Révolution, ou les Ordres réunis (La)
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Non ante revellar
exanimem quam te complectar, Roma, tuumque
nomen, libertas.
(Lucan.)
AUX AUGUSTES
REPRESENTANTS
DE LA FRANCE,
ET
À M. NECKER, APRES SA RETRAITE.
Pères de la patrie, puissiez-vous accueillir ce foible ouvrage en faveur du sentiment qui l'a dicté. J'ai voulu par cet hommage acquitter une partie de la dette de la Nation envers vous. Je ne suis que l'écho de la reconnoissance publique. Daignez jetter un coup d'œil sur les vues patriotiques insérées à la suite de ce poëme ; c'est ainsi que les fleuves majestueux reçoivent dans leur sein les moindres ruisseaux, & ne dédaignent point le tribut de leurs ondes.
Précis du poème
Invocation. Description de l'état d'avilissement où étoit le Peuple français sous les deux premières races de nos rois, époques du régime féodal. Le despotisme est porté à son comble sous leurs successeurs. Description de ce monstre & de tous les maux qu'il a causé. État de la France sous les règnes de Louis XIV & de Louis XV, & dans les premières années du règne de Louis XVI. M. Necker est mis à la tête des affaires. Caractère de ce ministre. Efforts du despotisme & des monstres qu'il traîne à sa fuite pour répandre la division dans la France. Seul moyen d'augmenter l'authorité ministérielle, & pour porter le Roi à ôter sa confiance, au ministre populaire, dont il a fait choix. Les troubles commencent en France. On ôte à M. Necker le timon de l'État. Malheurs qui suivent le changement arrivé dans le ministère. Déprédations des finances. La guerre civile s'allume. Louis veut remédier aux maux de la France. La patrie lui apparoit en songe, & lui demande le rappel de M. Necker & la convocation des États généraux. Le Roi se rend à ses vœux. Allégresse de la nation. Assemblée nationale. Éloge de quelques-uns de ses principaux membres. Importantes opérations qu'on a droit d'attendre de cette auguste Assemblée. Nouvelle révolution & ses suites.
Texte
Quels sont ces cris de joie & ces chants d'allégresse ?
D'où naissent ces transports, cette soudaine yvresse ?
Tout retentit au loin des accents du bonheur :
Ô France, tu n'es plus en proie à la douleur,
Il est enfin venu le tems où ton génie
Va briser de tes fers la longue tyrannie.
Tu vois luire déjà des jours purs & sereins,
Et tout doit t'annoncer les plus brillans destins.
Viens, préside à mes chants, muse fière & sensible,
Qui gardois de nos maux le souvenir terrible,
Et qui seule en silence exhalois tes douleurs.
Il tombe ce fardeau qui pesoit sur nos cœurs.
Quand l'État gémissoit, ta lyre étoit plaintive,
Et sous les mêmes fers tu gémissois captive.
Quand la France renaît, viens dans ces doux momens
Partager ses transports, échauffer mes accens :
Viens chanter son triomphe, & verser dans mon âme
Cette sublime ardeur, cette divine flamme,
Qui des chantres fameux couronna les efforts,
Et qui du fier Tyrtée anima les accords.
Amour du nom français, amour de la Patrie,
Inspire-moi ta sainte & brûlante énergie.
Soutiens mon vol hardi ; sois mon feu créateur :
Tes pensers généreux plaisent seuls à mon cœur.
Retraçons de nos maux les récits déplorables :
Que nos crayons vengeurs poursuivent les coupables,
Et portent dans leur sein les remords dévorans,
Plus cruels que la mort, pires que les tourmens.
D'un silence imposteur la basse flatterie
Ne dégradera point notre muse avilie.
De l'indignation les rapides élans
Enflammeront ma verve, & soutiendront mes chants.
Bons Français, Nation confiante & sensible,
Arrêtez vos regards sur ce tableau terrible.
Pour la leçon du monde, offrons à nos neveux
Le triste souvenir de ces tems douloureux.
Quand les flots appaisés respectent le rivage,
On aime à contempler les effets de l'orage.
Tandis que de l'État, les funestes fléaux
Aggravoient notre chaîne, & redoubloient nos maux,
Nos voix par la douleur demeuroient étouffées.
Le Dieu des vers se tut ; il n'étoit plus d'Orphées.
L'auguste Poësie, en reprenant, ses droits,
Doit chanter le retour de la paix & des loix.
Seroit-elle insensible au bonheur, de la France,
Elle qui partageoit, ses pleurs & son silence ?
Ainsi quand la tempête & les vents déchaînés
Ont répandu le deuil, sur les champs consternés
Des habitans des bois les légions ailées
Ne font plus de leurs chants retentir les vallées.
Mais si le blond Phébus rassérène les airs,
On les voit de nouveau moduler leurs concerts :
Philomèle reprend sa plaintive romance,
Et l'aspect d'un beau jour ranime sa cadence.
Les libres descendants des Francs & des Gaulois
Qui, même sous des chefs, n'obéissoient qu'aux loix,
Avoient subi le joug de ces mœurs féodales
Qui font honte à jamais à nos tristes annales.
Ces conquérans si fiers, ces peuples de héros
Étoient devenus serfs… Ils étoient les vassaux
De cent divers tyrans dont ces tems d'ignorance,
De trouble, d'anarchie, augmentoient la puissance.
Des maires orgueilleux, des ministres adroits
Prolongeant le sommeil, l'enfance de leurs rois,
Des grands assez puissans pour pouvoir tout enfreindre,
Hâtèrent tous les maux qu'un peuple pouvoit craindre,
Et des règnes de sang & de calamité
Accrurent les affronts faits à l'humanité.
À peine compte-t-on quelques rois magnanimes
Qui suspendant le cours des malheurs & des crimes,
Ont laissé respirer les peuples gémissans.
Le tems accumula ces outrages sanglans.
Un despote nouveau
Plus fourbe que Tibère en augmenta le nombre ;
Et ce nouveau Néron qui combla tous nos maux,
N'eut peur que de lasser la hache des bourreaux ;
Tant un pouvoir immense, au dessus des loix même,
Ne connoît plus de frein !… Dans sa fureur extrême,
Des plus grands citoyens il poursuivoit les jours.
Il versa votre sang, mânes des fiers Nemours.
Ce tyran ténébreux, pétri de tous les vices,
Observoit vos soupirs prolongeoit vos supplices.
Tel un autre tyran
Fit répandre le sang des grands Montmorencis.
Un infâme bourreau faisoit tomber la tête
De ceux qu'il désignoit… Je frémis & m'arrête.
Ma plume se refuse à peindre ces excès ;
Je gémis en suivant le cours de ces forfaits :
Mais il le faut. Levons les voiles politiques
Dont on ose couvrir ces abus tyranniques,
Voiles jadis sacrés, dont des chefs odieux
Se servoient pour tromper les peuples malheureux.
Ces maximes d'État, ces prétextes horribles
N'en imposeront plus à des âmes sensibles.
Dieux de boue & de sang, ministres oppresseurs,
Vous n'éviterez point mes vers accusateurs.
Et toi, monstre cruel, avide de victimes,
Despotisme, je vais retracer tous tes crimes.
Le séjour de ce monstre est à la Cour des rois.
Orgueilleux & rampant, humble & fier à la fois,
Il s'assied sur le thrône, ou du moins l'environne.
À la haine, aux soupçons sans cesse il s'abandonne.
Être juste, à ses yeux c'est mériter la mort.
À d'obscurs délateurs se livrant sans remords,
Les plus noirs attentats lui semblent légitimes,
Et toujours on le voit immoler ses victimes,
Aiguiser ses poignards, préparer ses poisons.
Sous un sceptre de fer il tient les nations,
Et l'on voit à ses pieds la chaîne ensanglantée,
Sous laquelle gémit la terre épouvantée.
Il s'abreuve de sang, il se nourrit de pleurs,
Et des monceaux de morts signalent ses fureurs.
Semblable au tigre affreux qui solitaire & sombre
Lance de l'œil la flamme, & qui rugit dans l'ombre.
Plus dévorant cent fois que la mort, les tombeaux,
Il médite toujours quelques forfaits nouveaux,
Allume de ses mains les bûchers funéraires,
Et dicte à des bourreaux ses arrêts sanguinaires.
Il construit ces donjons & ces lugubres tours,
Où l'homme infortuné disparoît pour toujours.
Là tout est désespoir, douleur, supplice, ou crainte ;
Là par tous les côtés la victime est atteinte :
Là l'homme ne pouvant que gémir & haïr,
Joint le malheur de vivre à l'horreur de mourir.
Ô qui peut calculer ces tortures secrettes,
Ces éclats de la rage, & ces larmes muettes,
Cette longue agonie, & ces soupirs d'un cœur
Navré de désespoir, ulcéré de douleur !
Mortels trop patiens, que vous fûtes stupides !
Malheur à ces cœurs froids, à ces amas arides
Qui souffrent peu des pleurs de leurs concitoyens.
« Les maux de mon semblable un jour seront les miens,
Doit dire tout mortel, dont la triste existence
Peut d'un cruel tyran assouvir la vengeance ».
Fiers Français, est-ce vous dont le sort incertain
A toujours dépendu d'un despote inhumain ?
Notre lâche stupeur, notre molle indolence
A prolongé mille ans notre honteuse enfance
Tels sont ces animaux, jamais du joug lassés,
Que l'on voit vers leurs toits traîner leurs fronts baissés,
Après avoir tracé leurs sillons en silence,
Et souffert l'aiguillon sans plainte et sans vengeance.
Ainsi l'on vit le peuple, insensible à ses maux,
Prodiguer tout son sang, son or pour ses bourreaux.
Deux siècles cependant de gloire & de puissance
Fermoient sur ces malheurs les regards de la France.
Par un éclat brillant les Français consolés,
Oublioient les fléaux sur eux accumulés.
Le peuple, adorateur de ses chaînes antiques,
Couvroit de ses lauriers ses malheurs domestiques.
Esclave sur la Seine, il régnoit sur les mers,
Rendoit un monde libre et supportoit des fers.
Le Français, pour lui seul rempli d'insouciance,
Aux tribus de Boston apportoit la vengeance.
Eh ! Qu'eût-il desiré ? Le plus juste des rois
Sur le thrône avec lui faisoit régner les loix.
Ce monarque adoré, bienfaisant, populaire,
Étoit moins des Français le maître que le père.
Le peuple étoit heureux… Louis par ses vertus
Rappelloit les Trajans, égaloit les Titus.
Necker, ministre intègre & cher à la Patrie,
Déployoit sa grande âme & son vaste génie,
Secondoit de Louis les généreux desseins.
Ils respiroient tous deux le bonheur des humains.
Un roi juste et puissant, le plus grand des ministres
Auroient-ils pu prévoir… Mais sur ces temps sinistres
Ne portons pas encore nos regards douloureux.
Fixons-les un instant sur ces momens heureux,
Momens, hélas trop courts et contemplons la France
Faisant à ses rivaux redouter sa puissance,
Triomphante aux combats, heureuse dans la paix.
L'Océan respectoit le pavillon Français.
La gloire de l'État étoit celle du Prince :
La Fayette, Destaing, noms chers à ma Province
Suffren & Rocambaut, les Guichens, les Vaudreuil
Avoient des fiers Anglais humilié l'orgueil.
La liberté des mers venoit d'être établie.
Par nous la servitude alloit être abolie :
Dévorante corvée, vous, droits odieux
Du règne féodal restes injurieux,
Louis vous suprimoit… Sa bonté paternelle
Écoutait de son cœur l'impulsion fidèle,
Celle de son ministre. Il imitoit Henri,
Et près de lui Necker nous rappeloit Sully.
Sous leur auspice heureux la France alloit renaître.
Elle s'attendrissait aux genoux de son maître,
Recueilloit les bienfaits… Hélas ! Qui l'auroit cru ?
Un espoir si flatteur a soudain disparu.
Le Despotisme affreux frémissoit en silence
En voyant la splendeur, le bonheur de la France.
Il assemble aussi-tôt tous les monstres divers
Qui forment son cortège & propagent ses fers.
L'ardente ambition, la vengeance féroce,
La sombre jalousie encore plus atroce,
La discorde sanglante & le vil intérêt
Des plus lâches forfaits le mobile secret,
Vautour qui nuit & jour dévore ses victimes.
Ces monstres s'élevant du fond des noirs abîmes
Soufflent dans tous les cœurs leurs feux & leurs poisons,
Des mortels aveuglés flattent les passions,
Allument le flambeau d'une guerre intestine,
Et pour mieux de la France assurer la ruine,
Des courtisans jaloux ils guident les efforts,
Font mouvoir à leur gré ces flexibles ressorts,
Et contre Necker seul tournent toutes leurs armes.
L'État est agité des plus vives alarmes.
De la crainte à l'espoir il voit son sort flotter.
Ennemis de mon roi, deviez-vous l'emporter ?
C'en est fait ; ces auteurs des plus noires intrigues,
Artisans ténébreux de fraudes & de brigues,
Ont donc vu réussir leurs infâmes complots.
Necker a fui la Cour… L'État prévoit ses maux.
Gémissons sur les rois. Le mensonge sans cesse
De cent pièges divers entoure leur sagesse.
De l'adulation le charme insidieux
Déguise les objets & fascine leurs yeux.
Qu'aisément, juste Ciel ! un monarque s'égare ?
Ô rois, ô dieux mortels, si le destin avare
Vous accorde un grand homme, un ministre adoré,
Vous devez le garder comme un trésor sacré.
Le ciel, en le donnant, vous montre sa clémence ;
Il semble à le former épuiser sa puissance.
C'est un bienfait public ; c'est le pilote heureux
Qui vous fait éviter mille écueils dangereux.
Que ne peut un mortel par sa seule présence !
Quand Necker a cessé de veiller sur la France,
Le vaisseau de l'État, battu dans tous les flancs,
Et resté le jouet & des flots, & des vents.
Des ministres pervers, ambitieux, perfides,
Des trésors de l'État déprédateurs rapides ;
Corrupteurs, corrompus, ont bu les derniers pleurs,
Ravi le pain sacré des tristes laboureurs.
Là, tout s'engloutissoit comme en un gouffre immense.
Hommes nombreux des champs, les soutiens de la France,
Mortels trop méconnus, nobles agriculteurs,
Vous qui donnez la vie à vos persécuteurs,
Suspendez vos travaux… Que les ingrats périssent,
Puisqu'ils veulent lier les mains qui les nourrissent.
Qu'osent-il mander à cette terre en deuil,
À ces champs désolés par leur avide orgueil ?
Altérés, affamés du sang de la patrie.
Ils aspirent notre or ; & leur âme avilie,
Se livrant sans pudeur à sa cupidité,
Croit pouvoir tout oser avec impunité.
Des Verrès, des Séjans, des Pallas, des Narcisses
Ils ont renouvellé les fureurs & les vices,
Ne soupçonnant pas même en un peuple outragé
Assez de fermeté… pour être un jour vengé.
S'ils entendent gronder, s'élever les tempêtes,
Les foudres qui déjà s'allument sur leurs têtes,
Loin de les redouter, ils bravent leurs carreaux.
Du peuple, disent-ils, étouffons les sanglots :
« Son murmure est le bruit des flots après l'orage
Qui viennent expirer, se briser au rivage.
S'il ose résister, il faudra l'enchaîner ;
S'il veut rompre ses fers, il faut l'exterminer. »
Oui, tel fut leur langage, & leur commun système.
Ainsi donc la grandeur & le pouvoir suprême,
De la justice en eux éteignant le flambeau,
Sur leurs yeux aveuglés épaissit son bandeau !
Jusqu'où n'a pas été leur fureur téméraire ?
Ils ont même des loix forcé le sanctuaire :
Leur pontife odieux s'en rendit le bourreau ;
Le temple de Thémis en devint le tombeau.
Céleste Poësie, & toi, Dieu du Permesse,
Secondez mes efforts, prêtez-moi votre yvresse,
Ces tonnerres vengeurs, ces foudres éloquens,
Qui jusques sous la pourpre atteignent les tyrans.
C'est un pesant fardeau que la haine publique ;
Qu'ils en portent le poids… Leur pouvoir despotique
A passé comme une ombre. Ô comble des tourmens !
Dévoués à l'opprobre, ils sont encor vivans.
Qui pourroit calculer leurs secrettes souffrances ?
Et ceux que le trépas dérobe à nos vengeances
Laissent leurs noms flétris par la honte & l'horreur.
Dieu, père des humains, arbitre du bonheur,
À nos pleurs, à nos vœux sois enfin exorable.
De ces tems malheureux l'histoire lamentable
Aux siècles à venir arrachera des pleurs.
Offrons à tous les yeux, montrons à tous les cœurs,
De nos maux trop réels la peinture effrayante.
La France qui jadis glorieuse et puissante
Se rendoit la terreur & l'arbitre des rois,
De l'Europe à son gré faisoit pencher le poids,
A perdu son éclat, son ascendant suprême,
Et le Français n'est plus que l'ombre de lui-même.
Le Batave opprimé cherche en vain son appui.
Tel le Sarmate altier, vil, esclave aujourd'hui,
A perdu sa grandeur & sa force première :
C'est un colosse obscur couché dans la poussière.
Eh ! Je n'ai peint encor que nos moindres malheurs.
Ô ma triste Patrie, ô comble des douleurs !
Rappelle-toi ces jours de meurtres & d'alarmes,
Où les flots de ton sang se mêloient à tes larmes,
Où même tes enfans, au vertige livrés,
De leur sang fraternel se montraient altérés,
Loin de se réunir pour la commune injure.
Ô France ! Tous n'ont pas outragé la nature.
De ces nouveaux forfaits reconnoissant l'horreur,
On vit le guerrier même être ton protecteur.
Des héros, des Français enfans de la victoire
Jurèrent sur l'autel de honneur, de la gloire,
De ne point imiter ces coupables excès.
Qu'étiez-vous devenu, respect du nom Français ?
Ô mes concitoyens, le souffle des tempêtes
A respecté du moins vos tranquilles retraites.
Écrasés sous le poids des impôts dévorans,
Qu'aviez-vous, en effet pour tenter vos tyrans ?
Les empires divers ont chacun leur enfance,
Et leur maturité que fuit la décadence.
Ô France ! Ton déclin seroit-il donc venu,
Et tout espoir pour toi seroit-il donc perdu ?
Ce mobile puissant qui rompt tous les obstacles,
Qui t'a fait en tout tems enfanter des miracles,
L'honneur est-il éteint, son ressort altéré ?
Non ; de la liberté le feu pur & sacré
Brûle encor dans les cœurs, & ses ardentes flammes
Raniment les Français, électrifient leurs âmes.
La liberté s'éveille au bruit sanglant des fers.
Tyrans, il est venu l'instant de vos revers :
L'abîme et à vos pieds creusé par la vengeance ;
Vous avez du Français lassé la patience :
Un peuple que l'on brave en est plus effréné ;
Au cruel désespoir ce peuple abandonné
Va lancer tous les traits suspendus sur vos têtes.
Il couvoit sourdement le germe des tempêtes,
Mais il éclate enfin… & ces sombres accens,
Ces murmures secrets retenus si longtems,
Ces messagers de mort présagent votre chute.
En horreur à vous-même, à tous les traits en butte,
Misérables, vos jours, vos heures, vos momens
Sont voués à la honte, aux remords, aux tourmens.
Il va cesser enfin le règne affreux du crime.
À des cœurs outragés tout devient légitime.
Le peuple, dès long-tems victime de ses maux,
Combat tous les besoins, souffre tous les fléaux,
Voit même ses épis tromper son espérance,
Et tous les élémens ligués contre la France.
La faim, le désespoir, les frimats rigoureux.
Plus terribles encor que le fer & les feux,
Tout arme sa fureur ; & le Français docile
S'irrite d'autant plus qu'il étoit plus tranquille.
C'est ainsi que le plomb dans un tube enfermé
Devient plus meurtrier, plus il est comprimé.
Ainsi lorsque les vents décharnés sur nos têtes
Des bouts de l'univers appellent les tempêtes,
La mer qui sembloit calme aux yeux des matelots
Soudain jusques aux cieux ose porter ses flots,
Et les éclairs, cachés dans le sein des nuages
Où grondoient lourdement la foudre & les orages
S'échappent de la nue, éclatent dans les airs,
Embrasent tout à coup la surface des mers,
Précipitent au loin la foudre étincelante,
Et lancent sur les monts leur flamme dévorante.
Rennes donne un exemple à ses tyrans fatal.
Le hardi Béarnais répond à ce signal.
Et du sein de l'État sort une voix immense
Contre les ennemis, les fléaux de la France.
Les peuples du Midi fécondent ceux du Nord.
Heureux concert des cœurs ! Grand & sublime accord !
Paris, le temple heureux du génie & des grâces
De ces despotes vils prépare les disgrâces.
Aux drapeaux des cités il joint ses étendarts
Et la gloire a brillé dans le séjour des arts.
Athènes des Français, ô toi, leur souveraine,
Tes vœux seront remplis. Ô nymphe de la Seine,
Tu peux lever ton front désormais radieux.
De tes jours obscurcis naîtront des jours heureux.
Reprens, reprens tes jeux, ô Lutèce, & tes charmes :
Louis va mettre enfin un terme à tes alarmes.
Son cœur est détrompé… Ce monarque inquiet
Dans le calme des nuits, méditoit en secret
Sur le sort de l'État, & vouloit à la France
Par de nouveaux efforts marquer sa bienfaisance.
« Je voudrois voir, dit-il, tous mes sujets heureux,
Et des Français je suis, moi, le plus malheureux.
Je veux, brisant ce joug & ces loix qui les blessent,
Que par mes soins l'État, la liberté renaissent.
Chérissant mes sujets, touché de leurs tourmens,
À peine ai-je goûté quelques heureux instans
Tous ces pensers pesoient sur son âme souffrante.
Il gémissoit… soudain à ses yeux se présente
Une femme éplorée, & de qui la douleur
Avoit couvert le front d'une triste pâleur.
Sa beauté paroissoit même à travers ses larmes ;
Les lys, l'or & l'azur relevoient tous ses charmes ;
Elle tombe à ses pieds, embrasse ses genoux ;
C'est la patrie en pleurs… Grand Monarque, est-ce vous,
« Et-ce vous, lui dit elle, ô le meilleur des Princes,
Qui voyez sans pitié les maux de vos provinces,
Qui répandez leur sang, qui leur percez le sein ?
Le père des Français en est-il l'assassin ?
Mais non : vous soupirez ; votre douleur auguste
Me fait encore en vous voir des rois le plus juste,
Et qui regrette seul un Ministre éprouvé.
Ah ! Rappellez Necker… & l'État est sauvé.
Rassemblez vos sujets autour de votre thrône :
Qu'à ce noble dessein votre âme s'abandonne.
Le peuple est avant vous. Oui, ce peuple à ses droits,
Et du bonheur public naît le bonheur des rois.
Le Léopard sanglant, respirant les ravages,
Déjà gronde & rugit autour de nos rivages.
Il n'attend que l'instant d'être appellé par nous,
De se joindre aux Français… pour les dévorer tous.
Le Prince la relève & cède à sa prière.
L'État revoit enfin son astre tutélaire.
Le crêpe du malheur enveloppoit les lys ;
De la joie aussi-tôt retentirent les cris.
L'amour de tout un peuple, ô Necker, t'environne.
Aux transports les plus doux la France s'abandonne :
L'airain fait retentir le signal du bonheur.
Ce n'est plus cet airain, farouche & destructeur,
Qui vomissoit la mort…. Nos nuits jadis si sombres
Par cent nouveaux soleils ont éclairé leurs ombres,
Et l'allégresse éclate où régnoient la terreur,
Le sombre désespoir, & la morne douleur.
Le despotisme affreux, la discorde en frémirent :
Des Sully, des Henri les mânes applaudirent,
Et d'Europe étonnée, en admirant Louis,
Présagea la grandeur & les destins des lys.
Des Français entouré, Louis qui les rassemble
Les voit tous conspirer, se liguer tous ensemble
Pour l'intérêt commun. Les fils des conquérans,
Les pontifes sacrés, les peuples & les grands
Sont enfin réunis… Et dès ce jour la France
Ne forme avec son roi qu'une famille immense.
Nations, qui déjà : menaciez nos remparts
Sur ce spectacle auguste arrêtez vos regards.
Frémissez ; de l'État la splendeur va renaître.
Qu'il est grand le Français réuni par son maître !
Oh ! Que ne puis-je ici tracer vos noms fameux,
Ô vous, fils des héros, vous guerriers généreux ?
Recevez de nos mains la couronne civique.
Vos noms ont consacrés par l'estime publique,
Lalli, Montmorenci, d'Orléans, & Crillon,
Clermont, Montesquiou, Lusignan d'Aiguillon,
Vous tous qui déployant une âme magnanime
Venez de mériter notre hommage unanime.
Vertueux Pompignan, Dillon, Seves, Lollier
Vous vous êtes couverts d'un immortel laurier
Pontifes révérés, pasteurs chers à la France.
Et vous dont Rome même eût vanté l'éloquence,
Vous tous en qui l'État voit ses chers défenseurs,
Vous qui ne trouverez que des admirateurs,
Nobles représentans choisis par la Patrie,
Que ne puis-je en ce jour hanter votre génie
Qui cueillant des lauriers dans le sein de la paix
Trace les fondemens de l'empire français ;
Qui des mœurs & des loix, sous le plus doux auspice,
Éleve pour jamais l'imposant édifice ;
Ô vertueux Monnier, ô célèbre Target,
Éloquent Mirabeau, Bailly, Sieyès, Touret,
Barnave & Rabaud, vous que la France loue,
Hébrard & Biauzat, vous que l'Auvergne avoue
Le tems ronge le fer, il dévore l'airain,
Mais vos noms jouiront d'un immortel destin
Numa père des loix surpassa Rémus même ;
Français, telle sera votre gloire, suprême.
C'est à vous d'immoler l'hydre de nos erreurs.
Pères de la Patrie, écoutez ses clameurs
Ses cahiers généreux, ces monumens fidèles
Des plaintes d'un grand peuple… & qui sont trop réelles.
Sur le riche orgueilleux l'indigent a des droits,
Et du peuple il est tems qu'on entende la voix.
II réclame aujourd'hui son antique héritage.
Ah ! Souffrir & haïr fut mille ans son partage.
Qu'importent ces palais dont les fronts fastueux,
S'élevant dans les airs, bravent les malheureux,
Non, ces vils publicains dont la molle indolence
Dévoroit sans pudeur une oisive opulence,
Ces Plutus enrichis d'un déshonneur pompeux
Ne pourront nous blesser par un luxe odieux.
Ils n'envahiront plus tout l'or de la patrie.
Il s'ouvre un champ immense à votre heureux génie,
Augustes citoyens, magnanimes Français,
Je vois des jours nouveaux marqués par vos bienfaits.
Ô vous, gloire, vertu, déesses immortelles,
Élevez ces héros sur vos brillantes ailes ;
Célébrez leurs grands noms, couronnez leurs travaux.
Voyez-les de nos loix éclairer le chaos,
Fixer les droits du Prince & les droits de la France,
De la libre pensée asseoir l'indépendance
Du laboureur utile assurer le bonheur,
Rendre à Cérès son luxe, à nos champs leur splendeur,
Affranchir le commerce entouré de cent chaînes,
Élargir ses canaux, désobstruer ses veines.
Sages conspirateurs, dont le soins réunis
N'ont tous qu'un même but, la puissance des lys,
Voyant votre union, mes entrailles s'agitent.
De mes yeux attendris des pleurs se précipitent.
C'est ainsi que l'accord des divers élémens
Excite nos transports & nos ravissemens.
Tels les fleuves Français, divisés dans leur course,
Rivaux par leurs bienfaits, ne forment qu'une source
Qui du trésor public va grossir l'Océan.
Frappez de tous vos traits ce monstre dévorant,
Le Monopole affreux, père de tous les vices.
Ainsi, chez les Romains, leurs augustes Comices
Assuroient par les loix leur gloire & leur splendeur.
Du destin des États suprême ordonnateur ;
Dieu puissant, toi qui vois tous les empires naître,
Croître, enfin & vieillir pour toujours disparoître,
Tu veux encor, tu veux le bonheur des Français,
Tu remets en leurs mains la gloire & le succès.
Roi, dont la bienfaisance et le noble partage,
Reçois des vrais Français l'attendrissant hommage.
L'orgueil fait les tyrans, la bonté fait les rois,
Et tu dois avec toi faire régner les loix.
Et toi, le dictateur, le soutien de la France,
Necker, reçois ses vœux. Va, l'ingrat qui t'offense
Relève encor ta gloire, ajoute à ton honneur.
C'est de nos ennemis que naît notre grandeur ;
Ton nom surnagera sur le gouffre des âges ;
La Grèce eût-elle même adoré tes images.
Ô Gloire, en vain l'envie épuise ses fureurs,
Ton sourire suffit à tes adorateurs.
Je chantois… tout à coup le bruit sanglant des armes
Vient frapper mon oreille, exciter nos alarmes.
Muse, brise ta lyre, interromps tes accens,
Ou ne sois que l'écho de nos gémissemens.
Ô Necker, je te plains, mais moins que la Patrie.
Va, le tems est le dieu qui venge le génie.
Montmorin
Ont témoigné pour toi leurs vertueux regrets.
Mais la Patrie… Ô Ciel !.. Vous nommés par la France,
Vous son plus digne appui, vous sa noble espérance,
Généreux citoyens, loin de désespérer
Du salut de l'État… vous allez l'assurer.
Et toi, Paris, l'exemple & l'ornement du monde,
C'est sur toi dans ce jour que notre espoir se fonde !
Nos provinces bientôt vont marcher sur tes pas :
Louis même, ô Français, se jette entre vos bras
Oui, mes vœux sont remplis. Ô triomphe ! Ô victoire !
Jour digne d'être inscrit aux fastes de la gloire !
De nos fiers ennemis les complots sont punis.
Ils n'ont fait qu'éclater… & les voilà détruits.
Ces guerriers menaçans qui causoient nos alarmes.
Sont nos vrais protecteurs, jettent au loin leurs armes ;
Ou plutôt de l'État se montrant les soutiens,
Leurs glaives sont l'appui de leurs Concitoyens.
Ils ont tous devenus nos amis & nos frères,
Des hommes, des Français… que dis-je ? L'étranger
Ému, ravi, touché, veut aussi nous venger.
Les courageux enfans de la libre Helvétie
Fidèles à l'honneur, défendent la Patrie.
Et de l'humanité l'on entend les accens,
Malgré le bruit affreux des tonnerres grondans.
Ouvrez-vous, noirs cachots tous peuplés de victimes ;
Tombez, fatales tours qui protégiez les crimes :
Révélez au grand jour mille attentats nouveaux
De La Fayette, amis, suivons tous les drapeaux.
D'un si grand citoyen quand la France s'honore,
L'Auvergne ma patrie en est plus fière encore
Élevons sur ce sol par un monstre habité
Un temple à la concorde, un à la liberté.
Féroce de Launay, c'étoit là ton repaire.
Du Ciel vengeur sur toi tombe enfin la colère.
Tu meurs sous les poignards… Que ne puis-je aux Français,
Avec des traits de feu, tracer tous tes forfaits,
Toi qui réunissois, perfide & sanguinaire,
L'âme d'un Phalaris à celle d'un Tibère