Première méditation - Réforme de tous les cultes

Auteur(s)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Mots-clés

Paratexte

Texte

Dieu bon, juste, puissant, Dieu créateur du monde
Où cette terre n'est qu'un point, qu'une unité
De ce nombre infini de globes dont abonde
L'espace où tu plaças des cieux l'immensité ;
Si l'homme est juste et bon sans doute il doit te plaire,
Ta providence aura les yeux ouverts sur luy.
Dans le sentier du bien le guide qui l'éclaire,
Qui dirige ses pas, qui devient son appuy,
Il le reçut de toy, c'est ce présent auguste,
La claire notion du juste et de l'injuste,
Ce souffle, ce rayon de ta divinité,
Ce fidèle conseil, souvent mal écouté,
Qui réside en luy-même ; oui, c'est sa conscience.
Elle est son châtiment, elle est sa récompense
Suivant qu'il blesse ou suit les loix de l'équité,
En attendant qu'un jour tu prononces toy-même,
Comme j'espère, avec moins de sévérité,
Sur le sort avenir qu'il aura mérité.

Ainsi que ta bonté ta puissance est suprême,
Tout être vient de toy ; puis-je donc concevoir
Qu'un être, qui reçut de toy son existence,
S'oppose à tes décrets, balance ton pouvoir,
Que Satan se soit fait adorer sur la terre,
Qu'il ait sur tout ce globe usurpé tes autels,
Qu'il ne soit occupé qu'à tromper les mortels,
Que contre toy, contre eux, il soit toujours en guerre.
Tout me dit que Satan n'a jamais existé :
Je t'offre, sur ce point, mon incrédulité.
Elle ne me paroît que le plus pur hommage
Que l'homme t'ait rendu. Si, de ma liberté,
Pour commettre le mal, je fais un triste usage,
Non, je ne diray point que Satan m'a tenté ;
J'auray recours à toy, mais c'est contre moy-même,
Contre mes passions, fruit de l'humanité
Et non contre Satan. Ce seroit un blasphème
De redouter Satan comme ton ennemi,
Ce seroit te juger n'être dieu qu'à demi.

« Mais ce Satan, dit-on, fut un esprit rebelle,
Il brilloit dans les cieux, son orgueil le perdit,
Il osa s'égaler à Dieu qui l'en punit.
Des anges révoltés la troupe criminelle
Le reconnut pour chef, et devenu jaloux
Du bonheur des humains, il parvint à séduire,
Notre premier parent, pour nous entraîner tous
Dans l'abîme éternel où Dieu la sçu réduire. »

J'ay prononcé ces mots, mais c'est en frémissant.
Peut-on se révolter contre un Dieu tout puissant ?
Et si Dieu veut punir une aussi grave offense
De l'offense encor laisse-t-il la puissance ?
Je le redis, Satan n'a jamais existé,
J'offre à Dieu de nouveau cette incrédulité,
Penser différemment me semble abominable,
Et pour mieux croire en Dieu, je ne crois point au diable.

Sur les foibles humains règne l'opinion.
Le sage réfléchit, il se tait, mais se joüe
De tout prestige vain d'humaine invention.
Pour luy, le diable n'est qu'une cinquième roüe
Du char majestueux de la religion,
Qu'un ressort ajouté, ridicule, inutile,
Seulement mis en jeu pour la foule imbécile
Que gouverna toujours la superstition,
Pour qui la vérité simple n'eut pu réduire.

Juifs, chrétiens, musulmans, soyons de bonne foy,
Croire en Dieu, faire bien, voilà toutte la loy.
Celle d'Adam, d'Éros, pourquoy donc pas la notre ?
Pourquoi mille ans après en établir une autre ?
Que faisoit donc de plus la circoncision ?
Que fait de plus encor dans l'eau l'immersion
Dont deux autres mil ans ont amené l'apôtre
Annonçant aux Hébreux leur interdiction ?
Que fait donc de plus, Mahomet, ton sistême ?

Qu'on ne me coupe rien, passe pour le batême.
L'eau nous lave le corps. Vau ineu voi l'éa côlai
Un Bourguignon l'a ditVoyez le dernier Noël de la monoie que le san rigôlai.
Mais le batême enfin, dans sa cérémonie,
Des prêtres, nous fait voir toutte la fourberie.
Si nous les en croions, nous sommes, en naissant,
Tous condamnés, soumis au pouvoir de Satan,
Pour nous en délivrer il faut la Simagrée
De nous laver le crâne avec de l'eau salée.

Est-il un esprit droit qui ne soit révolté
De l'affreux résultat de cette absurdité !
Quoi donc ! Deux jeunes cœurs qu'un doux himen enchaîne
Ne seroient de Satan qu'augmenter le domaine !
C'est répandre à plaisir l'effroi dans notre cœur,
C'est vouloir dominer sur nous par la terreur.
Tu veux que l'on renonce à Satan, à ses pompes,
Satan n'existe pas, imposteur, tu nous trompes.

Votre eau, votre couteau, répondez-moy, docteurs,
Nous lavant, nous coupant, que font-ils sur nos cœurs ?
Mais le tems mettra fin à cette controverse,
C'est avec son secours que la vérité perce
Il luy rendra ses droits, attendons tout de luy,
Demain peut dissiper les erreurs d'aujourd'huy,
Et des foibles humains la vérité connüe
Pourra paroître au jour sans offenser leurs vües.

Ô superstition ! Tes renforts sont usés,
Tous les hommes dans peu seront désabusés,
Ils auront désormais, tout m'emporte l'augure,
Pour règle, la raison, pour guide, la Nature,
Et cette notion claire, au fond de leur cœur,
Du juste et de l'injuste, et d'un Dieu créateur ;
Les cultes finiront, et pour toutte la terre
Il ne sera qu'un hymne, une seule prierre.

 
 

Sources

AN, F17 1009A/1.