Regard de Dieu sur la France (Le)

Année de composition

1801

Genre poétique

Description

Sizains

Paratexte

Cette pièce a été imprimée quelques mois avant la promulgation de la loi sur l'organisation des cultes ; elle paraît ici avec des corrections.

Texte

Nourri depuis dix ans d'amertume et d'alarmes,
Je n'ouvre plus mes yeux que pour verser des larmes,
Et l'espérance même abandonne mon cœur.
Tu frappes, ô mon Dieu ! Je me soumets, j'adore ;
Mais souffre que ma foi t'implore,
Et que j'ose en ton sein épancher ma douleur.

Ces Grands, de nos destins autrefois les arbitres,
Tranquilles, reposaient à l'ombre de leurs titres,
Et toujours s'enivrant de folles vanités :
L'éclat de leurs honneurs, leur crédit, leur richesse,
Le long âge de leur noblesse,
Les berçaient dans l'orgueil de leurs prospérités.

Ils régnaient : où sont-ils ? Je baisse en vain la vue,
Les cherchant un milieu d'une foule inconnue,
Dont ils ont envié l'obscur et faible essor,
Trop heureux de pouvoir éviter la lumière,
Et de cacher dans la poussière
Le dépit orgueilleux qui les consume encor.

Insensés, vous pleurez ! Pleurez, mais rendez grâces
À ce Dieu qui, de l'œil suivant toutes vos traces,
Met sa miséricorde au-devant de vos pas :
Peut-être autour de vous s'ouvraient les noirs abîmes,
Et pressés du poids de vos crimesCe qui n'est qu'erreur en faiblesse aux yeux des hommes, est souvent un crime aux yeux de la religion,
Vous tombiez dans la nuit d'un éternel trépas.

Un signe de sa main effaça votre gloire ;
Du faste de vos noms étouffez la mémoire ;
Chassez d'un vain espoir le superbe entretien.
Non, non ; ne pleurez point votre gloire éclipsée,
Et gravez dans votre pensée,
Gravez-y pour jamais que vous n'êtes plus rien.

« Oui, ce Dieu nous appelle, et tout couverts de honte,
Nous-mêmes aujourd'hui nous lui rendons le compte
Que sa main vengeresse arrache de nos cœurs ;
Nos folles passions, nos bizarres caprices,
Tout le cortège de nos vices
Élève contre nous des cris accusateurs.

Au milieu des éclats du plus terrible orage,
La céleste vengeance, écartant le nuage
Dont elle aime à couvrir son décret éternel,
Visible à tous les yeux, apparaît sur la terre,
Et, par la voix de son tonnerre,
Proclame de nos maux l'exemple solennel.

Oui, nous sommes vaincus, et nous sommes coupables.
Mais qu'ont-elles produit ces leçons mémorables,
Et pourquoi ce spectacle offert à l'univers ?
Taisons ces jours de sang, de démence, de crimes,
Tout ce long amas de victimes
Livré comme une proie aux complots des pervers.

Ils ne sont plus ces jours, et nos tyrans peut-être
L'un de l'autre envieux, trop sûrs de se connaître,
Dans leur fureur brutale ont craint de s'égorger ;
Heureux d'être arrachés à leurs cruels systèmes,
Qu'un héros, les sauvant d'eux-mêmes,
De l'ombre de son nom daigne les protéger !

La soif du sang peut-être en leurs cœurs est éteinte ;
Attirés par l'espoir, enchaînés par la crainte,
D'une bouche hypocrite ils invoquent les lois :
Celui qui s'est gorgé de sang et de pillage
Peut, calmant ses mœurs, son langage,
Reconnaître un pouvoir et tolérer ses droits.

Ce Dieu qui nous consume au feu de sa colère
Serait-il donc pour eux un juge moins sévère ?
Il entend dans leurs cœurs leur doute injurieux ;
Il voit l'oubli profond de ses grandeurs suprêmes.
Serait-il sourd à leurs blasphèmes,
Et n'est-ce que sur nous qu'il tonne au haut des cieux ? »

Les voilà ces discours et ces plaintes amères
Qui me font redoubler mes ferventes prières
Et lever vers mon Dieu mes yeux baignés de pleurs.
Daigne éteindre, grand Dieu, ces mouvements de rage ;
À peine ils sortent du naufrage,
Ne les condamne pas à perdre leurs malheurs.

Où pourrais-je appuyer un reste d'espérance,
Quand ceux que tu contrains d'avouer ta puissance
Marchent d'un pas si faible au sentier de ta loi ?
Partout le fol orgueil d'une ignorance inique,
Partout un sourire ironique,
Jusqu'au fond de nos cœurs insulte notre foi.

Sur cette mer où gronde un éternel orage,
Tous veulent de leur vie égayer le passage ;
Vainement luit l'éclair à traits précipités ;
Quand la foudre en tombant éclate à leur oreille,
Ils tremblent que ce bruit n'éveille
Leur mollesse qui rêve au sein des voluptés.

Mes larmes de ton temple ont inondé la pierre,
Et j'y reste, ô mon Dieu, le front dans la poussière ;
Ma foi que tu soutiens ne peut m'abandonner :
Une larme du pauvre, un soupir de son âme
Éteint le courroux qui t'enflamme,
Et ta miséricorde aspire à pardonner.

Du chœur de tes élus qu'un saint transport anime,
Je vois monter vers toi la prière unanime ;
Tu l'as dit : ta parole est stable devant nous ;
À qui m'aime et me craint il n'est rien d'impossible ;
La foi du juste est invincible,
Et je l'instruis moi-même à vaincre mon courroux.

Quel ange tout à coup m'approche, me relève ?
Quel est ce ciel brillant où son aile m'élève ?…
– « Ton regard épuré n'a plus rien d'un mortel,
Ta foi te préparait ce spectacle de gloire ;
Vois tout ce qu'elle t'a fait croire,
C'est ici qu'en lui-même habite l'Éternel. »

Ô pure et vive ardeur ! Je vois, j'aime, j'adore…
Mais quels flots de clarté resplendissent encore ?
D'une sainte terreur tous les cieux ont tremblé.
De quels hymnes d'amour, de respect et de crainte,
Retentit cette auguste enceinte ?
L'Éternel a paru, l'Éternel a parlé.

« La prière du pauvre est aux pieds de mon trône,
Le cri de ses douleurs me presse, m'environne ;
Je lui dévoilerai l'ordre de mes desseins ;
Oui, je veux que sa foi me fasse violence…
Voici que j'envoie à la France
Un pardon solennel, des jours purs et sereins.

Lorsqu'au traître Israël je déclarais la guerre,
Quand ma main l'effaçait des peuples de la terre,
Déjà je ranimais ses ossements perdus ;
Cyrus, mon serviteur, vivait dans ma pensée ;
De Babylone terrassée,
L'audace, les remparts, le règne n'était plus.

Voyez-vous ce guerrier qui, prompt comme la foudre,
Part, brille, éclate, frappe et va réduire en poudre
Les rivaux, les tyrans de l'empire français ?
C'est un nouveau Cyrus, ma volonté l'appelle ;
Mon glaive en ses mains étincelle ;
Il s'avance entouré d'innombrables succès.

Je le montre un moment aux vœux de sa patrie ;
Vainement son triomphe a fait pâlir l'envie,
Elle-même l'envoie à ses nobles destins.
Que l'Égypte et son fleuve éprouvent sa présence…
Mais j'entends le cri de la France,
Et déjà son retour est tracé par mes mains.

Je dis aux vents, aux flots, assurez son passage ;
Moi… je suis son salut, sa force, son courage,
Tout ce que sur la terre ils nomment son bonheur ;
J'ôte à ses ennemis leur longue expérience,
J'anéantis leur prévoyance,
Et son nom est pour eux la fuite et la terreur.

C'est moi que sous ce nom ils craignent, ils admirent,
Devant qui leurs fureurs, leurs noirs complots expirent :
Je balance en ses mains leurs guerres et leurs paix.
Il n'est point d'autre Dieu que moi, que ma parole ;
Je souffle, et devant moi s'envole
La poussière de l'homme et ses frêles projets.

Guerrier que je me plus à créer grand, sublime,
Comblé de tous mes dons, qu'un saint zèle l'anime :
Souviens-toi que ma cause est remise en tes mains ;
La récompense est prête, elle est d'un prix immense,
Digne de toi, de ma puissance,
Inconcevable au cœur des aveugles humains.

Quelle extase ineffable a ravi tous ces anges !
Quel amour ! Quels respects ! Quels concerts de louanges !
Le Tout-Puissant relève et Son culte et ses lois ;
Par lui le calme est né du sein de la tempête.
Il veut, est-il rien qui l'arrête
Quand il fixe le sort des peuples et des rois ?

Peuples, accourez tous à vos temples antiques ;
Vous, prêtres, entonnez vos augustes cantiques,
Montrez le sacerdoce et sa noble splendeur.
Gloire, gloire au Très-Haut ! France quelle est ta joie !
Dans le chef que ton Dieu t'envoie,
Tu peux voir de ton Dieu la force et la grandeur. »

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an XII, ou Choix des poésies fugitives de 1803, Paris, Louis, an XII, p. 121-127.