs crier, à la lanterne !
Croit-il m'intimider par cette baliverne,
De leurs atrocités pour finir le recueil,
Il faut de leur clameur savoir se battre l'œil.
Ce fut, s'il m'en souvient, la nuit du cinq octobre
Que le guet de Paris s'est barbouillé d'opprobre ;
Ce fut la même nuit que son coupable chef,
Foulant aux pieds le lys pour arborer la nef
N'étoit pas plus content qu'une âne qu'on étrille.
Il alloit cependant illustrer sa famille,
Et nos neveux diront sous son généralat,
Le roi dans son palais se vit échec & mat.
Cette fois du bon roi, l'aimable ménagère
A frisé de bien près le fatal réverbère ;
Ces tigres forcenés, vomis par les enfers,
À ses bras potelés vouloient donner des fers ;
Et peut-être eût-on vu sur sa personne auguste
Un de ces malheureux coller son sale buste,
Si son généreux garde affrontant mille morts,
N'eût attiré sur lui leurs criminels efforts ;
Pour donner le loisir à la pauvre Antoinette
De prendre au même instant la poudre d'escampette ;
Par la porte bâtarde elle s'en fuit soudain,
Emportant ses jupons & ses bas à la main.
Elle dénonce au roi cet infernal tapage,
Cet attentat, dit-il, n'est rien aux yeux du sage,
Le peuple de Paris qui nous fait la leçon,
Nous apprend que malheur à quelque chose est bon ;
Je suis Roi des François, l'univers me contemple,
À tous les potentats je dois un grand exemple ;
Je réforme un proverbe, & je montre aujourd'hui,
Que charbonnier toujours, n'est pas maître chez lui.
Je rends grâce au Très-haut de cette catastrophe
Qui m'a fait à trente ans Monarque philosophe.
D'Orléans écouta le nouveau Salomon,
Puis courut aux ligueurs répéter le sermon.
Victoire, leur dit-il ; osez tout entreprendre,
Quand on prend du galon, on n'en sauroit trop prendre ;
Modérez cependant l'ardeur des assassins,
Ils ont parfaitement secondé mes desseins.
Mais leur présence ici pourroit souiller ma gloire,
Qu'ils partent, & demain ils auront leur pourboire.
La Fayette à ces mots, porte à son souverain
Les traités qu'il signa de sa royale main,
Et dans le même instant des cris à perdre haleine,
Répétoient en chorus, turlututu rengaine.
Voici, s'il m'en souvient les vrais mots du traité.
La Fayette & Louis, ce jour ont arrêté,
C'est comme qui diroit, ont donné leur parole,
Que le Louvre à jamais, du roi seroit la geôle.
Qu'il y sera gardé par ses propres bourreaux.
Dès que c'est le désir des États généraux ;
Qu'il rendra ses bontés à la garde infidèle.
Qui ne l'abandonna que par excès de zèle.
Louis obtint aussi que les gardes absous,
Pour prix de leur valeur… iroient planter des choux.
C'est dès lors qu'on a vu l'agent inviolable
Tonner impunément du fond de son étable ;
Et de tous leurs travaux, défendant l'examen,
Ne permettre au public qu'un misérable amen
Moi je dirois amen ? Non Dieu me le pardonne,
J'aimerois mieux vous voir au fond de la Garonne.
Au lieu d'amen, alors, je vous promets sandis,
De dire, de bon cœur, mille De profundis.