Poème séculaire aux Amis de la Constitution
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Paratexte
Ultima Cumaei, venit jam carminis Aetas.
Virg.
Texte
Ah qu'il est beau ce siècle où je respire !
Ce siècle où de la Liberté
Sur les droits de l'humanité
Mes yeux ont vu fonder l'empire !
Qu'il est brillant ! Qu'il est majestueux !
Qu'il est fécond en vertus, en miracles !
Oui, c'est lui, c'est ce siècle heureux
Que nous ont prédit les oracles !
Adorable fille des Cieux !
Ô sublime Philosophie !
C'est par le concours fortuné
De la Raison & du génie,
Couple de ton sein émané
Dont l'ascendant anime & vivifie
Le vaste empire où je suis né ;
Que j'ai vu parmi nous mille & mille prodiges
Se succéder avec rapidité,
Renverser brusquement les gothiques prestiges
Dont l'orgueil, la cupidité
La fourberie & l'impudence
À la faveur de l'ignorance
Berçoient notre crédulité !
Au flambeau de la vérité,
J'ai vu s'évanouir comme un foible phosphore,
Les rêves de l'opinion
Feux follets dont maint peuple encore
Nourrit sa superstition !
J'ai vu rentrer dans les ténèbres
Les spectres hideux & funèbres
Du despotisme & de l'oppression !
Ah ! Qu'il est fécond en miracles
Qu'il est brillant &c.
Divine Révolution,
Nous devons à ton énergie
L'éclat de notre nation
Dont tu deviens l'apologie !
Par toi, de ses fers délivré
Un peuple qu'on croyoit frivole
Avec fracas brise l'idole
Qu'il rougit d'avoir adoré.
Du milieu des débris dont tu couvres la France
La Liberté, plus fière qu'un lion
Avec rapidité s'élance,
Et sur ses pas la Constitution
Majestueusement s'avance :
Dans un clin d'œil, armés pour sa défense,
Des millions de citoyens
Jurent de protéger cette arche d'alliance
Contre la rage & l'insolence
Des esclaves égyptiens !
Ah qu'il est fécond en miracles
Qu'il est brillant &c.
Je l'ai vu, ce jour radieux,
Ce jour qui porta la lumière
Au fond des cachots ténébreux
De ce sombre & sanglant repaire
Où dans l'opprobre & la misère
Périssoient tant de malheureux !
J'ai vu tomber ces murs horribles !…
Et sur leurs débris écrasés
Flotter les étendars terribles
Des braves citoyens qui les avoient brisés !
J'ai vu l'inflexible Cerbère
De ce tartare des François,
Le front noirci de ses forfaits,
De son sang souiller la poussière !
Qu'il est brillant ! Qu'il est majestueux !
Qu'il est fécond en vertus en miracles ;
Oui c'est lui &c.
J'ai vu naître l'égalité
Circonscrire l'autorité,
Dans les écarts jadis atroce
Et de la féodalité
S'écrouler l'énorme colosse !
J"ai vu du sein du sacerdoce
Bannir la superfluité
La hauteur, la futilité,
Le dédain, & l'insouscience :
Le luxe, les mauvaises mœurs,
Les intrigues & les faveurs,
L'effronterie & l'ignorance !
Qu'il est brillant ! Qu'il est majestueux !
Ah ! Qu'il est fécond en miracles
Oui c'est &c.
J'ai vu plonger dans le cercueil
Ces ordres si puissants naguère,
Ces deux ordres fameux dont le Ciel & la terre
Étoient trop resserrés pour contenir l'orgueil !
Jai vu détruire leurs vains titres :
J'ai vu briser leurs écussons,
Anéantir leurs devises, leurs litres,
Et proscrire à jamais ces ridicules noms
D'Altesse, de Prince, de Comte,
De Duc, de Marquis, de Baron,
De Monseigneur & de Vicomte,
Apanage jadis de plus d'un fanfaron.
Ah ! Qu'il est fécond en miracles
Qu'il est brillant &c.
À la sanction de la loi,
De la liberté de la prese,
J'ai vu l'hypocrisie & la mauvaise foi
Dans une mortelle détresse,
Pâlir de crainte & frissonner d'effroi ;
Sur leurs pas incertains, la noire tyrannie
Agitant ses serpents comme une autre furie,
Semer l'alarme & sonner le beffroi.
Aux durs accens de sa voix sépulcrale,
J'ai vu se rallier la cohorte infernale
Des mystiques, des faux dévots,
Des calotins & des cagots,
Race cruelle & fanatique
Exécutrice des complots,
De ce monstre mélancolique.
Mais ô comble de joie, ô comble de bonheur !
Tandis que sous les yeux de cette Tisiphone
La bande énergumène exhale sa fureur
Tout à coup le Civisme tonne :
À ce bruit effrayant qu'elle n'a su prévoir,
La bande se dissout, pousse des cris funèbres,
Et va cacher dans l'horreur des ténèbres,
Et sa rage & son désespoir.
Ah ! Qu'il est fécond en miracles,
Qu'il est brillant &c.
Des vils & lâches courtisans
J'ai vu se disperser la caste transcendante,
Bannir la horde malfaisante
Des croupiers & des partisans ;
Congédier les intendans,
Les receveurs, les fermiers & leur clique,
Race gloutonne & famélique
Qui dévoroit à belles dents
Le trésor de la République !
À la place de mille abus,
À la place de l'égoïsme,
J'ai vu l'ardent Patriotisme
Substituer des loix & des vertus.
J'ai vu foudroyer l'Ostracisme,
Anéantir les lettres de cachet ;
Et l'homme enfin n'être plus le jouet
De la dureté capricieuse
D'un commis barbare & cruel
Ou de la vengeance fougueuse
D'un exacteur ministériel !
Ah qu'il est fécond en miracles,
Qu'il est brillant &c.
J'ai vu caresser, accueillir
Cet art que la morgue brutale
De la vanité féodale
Se faisoit gloire d'avilir ;
De Cérès & de Triptolème
La Liberté relève les autels,
Elle replace enfin au rang des immortels,
Ce couple bienfaisant dont la bonté suprême
De ses dons comble les mortels.
Ah qu'il est fécond en miracles &c.
J'ai vu de mille & mille impôts
Déraciner la pépinière,
Proscrire à jamais les tripots
De la morgue parlementaire,
Et replonger dans la poussière,
Ses adhérens & ses suppôts,
Troupe rampante & mercenaire,
Qui lui servoit jadis d'échos.
J'ai vu de nos loix criminelles
Proscrire le code inhumain,
Et l'innocent bénir la main
Qui calma ses transes cruelles.
Qu'il est brillant ! Qu'il est majestueux
Ah ! Qu'il est fécond en miracles.
Oui c'est &c.
J'ai vu de la vénalité
Abolir le honteux usage,
Et ces emplois que la stupidité
Recueilloit comme un héritage ;
Devenir enfin le partage
De la science & de la probité !
Malgré l'humeur atrabilaire,
Les sinistres prédictions,
Et les insinuations
De la clique parlementaire ;
J'ai vu l'organisation
De la nouvelle administration
Du nouveau plan judiciaire
S'opérer, s'établir sans contradiction,
Et la sombre Aristocratie
Sous ce coup presque anéantie,
Pâlir de honte & de confusion !
Ah ! Qu il est fécond en miracles,
Qu'il est brillant &c.
Malgré les mystiques fureurs
De nos ci-devant Monseigneurs,
Malgré leur brigue, leur cabale,
Leurs sarcasmes, leur qui-pro-quo,
Leurs argumens in baroco,
J'ai vu la race monacale
Rire de leur explosion,
Brûler le froc & la sandale
En bénissant la Révolution ;
Tandis que la jeune Vestale
Fuyoit comme une autre Progné,
Loin de la demeure infernale
Où par l'avarice enchaîné
Son cœur à gémir condamné
Trembloit sous la verge fatale
Du Despotisme embéguiné !
Ah qu'il est fécond en miracles ;
Qu'il est brillant &c.
France… Ton front n'aura plus à rougir
De ces infâmes brigandages
Dont le tableau nous fait frémir…
Ton cœur n'aura plus à gémir
À l'aspect affligeant des sanglantes images,
Qu'à l'Europe effrayée offroient tes conquérants :
Par les loix de l'État devenus pacifiques,
Tes rois à l'avenir ne pourront être grands
Que par des mœurs & des vertus civiques !
Désormais nos braves guerriers
Borneront leur valeur à défendre nos lares,
À garantir nos champs & nos foyers
Des incursions des Barbares !
Qu'il est brillant &c.
Ah ! Qu'il est fécond &c.
Pour cimenter la Constitution
Rendre ses bases immuables,
De nos légions redoutables
J'ai vu sceller la Fédération !
À cet instant à jamais mémorable,
Ou cette ligue formidable,
Sûre de vaincre ou de périr
Fit le serment irrévocable,
De vivre libre ou de mourir :
Subitement frappés par ce nouveau tonnerre
Se croyant perdus sans retour,
J'ai vu les oppresseurs des peuples de la terre
Pâlir & trembler à leur tour.
Ah qu'il est fécond en miracles !…
Qu'il est brillant &c.
Au soutien de l'humanité,
À ce héros de la Philosophie
Qui consacra son repos & sa vie
À défendre la vérité,
J'ai vu la France triomphante
Des préjugés & des tirans,
De sa reconnoissance & de ses sentimens
Donner une marque éclatante.
Ainsi sublime & vertueux Rousseau
Ta prédiction s'effectue,
Des mains de l'amitié tu reçus un tombeau ;
Ma nation t'élève une statue.
Qu'il est brillant &c.
Dès l'instant où la Liberté
vint régénérer ma patrie,
Des gouffres de l'obscurité
J'ai vu s'élancer le génie ;
Mille talens ont éclaté !…
Mille traits de patriotisme
Jusqu'à ce moment inconnus
Ont fait éclore le Civisme
La plus solide des vertus !…
J'ai vu renaître les Codrus
Les Licurgues, les Curtius,
Les Solons & les Démostènes !
Du droit public nos orateurs imbus
Ont éclipsé les orateurs d'Athènes !
Sur les devoirs de l'homme & sur ses droits sacrés
Nos législateurs éclairés
Par le flambeau de la sagesse
Et dirigés par l'équité
Des loix de Rome &, de la Grèce
Ont détruit la célébrité !
Qu'il est fécond en vertus, en miracles &c.
Doux amis de l'humanité
Toujours constants, toujours fidèles
À l'équitable égalité
Qu'ont établi nos loix nouvelles,
C'est à votre société
Éparse sur ce vaste empire,
Où depuis deux ans on respire
Le parfum de la Liberté
Que cédant à l'ardeur civique
Dont j'éprouve les vifs transports,
J'offre les sincères accords
De ma lyre patriotique !
Tendres & généreux amis
Que notre sainte Loi rassemble
Pour relier à jamais unis,
Que nos voix répètent ensemble :
Qu'il est brillant ! Qu'il est majestueux !
Qu'il est fécond en vertus, en miracles !
Notre siècle est le siècle heureux
Que nous ont prédit les oracles.